Accueil du portail Zicazic.com


Zicazic on Twitter. Zicazic on Facebook.

Flux RSS ZICAZINE

Qu'est-ce que c'est ?




Accueil arrow PINETOP PERKINS BLUES FOUNDATION WORKSHOP à CLARKSDALE (USA)

> MENU
 Accueil
 ----------------
 Chroniques CD's
 Concerts
 Interviews
 Dossiers
 ----------------

PINETOP PERKINS BLUES FOUNDATION WORKSHOP à CLARKSDALE (USA) pdf print E-mail
Ecrit par Fred Delforge  
lundi, 19 juin 2023
 

PINETOP PERKINS BLUES FOUNDATION WORKSHOP
SHACK UP INN – CLARKSDALE (MISSISSIPPI)
Du 9 au 18 juin 2023

https://pinetopperkinsfoundation.org/workshop  
https://europeanbluesunion.com 


C’est avec toujours autant de plaisir que nous avons, en partenariat avec France Blues et l’European Blues Union, la chance et le plaisir d’accompagner des musiciens européens au Pinetop Perkins Foundation Workshop à Clarksdale … Au programme, quelques jours de cours techniques et des grosses jams avant un concert final au Ground Zero Blues Club, et tout ça avec des musiciens qui font partie des meilleurs de la scène blues mondiale, mais nous aurons l’occasion d’en reparler rapidement après un petit temps d’acclimatation et de découverte des environs de Memphis mais aussi du Mississippi.

Vendredi 9 juin – Sur la route de Memphis :

La route est longue depuis l’Europe et c’est à l’aéroport de Memphis que nous retrouvons deux jeunes participants Français, Basile et Matéo, avant de foncer en ville pour retrouver le dernier des trois stagiaires, Matt, un jeune Italien d’origine sicilienne qui débute une carrière musicale en Norvège. Les présentations se font tout naturellement sur Beale Street et très vite la relation s’établit, chacun ayant en commun une passion pour le blues et quelques artistes favoris comme Eric Gales par exemple, le fameux Memphien que nous ne pourrons malheureusement pas leur présenter demain puisqu’il est en tournée dans toute l’Amérique.

Le temps de partager un premier repas au Blues City Café et après seulement deux couples d’heures passés en ville et pas moins de sept heures de décalage horaire, les jeunes gens seront invités par Blind Mississippi Morris, célèbre musicien du cru et grand habitué des lieux, à monter sur scène à ses côtés et à interpréter quelques titres en sa compagnie. Un premier temps fort car quand on n’a qu’une vingtaine d’années, se retrouver sur scène dans le berceau du blues dès son arrivée est forcément un moment inoubliable. De B.B. King à Muddy Waters, tous les classiques y passeront et c’est à minuit pétantes que l’artiste mettra fin à son concert avec à ses côtés Basile qui l’accompagnera dans un ultime « Got My Mojo Working ».

Il y a une grosse trentaine d’heures que nous sommes réveillés les uns et les autres et il sera donc temps d’aller recharger les batteries car la journée de demains risque d’être mouvementée !

Samedi 10 juin : Memphis, mode d’emploi …

Contre toute attente, le jetlag n’a pas fait son boulot et les jeunes trainassent tranquillement au lit pendant que l’on s’affaire tranquillement en les attendant. Au point même que l’on en arrive à manquer le petit déjeuner et que c’est carrément le ventre vide que nous partons pour Soulsville où nous allons forcément faire notre traditionnelle visite chez Stax. Le musée des légendaires studios de Memphis a décidé de rendre hommage à Tina Turner et à Floyd Newman en inscrivant leur nom sur son fronton et c’est en ayant une pensée pour la chanteuse et pour le saxophoniste que nous entrons dans ces lieux chargés d’histoire où la soul a pris une toute autre envergure … Outre les divers objets exposés parmi lesquels la Cadillac dorée d’Isaac Hayes, on peut apprécier le studio qui est toutefois dépourvu de sa console originelle puisque cette dernière est désormais à Notodden, en Norvège, et que pour l’anecdote, Matt a eu la chance d’enregistrer dessus lors de son passage à la Little Steven Blues School en 2022, organisé là encore en collaboration avec l’European Blues Union.

