mardi, 11 mars 2025 BERLIAL
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Rencontre avec un groupe atypique qui propose à travers ses compositions un metal noir, dense, via des titres longs et immersifs. Une vision très sombre sur notre humanité et sur notre futur. Ils nous parlent de « Nourishing The Disaster To Come », leur nouvel album.
Salut à vous, avant de commencer, un petit retour sur qui est Berlial ? Et pourquoi ce nom de groupe ? Le projet a été fondé par CzH durant le premier confinement. Ce dernier a composé quatre ou cinq titres à la basse et s’est rapproché de Tromgeist pour les travailler. Dès septembre 2020, Hsod rejoint le projet. Hsod et CzH ont joué ensemble durant la première moitié des 00’s. En février, ils ont maquetté neuf titres complets. Le projet s’est alors recentré sur le duo, Tromgeist n’ayant pas assez de temps à consacrer. C’est un duo depuis. Le premier album a été enregistré en novembre 2021 et est sorti en CD en mai 2022, et le second a été enregistré en janvier 2024, toujours au Lower Tones Place Studio avec Edgard Chevallier, et est sorti ce 7 mai. Berlial est la contraction de Beria (chef du NKVD après Ejov, la police politique stalinienne) et Belial, le lieutenant de Satan lors de la chute d’Eden dans « Paradis Perdu » de John Milton. L’idée derrière ce nom, qui est venu à CzH il y a plus de 20 ans, est de dénoncer les mythes et toute la dimension symbolique que l’humanité emploie pour dissimuler ses vices intrinsèques.
Musicalement, on est dans du black metal, mais avec une approche peut être plus electro, post rock même. C'est une évolution volontaire par rapport à votre album de 2022 ? Le premier album incorporait déjà beaucoup d’éléments variés mais de manière très patchwork en raison de la méthode de travail, chacun pouvait proposer une idée qui était toujours gardée et des formats des titres courts. Avec le deuxième la volonté était de définir une direction artistique congruente notamment via des titres longs et immersifs. La notion d’ambiance est devenue essentielle et les éléments post rock et electro font sens. En outre, nous avons écouté beaucoup de groupes électro à une époque (Deadmaus, Bloody Beetroots, Trentmoller, Helena Hauff, …) ou trip-hop (toute la scène de Brixton). Ou même au sein de la scène : Ulver, Manes ou Emptiness.
Présentez-nous « Nourishing The Disaster To Come », votre nouvel album ? Comme je l'ai dit, nous avons adopté une méthode de travail qui vise à préserver une ligne directrice. Quatre titres sont partis de nappes de claviers de CzH pour définir un spectre harmonique, et deux de Hsod. Dans les deux cas, c’est Hsod qui fait tout le travail d’arrangements (guitares, basses, batteries programmées, claviers additionnels) et de structure. Ainsi nous proposons six titres et chacun développe son univers : avant-garde et dissonant pour « The Last Dance », mélodique et mélancolique pour « Nouveau Monde », DSBM pour « Le Néant Pour Eternité », etc. Pour autant l’ensemble constitue un tout cohérent avec des points de repères : les introductions et outro, les guitares atmo systématiques, les claviers, etc.
C'est un monde très noir que vous nous décrivez, hyper anxiogène et très angoissant ? Notre époque est assez inquiétante : à la moitié de l’année nous avons consommé l’ensemble des ressources que la planète peut produire en un an, beaucoup de pays optent pour des régimes qui font totalement fi de ce constat. On n’a peut-être jamais été aussi proches de mourir collectivement. Les leaders capitalistes en place qui se présentent pour les parangons de la rationalité sont totalement dans l’idéologie productiviste. Le fondateur de Facebook par exemple croit au mythe de l’arche de Noé : seuls les individus les plus avancés seront sauvés de l’Apocalypse. Il y a peu matière à se réjouir et dans la dimension individuelle et personnelle des textes, CzH évoque son alcoolisme et son sevrage douloureux. Berlial est pour nous un exutoire nécessaire, sortir toute la noirceur pour être à peu près intégré dans les autres pans de l’existence : social, familial et professionnel.
