samedi, 30 octobre 2004 FESTIVAL DE LA CHANSON FRANCAISE D'AIX-EN-PROVENCE ET DU PAYS D'AIX
Du 26 au 30 octobre 2004
Le Festival de la Chanson Française d'Aix-en-Provence et du Pays d'Aix fêtait son deuxième anniversaire, du 26 au 30 octobre 2004. Impulsé l'an dernier, ce festival a pour but de promouvoir la scène francophone dans toute sa diversité. Et c'est un programme alléchant qui nous était proposé, tant du point de vue des " routiers " de la scène française -à l'image de Sheller, Miossec ou Mano Solo- que des groupes moins connus -Ü, Karpatt.... De fait, cette semaine a été grandiose, même si l'on peut regretter le prix de certaines places -lors des concerts-événements essentiellement.
On ne peut néanmoins que souhaiter une troisième édition aussi passionnante...
www.festival-chanson-aix.com
WILLIAM SHELLER 26 octobre 2004 au Pasino ~ Aix-en-Provence
C'est dans le cadre feutré du Pasino que nous assistons à la représentation de William Sheller. Les spectateurs, initiés ou non, remplissent la salle de concert, les portes se ferment et la salle est plongée dans une semi pénombre que seuls éclairent les projecteurs sur scène. Le spectacle débute par un hommage bref mais poignant à Serge Reggiani, disparu récemment. Corinne le Poulain nous lit quelques lettres de l'artiste, notamment " Lettre de Serge Reggiani à Serge Reggiani ". La voix est douce, sans fioriture. Les lettres sont belles, révélant une sorte d'introspection de l'artiste. Les lumières s'éteignent, la place est faite à William Sheller.
Un piano, un chanteur. Voilà tout ce qui ornemente la scène. Dès les premiers accords, l'atmosphère devient intime. Les chansons s'enchaînent : " Basket Ball ", " Maman est folle ", " Nicolas "... A chaque nouvelle chanson, Sheller prend le temps de raconter la genèse de sa composition : cet artiste cultive sa relation avec le public, sans pour autant être pesant. Tout est affaire de classe et chaque histoire racontée nous touche : des souvenirs de l'enfance aux premières amours, il y a chez Sheller quelque chose d'universel. Les textes sont simples et décharnés, ils sont l'histoire de la vie... Et lorsqu'il entonne " Les Miroirs dans la Boue ", c'est tout un tas de frissons qui nous parcourent le corps.
Sheller est un voyageur de la musique et il prend des bouts de vie par-ci par-là pour en faire des compositions : ainsi de " Genève ", souvenirs d'un voyage en Suisse... Il enchaîne harmonieusement compositions célèbres, telle " Fier et Fou de Vous ", et chansons issues de son dernier album -Epure, telle " Chanson d'Automne " ; un dernier album qui, entre parenthèse, est un véritable bijou... Sheller sur scène, c'est un peu un cinéma à lui tout seul, à l'exception qu'il nous raconte moult histoires quand un film n'en est qu'une. On aime, on applaudit, on en redemande. " Je ne pouvais pas m'en aller sans vous la faire ", nous déclare l'artiste, et quelques secondes plus tard, il entonne la célébrissime chanson " Un Homme Heureux "...
Sheller est un artiste tel qu'on les aime : simple et vrai, il joue sans partition et connaît ses compositions sur le bout des doigts. " La c'est comme une image/ Tu t'imagines dans une cage/ Et tu pleures ", chante-t-il dans " Je cours tout Seul " : continuez votre route Monsieur Sheller, la solitude vous va si bien...
COMPAGNIE VITA NOVA 27 octobre 2004 à l'espace St Jean ~ Aix-en-Provence
Dans un décore épuré, Stéphane Ropa nous invite à suivre les traces d'un Georges Brassens peu connu : celui des années pauvres, avant la gloire... Le spectacle s'appelle La Lune écoute aux Portes et il est placé sous le signe du handicap -plusieurs personnes handicapées ont ainsi été invitées.