On profite de la visite dans le quartier pour trainer dans des rues où la paupérisation a fait son sale boulot et où les maisons aux façades décrépies et aux toits défoncés mais aussi les épaves de voitures sont légion et on croise ces gens démunis mais dignes et fiers qui n’hésitent pas une seconde à vous rendre un sourire quand vous leur en adressez un, à vous donner le renseignement que vous leur demandez pour vous rendre dans un endroit particulier, quand bien même vous le savez pertinemment mais que votre seul but est de parler une minute avec eux, et pourquoi pas de leur glisser dans la main le petit billet qui leur permettra de se payer un petit plus pour améliorer l’ordinaire. On passe forcément par la maison natale d’Aretha Franklin qui patiente paisiblement derrière son grillage de protection et on fait un arrêt express devant Royal Studio où votre serviteur fait une halte en solo pour aller serrer la main du jeune Elijah Mitchell, dont la vie a basculé le 17 aout 2020 à cause de la jalousie d’un homme et du lobby des armes qui permet à tout Américain de commettre l’irréparable un jour.

Après un arrêt repas bien mérité au très fameux Four Way, restaurant toujours aussi fréquenté et aussi brillant pour proposer une délicieuse soul food, nous partirons à la découverte de cette ville pleine de contrastes qu’est Memphis et nous proposerons aux jeunes quelques rencontres, à commencer par une longue conversation avec Jay Sieleman, ancien dirigeant de la Blues Foundation qui nous expliquera une fois encore que le blues est non seulement une musique mais aussi et surtout un état d’esprit qui peut s’installer chez qui que ce soit et le pousser à faire tout son possible pour faire que les choses évoluent dans le bon sens. On évoque également les grands musiciens disparus, les amis communs toujours très présents sur la scène internationale, on prend des nouvelles de la santé et des activités des uns et des autres et c’est finalement un moment très constructif que nous passerons à Wiseacre, une brasserie locale qui propose des bières de qualité si tant est que l’on ait dépassé la barre fatidique des 21 ans.

C’est ensuite du côté de Beale Street que nous poursuivrons la soirée, avec quelques déambulations dans la rue est ses divers clubs et magasins, avec bien évidemment un passage chez Schwab, le temple local de l’objet plus ou moins inutile que tout le monde rêve de posséder au moment même où il le découvre. Un nouveau repas au Blues City Café où Blind Mississippi Morris se produit aujourd’hui encore, comme pratiquement chaque soir, et une nouvelle aberration en constatant que Beal Street est de nouveau sous cloche le soir et que son accès est soumis à une fouille de sécurité, à un contrôle d’identité et à une taxe de 5$ dès que le derniers coups de 19 heures ont sonné. A la nuit tombée, les badauds trainent donc autour du quartier dans des bus sans toit ou sur des bars roulants mus à la seule force des mollets et s’abreuvent jusqu’à plus soif en beuglant des chansons populaires tandis que les clubs sont désertés et que les amateurs de musique filent vers Cooper-Young, le nouveau district de la culture où les lieux où l’on écoute de la musique sont de plus en plus présents.

En attendant d’aller rejoindre notre hôtel pour profiter d’un repos bien mérité, nous ferons encore un rapide tour du côté de l’Arkansas voisin pour mieux revenir par le pont sur le Mississippi avec une vue nocturne sur la ville et nous marquerons un ultime arrêt près de la superbe I Am A Man Plazza qui, de nuit, est encore plus marquante … Les kids sont fatigués et leur guide ne l’est pas moins !

Dimanche 11 juin : Memphis vaut bien une messe …

Quand les touristes viennent à Memphis, il est fréquent qu’ils se rendent à la Full Gospel Tabernacle Church d’Al Green pour y assister à la messe célébrée par le Reverend Al Green … En ce qui nous concerne, nous avons pris l’habitude d’accompagner les gens qui voyagent en notre compagnie dans une église bien moins célèbre mais d’autant plus authentique qu’elle n’est fréquentée que pas des locaux. La Peace Baptist Church nous accueille donc depuis plus d’une décennie dans le quartier populaire de Douglass, qui porte son nom en l’honneur de Frederik Douglass, esclave ayant parvenu à s’instruire puis à s’enfuir avant de devenir un célèbre orateur et un haut fonctionnaire américain. C’est un endroit exclusivement fréquenté par la communauté noire locale qui a comme particularité d’être particulièrement accueillante et avec laquelle, au fin des ans, nous avons réussi à tisser des liens d’amitié très forts. Nous y sommes accueillis à chaque fois avec moultes embrassades et poignées de mains qui nous rappellent qu’au fil des ans, nous sommes devenus de véritables membres de la famille.