L'utilisation de samples et d'extraits de discours ajoutent encore plus poids à cette angoisse ? C’est tout à fait le but recherché : tu trouves des extraits de Pasolini, son dernier « Salo ou les 120 Jours de Sodome » dans « We Deserve To Fall Again » ainsi que « Pour en finir avec le jugement de dieu » 1946 discours radiophonique d’Artaud. Sur l’introduction d’« Ivresse de la Finitude », c’est un extrait d’enregistrement du Golden State Killer à sa première victime. Il l’a d’abord violée mais laissée en vie, et quelques années plus tard, il est passé au meurtre et l’a appelée en amont pour lui annoncer. C’est ce qu’on entend et malheureusement il est allé au bout de sa démarche … Cela montre l’inexorabilité du pire.
Gros travail de recherche je suppose sur le choix des extraits de discours ? Ca a dû vous prendre beaucoup de temps ? CzH a une certaine culture cinématographique et écoute beaucoup de podcasts, et quand un extrait lui plait, il a le réflexe de le noter dans un cahier à idées pour venir piocher dedans par la suite. C’est donc moins laborieux. Pour l’extrait de « Fight Club » dans « Le Néant pour Eternité », c’est un film culte pour Hsod et CzH, le choix est assez évident.
Qu'est-ce qui vous a inspiré dans l'exploration des côtés sombres de l'espèce humaine ? Vaste sujet d'ailleurs non ? Comme l’indique le titre, la capacité à persévérer dans l’erreur et le suicide collectif. C’est un désastre systémique, l’idéologie capitaliste ultra libérale est une pandémie conceptuelle. Elle touche tous les pans de la vie désormais : la culture, Netflix par exemple, le développement personnel, la psychologie: qu’est-ce que le marketing si ce n’est de la psychologie proactive ? L'enseignement aussi, où nous sommes passés d’un enseignement des savoirs au développement de compétences d’employabilité. Il suffit d’écouter les narratifs employés par les acteurs des superstructures. Une novlangue de l’aveuglement où la litote est la pilule de cyanure.
Est-ce que vos compositions ont été faites pour la scène ? Aucunement car nous ne prévoyons pas de live ni à court ni à moyen terme. Nous privilégions la création, nous avons à ce titre commencé à travailler sur le troisième album.
Dans tout cela, il n'y a pas un peu d'espoir avec, peut-être, une prise de conscience ? Ou bien définitivement non ? Le BM n’est pas une musique propice aux protest songs comme Neil Young ou Bob Dylan ont pu le proposer. On ne suggère donc aucune solution, l’humanité semble avoir déjà organisé la final(ité).
Vous pensez qu'on se complet de ce système ? On n'a pas la force, voire l'envie de s'en sortir ? Encore en plein premier confinement, le président d’alors du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux (il porte bien son nom), disait qu’une fois tout ça fini, on repartirait comme en 40. Alors même que l’expansion des pandémies est liée à la disparition d’espèces intermédiaires entre nous les hommes et notre biosphère qui servent de tampons à certaines maladies. C’est la course productiviste qui a causé l’arrêt de tout le manège et le type te dit que quand on va rouvrir la foire on va encore baisser les normes de sécurité. C’est un comportement de toxico, ce type en beau costard est un crackhead dans sa tête. Ce parallèle, CzH le dresse entre sa propre addiction et ce type de discours abscons, il avait alors l’impression que tout le monde s’enivrait collectivement dans la connerie.
Pourquoi ce choix de chanter en Français, alors que beaucoup de groupes préfèrent chanter en Anglais ? A vrai dire on chante autant en Français qu’en Anglais, le choix se fait en fonction du flow souhaité et des placements, ainsi que des tessitures vocales. La diction en effet entre les deux langues est très différente. Pour la suite, nous allons cependant privilégier uniquement le Français.
La couverture de l'album est à la fois belle et angoissante, à l'image de l'album. On dirait le Styx, mais dans notre terre actuelle, pleine de déchet et pollution. Vous êtes les Charon du fleuve ? Qui a eu l'idée ? C’est un travail collaboratif entre Jeff Grimal et CzH. En effet, Charon au verso de l’album tient une bouteille qui ressemble à un cocktail molotov, parce que lui aussi veut tout faire péter, ou simplement parce qu’il a besoin d’oublier, il va la descendre. Lien direct avec la réponse au-dessus.
Propos recueillis par Yann Charles |