dimanche, 24 novembre 2024 MY OWN PRIVATE ALASKA
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Rencontre avec Tristan, compositeur et pianiste du groupe My Own Private Alaska. Un groupe totalement atypique dans le monde du metal avec son style tout à fait particulier qui consiste à hurler sur du piano romantique. Alors même s’ils ont un peu “mainstreamisé” leurs compositions, cela reste une écoute bien particulière, et « All The Lights On », leur tout dernier album, ne déroge pas à cette règle.
Bonjour, on va commencer par une petite présentation du groupe, même si cela commence à faire un petit moment qu'on vous voit sur les routes … Oui, on a formé le groupe en 2007. Au départ c'était un trio formé d'un chant hurlé, piano et batterie, jusqu'en 2013. En 2013, on a fait une pause jusqu'en 2020. Puis on s'est reformés avec un quatrième membre qui fait du synthé basse. En fait de la basse, mais qui est jouée au clavier. Et ceci afin d’ajouter un peu de basse dans le spectre musical. Parce que le piano n'est pas aussi puissant qu'une guitare ou une basse.
Ce break, c’était quoi ? Plus envie ? Sans rentrer dans des soucis personnels bien sûr. Non, pas de souci. Il y avait un double truc. Le premier c'est que notre batteur, Yohan, avait un autre groupe qui s'appelait Cats On Trees et qui cartonnait bien. De ce fait, il avait de moins en moins de temps pour être avec nous. Et moi je suis un peu jusqu'au-boutiste et Yohan était devenu plus un ami qu’un batteur tu vois, et du coup je ne me sentais pas du tout de jouer avec quelqu'un d'autre. La seconde chose, c'est qu'en 2013, on avait beaucoup plus la tête dans le guidon. On faisait beaucoup plus de business que de musique et ça nous a bouffé. Donc on s'est dit que c'était peut-être le bon moment pour tout arrêter. Et six ans plus tard, la musique nous a manqué. Du coup on s'est recontacté avec Milka, le chanteur, mais Yohan n'était toujours pas dispo. Donc on a pris un nouveau batteur, et ensuite Laure avec le synthé basse.
Et puis le Covid est arrivé … Exactement. Je pense qu’on a eu un come-back avorté et c'est vraiment dommage parce que je n'avais jamais eu autant de retours positifs quand on a dit qu'on se reformait. Et franchement, on était super contents parce que quand on voyait les stats sur Facebook, on se disait “waouh, ça va être encore plus gros que ce qu'on avait fait à l'époque”. Et puis comme tu dis, le Covid est arrivé, et pour tout te dire, on avait prévu de faire une grosse tournée en Ukraine et en Russie parce que c'est là qu'on a le plus grand nombre de fans. Et donc la guerre a éclaté aussi. Donc oui, c'était vraiment une période bizarre.
On commence avec la question que les groupes n'aiment pas : comment vous définissez-vous musicalement, car c'est difficile de vous classer ? Je suis d’accord. Je pense en plus qu'on n’est pas les mieux placés pour répondre à cette question. En plus on a évolué dans notre style au cours du temps. Au départ on avait un cahier des charges où il fallait hurler sur du piano romantique. Et après, on met une grosse batterie grungy dessus. Et là on nous a appelés screamo-romantique je ne sais plus quoi. Et c'est vrai que malheureusement, au niveau des outils internet, il faut que tu sois dans des cases. Il faut que tu sois rock, pop, metal, en fait que tu précises. Moi, ce que je ne voulais surtout pas, c’était être “symphonique” parce qu’on a du piano classique. Ça me fait trop penser à des groupes avec des violons et tout ça. Je ne dis pas que je n’aime pas, mais ce n’est pas notre truc. Donc on s’est classés par défaut en rock indé ou alternatif. La case un peu fourre-tout. Mais on a trouvé un truc à la fin qui nous est propre, le “piano-core”.
Justement, on y vient. Omniprésence du piano dans toutes vos compositions, ce n'est pas courant dans ce style de musique, mais c'est aussi votre signature. Pourquoi le piano ? Avec le chanteur, avait un autre groupe avant. Et j’étais avec lui en tant que ingénieur du son. Et à force de tourner on voyait toujours les mêmes groupes qui proposaient toujours les mêmes choses, avec les mêmes styles. Et nous, on avait à cœur de proposer quelque chose de différent. J'ai eu la chance quand j'étais gamin de jouer du piano. J'ai commencé le piano super tôt. Et on s'est dit que ce serait vraiment super fou de hurler sur du piano classique. Et à la première répète, on a halluciné de voir à quel point ça fonctionnait. On a trouvé que c'était super. Et que ça marchait bien en fait ce côté crier hurler sur un piano mélancolique, romantique. Et tu ajoutes une batterie derrière pour asseoir le tout. Je pense que c'était la double culture que j'avais eu : entre mes 5 ans et mes 15 ans, le piano classique. Et à cet âge-là, comme tous les gamins, j'ai écouté Nirvana. Et j'ai pété un boulard. Du coup, j'ai mis le piano de côté et je me suis mis à la gratte. Et puis vers mes 20-22 ans, je suis revenu à mes premières amours. Et c'est là que j'ai pu mixer les deux : le côté rock metal et le côté plus classique du piano.