Habituellement, les artistes qui nous accompagnent sont invités à se joindre aux musiciens de l’église pour interpréter un morceau, mais comme chacune de nos visites est différente, cette fois les jeunes stagiaires du Pinetop Perkins Foundation Workshop ne seront pas conviés à jouer de la musique mais pourront pleinement profiter de la superbe chorale emmenée par une chanteuse d’exception superbement secondée par des musiciens de très grande qualité, le batteur du groupe se révélant être lui aussi un chanteur plein de classe qui, à la fin de sa prestation, viendra nous demander de saluer les organisateurs du Porretta Soul Festival en Emilie-Romagne où il se produira en juillet 2024. En quatre-vingt-dix minutes de gospel, de sermons et d’hommages en tous genres, les fidèles parviendront à créer une osmose parfaite à laquelle nous nous intègrerons tant et si bien que nous serons conviés à la fin de la messe à partager le couvert avec eux au sein même de l’église avec au menu de superbes saucisses, du coleslaw maison et de la salade de pommes de terres totalement fabuleuse, le tout dans une ambiance formidable avec des gens qui ne le sont pas moins. Un moment inoubliable pour de jeunes gens qui, en revanche, n’auront pas eu la chance de voir Al Green.

On s’autorise un moment de détente dans l’après-midi et c’est tout naturellement sur Beale Street que les jeunes iront le passer tandis que nous finissons de compléter notre petit groupe le soir en allant récupérer l’ami Greg à l’aéroport. Au retour, notre hôtel qui est actuellement difficile d’accès en raison de travaux titanesques sur l’Interstate-55 est qui plus est totalement plongé dans le noir en raison d’une panne d’électricité qui durera au moins jusqu’au lendemain. On dépose donc la valise du nouvel arrivant et on fonce vers le Blues City Café, encore lui, où l’on retrouve les kids devant un super groupe local, Freeworld, qui affiche plus de trente-cinq années au compteur et qui revendique des influences allant de Booker T. & The M.G.’s jusqu’à Frank Zappa en passant par John Coltrane et The Grateful Dead. Après avoir partagé la scène avec les plus grands musiciens internationaux, les musiciens inviteront Matt à faire le show à leurs côtés pour deux titres endiablés puis ce seront Basile et Matéo qui en feront autant pour deux titres de plus. Encore un très bon souvenir que nous jeunes talents garderont longtemps en mémoire, d’autant plus que le club copieusement garni leur a offert des tonnerres d’applaudissements.

Le cocktail panne d’électricité combiné avec l’absence de climatisation, la présence de moustiques et deux appels venus de France fera son effet et c’est après une nuit quasiment blanche que nous pourrons repartir, et sans petit déjeuner bien entendu puisque la machine à café est électrique …

Lundi 12 juin : de Memphis à Jackson …

C’est de bonne heure, mais un peu fatigués quand même après cette mauvaise nuit, que nous quittons le River Bluff In pour prendre la direction de Como avec en cours de route un passage express devant Graceland et une route tranquille qui nous conduira vers cette paisible bourgade où trois markers de la Mississippi Blues Trail se fond de l’œil sur Main Street. Malheureusement l’antiquaire local est fermé et nous partons donc rapidement adresser un salut à Fred McDowell qui repose dans un cimetière en dehors de la ville depuis juillet 1972. Et pour mieux poursuivre notre pèlerinage en l’honneur des bluesmen de légende, nous filerons ensuite très vite vers Greenwood pour rendre hommage au Roi du Delta Blues, Robert Johnson, dont la sépulture officielle a été authentifiée près de la Little Zion Missionary Baptist Church sur Money Road. Un des temps forts du voyage pour de jeunes musiciens qui vouent un culte tout particulier pour le bluesman le plus célèbre et le plus médiatisé des années 30 jusqu’à nos jours.