Le comédien nous livre la vie de Brassens sur fond de lettres avec son ami Roger. Un spectacle mi-narré, mi-chanté, que l'on prend plaisir à écouter. On y découvre des chansons connues et d'autres beaucoup moins. Ropa parle le Brassens, sans aucun doute et c'est avec une voix grave et poignante qu'il nous interprète les chansons de l'auteur-compositeur : " Les Amoureux des Bancs Publics ", " Le Pornographe "... On y découvre le Brassens pauvre et l'on vit véritablement son histoire à travers ses textes. " Qu'est-ce que ça veut dire un regard qu'on aime ? [...] C'est la douloureuse conscience de l'amour. " Et si on ne l'était pas déjà, ce spectacle nous rend amoureux de Brassens, tellement les textes sont bien choisis. Les musiciens, quoiqu'un peu effacés, sont impeccables. La musique laisse place à une émotion certaine, cernée de paroles vibrantes sur l'amour et l'amitié, deux thèmes que Brassens affectionnait particulièrement. Et lorsque Stéphane Ropa entonne " Les Copains d'Abord ", on oublie vite la chanson succès jouée par tout guitariste pour mieux s'attacher au sens profond du texte : Ropa sait rendre vivant Brassens sans le dénaturer. " Je pense que l'amitié c'est d'aimer les autres et de bien les aimer, sans restriction ". Ainsi était Brassens, vrai, et s'attachant aux choses importantes de la vie. " Je t'aime un peu, beaucoup, ne sont pas de mon goût " : et certes, après ce spectacle, on ne peut qu'aimer tout court, sans mot, juste avec ses sensations, un homme qui a fait vibrer une nation entière...
MIOSSEC 27 octobre 2004 à la salle du Bois de l'Aune ~ Aix-en-Provence www.travisburki.com (site internet Ü) La première partie est assuré par un jeune groupe : Ü. Deux musiciens, un guitariste-chanteur et un violoniste pour une première partie fraîche et assez bonne enfant. Ü nous interprète " Les Papillons " ou encore " Dans la Joie ", deux chansons tirées de son dernier album -sortie novembre 2004. L'ambiance est sympathique, la musique enchaîne, du rock à des morceaux aux sonorités plus folkloriques. Derrière l'apparente bonhomie des textes agrémentés de pointes d'humour, Ü raconte la vie, l'enfance, les vicissitudes de l'amour et ses bonheurs aussi.
Ü est un artiste charismatique qui mérite le détour : il joue de son physique de beau gosse pour faire mieux passer le message et sait capter l'attention d'un public somme toute clairsemé. De plus, sa voix grave, aux accents parfois un peu rocailleux, plaît et ne nous laisse pas indifférent. La combinaison guitare-violon fait mouche et crée une sonorité particulière, plaisante. Ü est résolument décalé mais cela ne l'empêche pas de toucher juste et de nous plaire. Un jeune talent à suivre....
Après quelques minutes d'attentes, Miossec entre en scène, suivi de ses musiciens : pianiste, bassiste, guitaristes, rien ne manque au représentant de la scène alternative française. Les jeux de lumière sont époustouflants, la musique se promène entre les volutes de cigarette du chanteur. Le public n'est pas venu en masse, peut-être à cause du prix des places -qui s'étalonnent de 30 à 35 euros pour ce genre de concert... Quelques Bretons agitent fièrement le drapeau de leur région, sous les quolibets de Miossec : " C'est chiant d'avoir un public breton ! ". Il les gratifie cependant d'un " Brest " époustouflant, issu du tout dernier album -1964.
Le concert se poursuit et, au fur et à mesure, on se dit qu'on a bien fait de venir : tout est là, de la voix embrumée -et peut-être un peu inaudible parfois- au timbre léger de Miossec, jusqu'aux mélodies rock comme on les aime, agrémentées de solos super propres d'un guitariste doué...