Vous avez eu conscience que cela pouvait choquer ce piano et cette voix hurlée ? C'était un peu l'idée aussi que de mettre un pavé dans la mare. L'art c'est fait pour ça. L’art, de base, est fait pour provoquer des émotions. Et de l'autre côté cela se veut aussi non conventionnel, et c'est ce qui fait avancer les choses. Et c'est trop cool. A la base, c'était quelque chose de très personnel, d'où le nom My Own Private. Mais une fois que tu fais de la musique, de toute façon, elle appartient aux autres. Mais ça faisait partie du cahier des charges que de vouloir provoquer quelque chose.
Le trio est maintenant un quatuor, pourquoi ce choix de passer à quatre ? Ce que j'avais commencé à dire au départ, c’est qu’à trois sur scène, ça ne suffisait plus. Il manquait vraiment des fréquences. Il fallait qu'il y ait des basses fréquences, ce qu’un piano ne pouvait pas délivrer. Et le fait d’ajouter un deuxième clavier qui fait juste la texture, grosso modo les fondamentaux que je fais normalement de la main gauche. C'était très chouette et puis ça permet d'ajouter un peu d'electro, un peu de modernité. Et du coup, moi, ça va me permettre d'explorer d'autres pistes, voire même de me faire un peu fermer ma gueule au piano (Rires). Non, plus sérieusement, ça me permet de composer différemment et d'ouvrir encore plus le champ des possibles.
Je ne sais pas si Laure chante, mais cela pourrait aussi amener une voix féminine derrière ? J’avoue qu’on y avait pas pensé, mais pourquoi pas. C’est vrai que cela pourrait être intéressant. Ce n’est pas idiot. Ce n’est pas prévu comme ça, mais vraiment pourquoi pas.
On parle de votre musique comme ouverte et moderne, c'est vrai que dans le monde du metal, vous êtes un peu un ovni, même si tu disais non juste avant ?
Je pense qu'on était un ovni en 2007. Aujourd'hui, en 2024, avec ce nouvel album, je n’ai plus l’impression qu'on soit aussi ovni que ça. Tu vois, les nouveaux duos guitare batterie ou guitare basse genre Royal Blood, ce n’est plus du tout choquant. Mais il y a toujours ce côté “c'est un mec qui va hurler sur un piano”.
Il n’y en a pas tant que ça, des “hurleurs” sur un piano. Peut-être. Tu as raison. Mais je pense qu’au niveau du public, c’est devenu plus accessible. Et sur ce nouvel album, on est plus poppy qu’avant. On est plus sur des constructions avec des refrains, alors qu’avant, c’était uniquement des thématiques piano.
Cette manière de chanter, de hurler, c’est un exutoire, un besoin de sortir tout ça ? Ce n’est tout de même pas une douleur ? Oui, je pense. C’est dommage que le chanteur ne soit pas là pour en parler, mais c’est ce qu'on s’était dit quand on a monté le groupe. Les textes ne sont pas en Français car il m’avait dit qu’il ne voulait pas que sa maman comprenne ce qu’il dit car franchement, ce groupe lui permet d’exprimer, de se libérer de choses horribles. Et il en avait besoin. Il a des choses en lui qui n’étaient pas cool, et le fait de le hurler c’est ultra libérateur. C’est une thérapie.
Beaucoup de passages mélodiques, très sensibles, mais aussi beaucoup d'énergie et de puissance pour appuyer des textes très prenants, quels thèmes développez-vous dans cet album ? Il y a toujours ce côté très personnel, mais qui se veut à la fois très universel. Sur « Ka Ora » par exemple, il parle entre autres de la seconde guerre mondiale en Russie, où il y a des mecs qui faisaient péter des ponts, et d’autres qui les reconstruisaient. Mais l’hiver là-bas est très froid, et les gars bossaient les pieds dans l’eau et leurs jambes devenaient bleues à cause de ce froid. Et il fait un parallèle avec le fait de détruire une relation avec quelqu’un et ensuite d’essayer de la reconstruire. C’est difficile.
« We'll All Die (But You'll Die First) » est décrite comme une "fuck you song", qu'est-ce donc ? Alors là, pour le coup, il faut prendre la chanson au premier degré. Il ne faut pas aller chercher de multiples sens qu’il peut y avoir sur un jeu de mot ou sur une métaphore. C’est une “fuck you song”, c’est le côté bestial et primaire qui tranche avec le reste de l’album.