Si marcher sur la trace des musiciens disparus est toujours une chose marquante, partir à la rencontre de ceux qui perpétuent le genre est quelque chose d’inoubliable et la suite de cette journée va nous le prouver puisqu’en suivant le timing le plus juste, nous arrivons les premiers au Blue Front Café de Jimmy Duck Holmes à Bentonia, ce dernier décidant de sortir les amplis et d’installer nos jeunes sous le front porch pour ce qui va devenir un moment inoubliables puisque Matt et Basile joueront même quelques notes avec le propriétaire des lieux, mais aussi et surtout parce que tous les amateurs de blues présents aux alentours, et il y en a, viendront s’installer sur la terrasse qui accueillera dans quelques jours le festival organisé par le club et écouteront religieusement les deux jeunes artistes qui nous ont offert une très belle prestation ! Saluée et remerciée par l’assistance et par le maître des lieux, et pourtant il en a vu d’autres puisque les Black Keys sont venus enregistrer au Blue Front Café, notre petite troupe européenne se montrera enchantée de cette nouvelle expérience.

On file maintenant vers Jackson où nous arrivons à peine une heure avant le début du Blue Monday organisé au Hal & Mal’s par Central Mississippi Blues Society et c’est accueillis par Peggy Brown en personne que nous prenons place dans les lieux en attendant le début de la jam qui, comme chaque semaine, va rassembler tous les amateurs de blues de la région. Une chose est évidente, les musiciens du cru jouent et se font plaisir mais notre équipe qui se connait depuis très peu de temps donne déjà le change et c’est emmenée par Matt au chant et à la guitare, Matéo à la basse et Basile à la batterie qu’elle nous offrira deux titres qui, une fois encore, mettront littéralement le feu à un lieu mythique qui en a pourtant vu passer d’autres. Ces trois jeunes musiciens ont réussi à se trouver et il y a fort à parier que les prochains jours nous réserveront des moments incroyables !

On file maintenant vers notre hôtel, bien plus luxueux que la précédent, profiter d’une dernière nuit de repos avant d’entrer dès demain dans le vif du sujet, non sns quelques belles visites au programme et bien évidemment des retrouvailles chaleureuses avec l’équipe et les stagiaires du Pinetop Perkins Foundation Workshop !

Mardi 13 juin : En route pour Clarksdale !

La nuit a été courte mais réparatrice et après un véritable petit-déjeuner, nous prenons la route qui nous emmènera vers Clarksdale avec trois étapes majeures au fil des kilomètres. Si les paysages sont somme toute quelque peu monotones, le parcours est parsemé de nombre de petits détails qui attirent l’œil avec des petits bouts de marécages, des épandeurs qui nous survolent ou encore des markers de la Mississippi Blues Trail qui surgissent de temps à autres sur le bord de la route. On marque ainsi un premier arrêt à Belzoni, le lieu de naissance de Pinetop Perkins, et on jette un œil attristé sur les cabanes où le bluesman a vu le jour qui, au fil des années, tombent de plus en plus en décrépitude, malgré la présence juste à côté d’un musée.

On continue maintenant vers Indianola et on y retrouve notre ami Robert Terrell qui nous attend devant le B.B. King Museum & Delta Interpretive Center, superbe endroit que les jeunes se feront un véritable plaisir de découvrir avant d’aller se recueillir sur la tombe du plus grand des bluesmen … Mais plus qu’une simple visite, c’est la totale qui leur est offerte ce matin avec la découverte du Club Ebony qui connait une nouvelle jeunesse et qui abrite depuis quelques semaines une scène totalement remaniée mais aussi un espace restauration et enfin une partie présentation dans laquelle l’histoire de ce club mythique du Chitlin Circuit est retracée … Doté dorénavant d’une seule scène au fond du club contre deux scènes latérales auparavant, le Club Ebony dans sa nouvelle version redevient l’un des endroit mythiques que les plus grands musiciens vont vouloir fréquenter. A noter également que la façade et le front porch, entièrement rénovés eux aussi, conservent leur apparence originelle pour le plus grand plaisir des connaisseurs de ce juke joint cher à B.B. King.