On sent Miossec lancé dans l'aventure du concert. Jean-Louis Pierot, son pianiste, nous raconte, lors d'une interview, sa rencontre avec Miossec et le départ pour l'aventure scénique : " Au départ, il m'a appelé pour jouer dans son dernier album. Comme on s'entendait bien, je suis parti avec lui. [...] Miossec est super professionnel... ". Et ça se sent, tout est impeccable, même si le chanteur est assez intelligent pour laisser une part d'imprévu et reste proche du public. On sent chez Miossec une certaine pudeur, tant dans son jeu scénique, poussé au minimum, que dans son attitude, super sobre. " Miossec est quelqu'un de très timide, poursuit Jean-Louis Pierot. Cependant, moi j'adore quand il y a de l'imprévu ". De l'imprévu, il n'y en aura pas ce soir-là, le public n'étant apparemment pas des plus réceptifs : " Miossec était furieux quand il a appris le prix des places... ".
Mais ce qui ressort du concert, ce n'est pas le public, c'est cette envie de l'artiste de faire passer quelque chose à travers sa musique et Miossec y arrive parfaitement. Il nous livre un récital très rock et... sensuel. L'amour, la fidélité -" Mon Amour ", l'alcool, la déprime : Miossec sait s'exprimer avec sensualité, tout en lançant parfois des mots francs et sans chichi. C'est cette verve parfois crue que l'on aime chez lui. Et malgré la quasi absence du public, nous, on en voulait encore plus...
HUBERT FELIX THIEFAINE 28 octobre 2004 au théâtre du jeu de Paume ~ Aix-en-Provence
C'est dans un théâtre archicomble -enfin !- que Thiéfaine fait son apparition. Des cris, des applaudissements ; on sent les fans, les vrais. Arrivée en chantant : voix grave, cassée, agrémentée de guitare folk. Car Thiéfaine a lâché ses musiciens et se retrouve seul sur scène, avec ses assistants. " Avant c'était le bordel, on arrivait avec des camions et tout ça. Maintenant, c'est la dèche ! Une camionnette suffit ! ". Après quelques chansons, l'artiste prend l'harmonica et dans les morceaux qui suivent, on a des réminiscences de Dylan. Le chant est profond et les chansons magnifiques. C'est alors que ce concert prend une tournure plutôt... spéciale. Thiéfaine s'assoit sur le bord de la scène, devant le public. " Vous, vous êtes assis, tranquilles, moi je me fais chier debout ". Et il parle, de tout, de rien. Il reprend le début d'une chanson, il s'arrête à nouveau : ce concert devient étrange... Il fait preuve d'un humour caustique mais parfois, il faut l'avouer, ces arrêts répétés sont lassants... En fait, Thiéfaine, à y bien réfléchir, concentre peut-être toutes les peurs de l'artiste et tente de les exorciser : la peur du bide, la peur de l'oubli... -" Merde, c'est moi qui ai écrit ça ? J'm'en souviens plus! ".
Malgré tout, le concert reprend une tournure un peu plus " normale ". L'émotion est à son comble lorsque l'artiste entonne " La déche, le Twist et le reste ", l'une des plus belles chansons qu'il m'ait été donné lieu d'entendre. On aime Thiéfaine parce qu'il dérange, parce qu'il dit des choses trop vraies pour ne pas nous sembler fausses. On l'aime parce qu'à la fin du spectacle, il attend que les gens partent pour faire son dernier rappel. On l'aime pour sa non conventionalité et l'amour qu'il met dans l'interprétation de ses chansons -lorsqu'il les interprète en entier... On peut lui reprocher quelques fausses notes et des sons un peu dérangeants mais lorsque l'on connaît la difficulté de tenir rien que quelques minutes sur une guitare folk, on le pardonne aisément. Enfin, on l'aime parce que l'on met bien une semaine à s'apercevoir que l'on assisté à un concert exceptionnel... Du brut de scène, tout simplement...