C’est une chanson “libératoire” ? Quand on est un groupe de musique, on écrit des choses sur ta musique. Et tant mieux car c’est un peu le but, mais tu lis ou tu vois des choses sur ton groupe ou sur toi-même par des gens qui te jugent, alors qu’ils ne te connaissent pas, et c’est une réponse à ça. On va tous mourir, mais toi, tu vas mourir avant moi (Rires).
Des chansons très accrocheuses avec des thèmes très noirs, mais aussi avec un peu d'espoir. Je pense à « Burn, And Light The Way » ou « All the Lights On » par exemple … Je ne sais pas. Je n’arrive plus à voir ça. On écrit ce que l’on est et on ne réfléchit pas à ce que cela va faire. On ne s'en rend pas compte. Après, on a tous grandi, on a tous des gamins, alors peut être qu’inconsciemment, effectivement, cela peut faire penser à de l’espoir.
Peut-être que ce sont les compos et les arrangements qui font ça. En tous cas, je l’ai ressenti comme ça. Tu as mis le doigt sur quelque chose que je n’avais pas vu, ou pas ressenti.
Comment travaillez-vous, qui fait quoi ? Je compose au piano. J’apporte une idée et on brode dessus. Jusqu’à présent c’était comme ça. Il y a eu un ou deux morceaux que l’on a composé directement à quatre, « We'll All Die » par exemple. C’est d’ailleurs là qu’il y a le moins de piano. Comme je te disais tout à l’heure, parfois je laisse la place. Ça fonctionne bien. On a trouvé nos marques comme ça.
Y-a-t-il des textes qui sont écrits avant la musique ? Avant oui. Aujourd'hui non. Il n’y a plus de textes en avance, Milka se laisse plus la liberté d’écouter ce que j’apporte. Ca lui évoque des images, des mots, c’est ce qui lui permet de construire ses textes par rapport à la musique. Ça fonctionne dans ce sens-là.
Quelles différences peux-tu noter depuis les débuts du groupe ? On est revenus à des choses plus mainstream. Au tout début, le cahier des charges était vraiment super précis. Il fallait hurler 100% du temps sur du piano triste, et taper très fort sur la batterie. Ca c’était sur la forme. Et sur le fond, il fallait proposer quelque chose de romantique. Aujourd’hui, on s’en fout un petit peu. On fait ce qu’on aime faire. On ne va pas se réinventer, c’est toujours un peu la même formule, mais si c’est plus convenu sur la structure des morceaux, on ne se l'interdit pas. On fait les deux maintenant, On ne s’interdit plus rien, c’est ça.
Que va-t-on retrouver sur scène ? Car les albums précédents sont quand même un peu différents ? Ça ne va pas être dur d’incorporer les anciens morceaux qui étaient, disons, plus bruts ? Non, je trouve quand même qu'il y a une certaine homogénéité quand j'y pense. Même si ce n’est pas facile de juger sa musique quand on est en train de la jouer. Et je n’aime pas écouter nos live. Mais pour en revenir à la question, non je ne pense pas car on trouve des points communs entre tous les morceaux, au moins dans l’énergie qu’on y met. J’ai vraiment ce sentiment d’homogénéité, donc on pourra jouer d’anciens titres sans problème, sans dénaturer. On va peut-être plus “mainstramiser” les morceaux qui ne l’étaient pas et aussi “bourriniser” les autres. Mais autrement, j’ai le sentiment que ça va très bien se passer.
Avez-vous toujours votre dress code particulier ? Vous semblez attacher beaucoup d'importance à l'image ... Oui oui (Rires). Justement, comme on ne fait pas du metal à proprement parler, on n’a pas l’esthétique qui va avec, le cuir, le noir, etc. Et puis il y a l’Alaska, la neige, le blanc, les grands espaces. On trouve que c’est bien. Et puis ça s’y prête. Sur scène, il y a quelque chose. Cela reflète les lumières. Et puis, je ne sais pas, mais, c’est notre identité.
Vous attachez donc beaucoup d’importance à l’image ... C’est une musique qui est, ou plutôt qui est considérée comme étant assez esthétique. Donc on est raccord avec ça. Avec tout ce qui concerne notre image, nos visuels, nos éléments de communications, nos vidéos. Après, on travaille souvent avec le même graphiste, on s’entend très bien avec lui. On adore ce qu’il fait. Et lui, il aime quand c’est très léché, quand ça évoque plusieurs sens, et c’est quelque chose qui nous va bien. Ce n’est pas notre volonté d’être différent des autres. Mais j’ai une trop haute estime de la musique, et du metal en général, pour ne pas proposer ma vision du truc et essayer d’élargir le panel des possibilités. Alors, c’est vrai qu’on pourrait nous classer différemment que metal, et l’avantage, c’est qu’on pourrait jouer partout.
Merci pour cette interview. Un grand merci à toi.
Propos recueillis par Yann Charles
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