On s’offre ensuite un arrêt chez Crown, une épicerie-galerie d’art-restaurant pleine de charme avec son service distingué, son pain de maïs maison et ses plats pleins de saveur et c’est autour de la fameuse lemonade servie à la carafe que nous dégustons les catfish, le fameux poulet Allison ou encore les Po’Boys proposés dans une version gastronomique qui a fait la réputation du lieu. Il est temps dès lors de reprendre la route pour rejoindre Clarksdale et le Shack Up Inn, non sans faire un rapide arrêt à Dockery Farms pour montrer et pour expliquer à notre petit groupe l’endroit et les conditions dans lesquelles est né le blues dans cette région où les souffrances infligées aux esclaves et l’exploitation qui en a été faite après leur affranchissement. A la fois triste et révoltante mais aussi ponctuée de tant d’espoirs et de tant d’ingéniosité pour s’en sortir et redresser la tête, l’histoire de ces jeunes gens qui ont traversé les océans contre leur gré pour y connaitre un sort peu avenant et des traitements inhumains trouve aujourd’hui une réponse non pas équitable mais tout au moins légitime aux souffrances endurées dans un passé pas si éloigné que ça, passé dont quelques réminiscences qui donnent la nausée subsistent encore dans différents endroits …

L’installation au Shack Up Inn est toujours un moment fort quand on y arrive pour la première fois, alors imaginez quand on y croise dans la file d’attente pour l’enregistrement des musiciens comme Bob Margolin … C’est avec les yeux qui pétillent que les jeunes découvriront cet endroit surprenant en attendant la présentation du stage par les organisateurs et après le traditionnel diner BBQ qui ouvre cette série de rencontres de quatre jours, c’est une première jam session qui attend les participants avec pour commencer celles des professeurs parmi lesquels Doug MacLeod à la guitare acoustique, Lisa Biales au chant, Bob Margolin et Johnny Burgin aux guitares, Bob Stroger et Heather Crosse à la basse, Billy Branch aux harmonicas et Lee Williams à la batterie. Viendront ensuite les élèves qui monteront sur la scène du Hopson Commissary pour des prestations en petits groupes improvisés au sein desquels on retrouvera tour à tour Basile, Matt et Matéo pour des prestations totalement endiablées avec des stagiaires déjà croisés les années précédentes ou avec d’autres newcomers ! Cette édition 2023 ne pouvait nous offrir plus belle soirée d’ouverture …

Il est maintenant temps de rejoindre nos shacks pour profiter du confort vintage et des lits bien confortables qui nous tendent les bras pour notre première nuit à Clarksdale en attendant les premiers cours demain matin.

Mercredi 14 juin : une journée de stage dans le delta

La journée promet d’être belle et fructueuse et les stagiaires du Pinetop Perkins Foundation Workshop prennent place dans les classes sans se faire prier pour boire les paroles mais aussi les notes de leurs instructeurs. Comment mesurer la chance qu’ont Basile et Matt de pouvoir profiter des enseignements prodigués par Johnny Burgin et Bob Margolin qui leur expliquent que la technique est une chose importante bien entendu, mais qui insistent également sur l’importance de bien doser son jeu et trouvant le juste équilibre entre les notes et les silences pour que le résultat ne se transforme pas en une avalanche de notes quelque peu diarrhéique. De leur côté, les élèves des autres classes se régalent avec des professeurs de très haut niveau et après deux premières heures de travail, c’est sous le front porch de Hopson Commissary que nous tirons le portrait souvenir de cette édition très prometteuse.

Après le déjeuner, les élèves repartent en atelier pour faire tourner leurs premiers morceaux puis vers 16 heures, c’est dans Clarksdale qu’ils se retrouvent pour une présentation de la ville et de son histoire qui se révèle très intéressante. Nous profitons également de ce temps libre pour aller faire un rapide passage du côté de Glendora et offrir la bande dessinée « Emmett Till » d’Arnaud Floch au conservateur de l’Emmett Till Historic Intrepid Center (E.T.H.I.C.), un cadeau que nous lui avions promis il y a un an. Superbement racontée par l’auteur, cette histoire tragique est toujours aussi révoltante et il n’est jamais anodin de passer près du Black Bayou où le corps atrocement mutilé du jeune adolescent a été retrouvé le 28 aout 1955. Nous profiterons du retour pour aller rendre hommage à Pinetop Perkins sur sa dernière demeure à seulement quelques miles au Nord de la ville.