MANO SOLO & KARPATT 29 octobre 2004 à la salle du Bois de l'Aune ~ Aix-en-Provence www.karpatt.com
On l'attendait celui-là ! Et nous n'avons pas été déçus car, du début à la fin, ce concert était sans nul doute, le plus chaud de toute la semaine !
Et dès le départ, on rentre dans le vif du sujet avec un jeune groupe, véritable révélation de la semaine. Ils s'appellent Karpatt et ils sont trois : Fred Rollat et Gaëtan Lerat aux guitares et Hervé Jegousso à la contrebasse -voir l'interview avec le chanteur dans la rubrique " interviews ". D'entrée, on plonge dans les sons manouches, à la Django, on dérive sur les Têtes Raides, et on a des accents de Brel avec " Léon ". Karpatt, c'est la musique écrite pour danser et se faire plaisir : et, on peut le dire sans rougir, ce n'est que du bonheur. Le public ne s'y trompe pas : ils ont fait des économies les jeunes, mais ils sont venus en masse et la soirée s'annonce chaude ! Karpatt joue avec le public, fait des plaisanteries : " On a écrit une chanson : elle s'appelle PSG pour toujours ! ", et met le feu. Tout le monde chante, danse et on sent vraiment la salle en fête. Enfin, la salle est à point pour accueillir la star du soir. Une dernière chanson de Karpatt, tirée du dernier album -Dans le Caillou, " Léon ", et le groupe s'efface. Il reviendra jouer avec Mano Solo...
Mano Solo fait alors son entrée avec ses musiciens : tonnerre d'applaudissements. Le matériel est assez impressionnant : percussions, guitares, batterie, basse, cuivres, tout y est. Il faut dire que pour son dernier album, Les Animals, Solo a changé ses musiciens et même son arrangeur : cela joue forcément et ce concert a des sonorités rock et ska très prononcées. Tout cela a pour but d'enflammer une salle déjà bien chauffée par le groupe précédent.
Tout a de quoi faire rêver, de la voix de Solo, magnifique de limpidité et de beauté, à l'ambiance magique qui règne alors dans la salle du Bois de l'Aulne. Rien n'est laissé au hasard et l'on sent chez Solo un professionnalisme doublé d'un amour de la scène et de son public. Il faut dire qu'il y chez cet homme-là une dimension charismatique indéniable, qui prend toute sa mesure en concert. Quelques titres du dernier album sont interprétés, tels " Paris Avance ", chanson poignante et pénétrante, ou encore " Les rêves du Cœur ". On sent chez l'artiste, à travers ses compositions, un réel amour pour la ville au " Sacré Cœur " et il arrive, par ses textes impeccables, à nous décrire le Paris que tout Français a dans son cœur : celui des illusions, celui des peines, mais aussi et surtout le Paris onirique, celui des rêves amoureux les plus fous et les plus beaux.
C'est avec un génie scénique assez extraordinaire que Mano Solo arrive à nous captiver, à nous faire monter sur scène avec lui. Et lorsqu'il demande à Karpatt de le rejoindre pour " une valse ", on se prend à danser ; certains sont même invités à monter sur scène. C'est une ambiance de fête qui nous empoigne et nous tient bien, jusqu'au bout du concert. On oublie le Solo malade, fatigué, pour ne voir qu'un être de chansons, véritable bête de scène et sûrement l'un de nos meilleurs artistes actuels. " Les rues sont pleines d'âme en peine " : la salle est, en tous cas, remplie d'âmes en joie et tout le monde entonne avec le chanteur le " sha la la la " typique du refrain : " Y'a rien de plus chiant que quand le public chante avec toi ! Vous chantez comme des pieds ". Enfin quelqu'un qui ne mâche pas ses mots ! Et il a raison , Solo : de toute façon, personne ne rivalisera avec lui dans l'interprétation si passionnée et si vrai de ses chansons. A quand la prochaine tournée ?...
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