Si la journée a commencé par un énorme orage, c’est sous le soleil et dans une chaleur moite qu’elle s’est déroulée et après un rapide repas pris en ville, c’est au Hopson Commissary que l’on retrouvera élèves et professeurs pour une des traditionnelles jam sessions qui finissent de mettre les jeunes musiciens dans l’ambiance des juke joints su Mississippi. Cette première journée entière de stage a été longue et bien remplie et il ne faut pas nous prier bien longtemps pour que nous regagnions notre shack pour une nuit de sommeil réparatrice.

Jeudi 15 juin : seconde journée de stage à Clarksdale

C’est avec plein d’entrain que les jeunes retrouvent leurs professeurs pour une nouvelle journée entière de cours durant laquelle ils vont encore apprendre des tonnes de nouvelles choses qui leur serviront plus tard dans leur carrière, le tout dans la bonne humeur et dans une convivialité qui fait plaisir à voir. Nous profitons de ce temps studieux pour laisser les jeunes faire leurs affaires et nous partons faire un tour dans le delta en direction de Leland où malheureusement le Highway 61 Museum est une fois encore fermé, ce qui nous donnera l’occasion de visiter pour la première fois le musée de Kermit la Grenouille, moins blues certes, mais toutefois très sympathique. Un passage express par le Club Ebony pour récupérer les objets oubliés par les jeunes il y a deux jours et nous nous offrons un bon déjeuner au Crystal Grill à Greenwood avant de remonter vers Clarksdale en faisant une halte à Money sur les ruines de l’infâme Bryant Grocery, théâtre des atrocités qu’a pu endurer le malheureux Emmett Till dont nous parlions hier lors de notre arrêt au musée qui lui est consacré.

De retour au Shack Up Inn, nous partons à la rencontre des professeurs pour leur demander d’enregistrer quelques notes en vue de la création d’une chanson dont nous vous parlerons plus longuement dans quelques semaines. Il est temps maintenant de goûter au délicieux jambalaya préparé pour le diner et de se retrouver autour de la troisième jam session du stage durant laquelle les professeurs prendront part à la fête, Bob Margolin lançant les trois premiers morceaux accompagnés de quelques élèves avant que Bob Stroger se prête à son tour au jeu en compagnie de Basile, pas peu fier de jouer en compagnie de cette légende vivante du blues et de tenir le chant lead sur un morceau tout entier. On sent qu’il y a de la passion dans ce jeune Toulousain, mais aussi et surtout déjà beaucoup de professionnalisme, ce qui le pousse à gérer ses morceaux avec une extrême précision et avec beaucoup d’altruisme, le jeune guitariste n’oubliant jamais de laisser de l’espace à tous ceux qui l’accompagnent.

Le retour vers notre shack sera ce soir un peu plus mouvementé, la rencontre inattendue avec un objet dans le terrain entrainant une chute qui contraindra votre serviteur à aller faire un tour aux urgences de l’hôpital de Clarksdale pour quelques sutures et autres réparations rapides et efficaces. C’est l’occasion de remercier Liz et les organisateurs du stage pour leur gentillesse et leur dévouement qui les conduit à faire le maximum pour que tout le monde se sente bien et se porte bien.

Vendredi 16 juin : le concert final au Ground Zero !

Les péripéties de la nuit dernière et les différentes contusions et courbatures qui en résultent vont nous pousser à rester au calme aujourd’hui et à accompagner les élèves dans leur préparation du temps fort de ce soir, le concert au Ground Zero Blues Club, club mythique fondé par Morgan Freeman, Howard Stovall et le regretté Bill Luckett avec lequel nous avions énormément sympathisé lors de notre venue au workshop en 2019. C’est en effet le rêve de tout artiste de se produire dans cet endroit atypique qui, malgré quelques airs qui ne sont pas sans faire penser à Disneyland, offre aux groupes une belle scène et un public conséquent qui vient autant pour confiance liée la franchise Ground Zero que pour la programmation puisque c’est l’assurance d’une nourriture de qualité et d’un choix de boissons large et varié et l’opportunité d’écouter de la musique live, pas forcément très blues à chaque fois, mais en général de bonne facture. Un Hard Rock Café version Clarksdale en quelque sorte, que les amateurs qui préfèrent forcément Red’s ou Hambone ne négligent pas toutefois car on y a souvent de belles surprises !

On profite de la journée au Shack Up Inn et des ultimes répétitions de groupes pour échanger avec les professeur et avec les élèves, puisqu’il y a parmi eux des habitués qui viennent depuis onze ans que le rendez-vous existe, et on partage de bons moments comme le blues est capable de nous en procurer sans la moindre préparation, juste au feeling, avant de se retrouver dans l’antre du soir, bien garnie et très animée. Les professeurs lanceront le show avec un peu de retard mais lui insuffleront une telle énergie blues que la mayonnaise prendra en quelques instants et qu’après une petite demi-heure de mise en bouche d’une qualité exceptionnelle, les élèves pourront venir prendre part à la fête, en général devant des parents qui n’en perdent pas une miette, téléphone portable à la main pour immortaliser cet instant magique.

Omniprésent durant la soirée, Bob Margolin sera régulièrement invité à partager le set de ses élèves mais on remarquera également une superbe intervention de Doug MacLeod en acoustique avec un de ses jeunes disciples ou encore la prestation de Billy Branch qui jouera les chefs d’orchestre pour sept harmonicistes qui nous offriront une version très surprenante de « Stormy Monday ». Pour leur part, Matt et Basile se lâcheront comme toujours avec talent et détermination, le jeune Français nous livrant pour sa part une cover de Stevie Ray Vaughan de près d’un quart d’heure, « Leave My Girl Alone », qui ne passera pas inaperçue, même si à la fin l’abondance de solos des uns et des autres finira un peu par devenir un peu lassante. Cinq heures durant, nous aurons droit à des prestations parfois excellentes, de temps à autres moins abouties, mais c’est une soirée globalement très réussie qui nous aura été offerte pour Pinetop Perkins Foundation pour la fin de cette édition 2023 de son stage annuel.

Les accolades et autres au revoirs un peu tristes se multiplient à l’intérieur du Ground Zero et sur le parking devant le club, chacun repartant dès demain vers ses foyers, et si certains viennent et reviennent chaque année depuis quasiment la première édition, pour beaucoup d’entre-eux, les stagiaires auront vécu cette semaine un one shot qui marquera à jamais leur vie d’artiste.

Samedi 17 juin : la fin d’une belle aventure …

Le temps de remballer les affaires, de charger la voiture et de faire un ultime tour dans le Shack Up Inn à la recherche des derniers amis que nous n’avons pas eu le temps de saluer hier soir et il est bientôt l’heure de quitter Clarksdale, avec forcément une pointe de regret puisque l’on ne sait pas tous quand on y reviendra ni même si on y reviendra … Les silhouettes de ces cabanes aux allures vintage s’éloignent trop vite dans le rétroviseur et on file jeter un dernier coup d’œil sur le Crossroads avant de rejoindre la Highway 61, celle que l’on surnomme si justement The Blues Highway, pour remonter vers Memphis, non sans faire une pause déjeuner au fameux Hollywood Café que Marc Cohn évoque dans sa chanson « Walking In Memphis » ou encore à la Gateway To The Blues avec son très sympathique petit musée …

Encore un arrêt devant le Lorraine Motel pour y saluer la mémoire de Martin Luther King, assassiné la 4 avril 1968 devant la porte de la Chambre 306, et quand bien même la visite du Civil Rights Museum n’est pas possible en raison de l’heure tardive et de la foule compacte qui se masse devant les portes, nous aurons une pensée pour la lutte pour les Droits Civiques, si importante et si violente dans un Sud ségrégationniste marqué par des épisodes tragiques qui se sont déroulés à Selma, à Memphis, à Birmingham, à Montgomery ou encore à Money, et la liste est loin d’être exhaustive. Il sera temps enfin de rejoindre Beale Street pour effectuer les dernières emplettes et pour prendre un dernier repas sur le toit terrasse de chez Alfred’s, dont nous repartirons fort heureusement avant qu’un jeune détraqué de 19 ans se mette à tirer des coups de feu dans le quartier.

Neuf jours teintés de blues, d’amitié et de bonne humeur viennent de s’écouler dans un endroit cher à notre cœur, avec comme toujours des retrouvailles et de nouvelles rencontres qui contribuent, voyage après voyage, à entretenir une passion sans commune mesure pour cette région à la fois humainement marquée et musicalement très riche. On a hâte d’y retourner au plus vite …

Fred Delforge – Juin 2023