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JIRFIYA pdf print E-mail
Ecrit par Yann Charles  
lundi, 03 avril 2023
 

JIRFIYA

https://jirfiya.bandcamp.com/ 
https://www.facebook.com/jirfiya 

Rencontre avec Jérôme, le guitariste/compositeur du groupe Jirfiya qui revient avec un nouvel album, « W ». Un album fort, engagé, qui ne laissera pas insensible par le thème qu'il aborde, et les histoires que le groupe y développe.

Salut Jérôme. On s'était croisés en 2021 pour l'album « Still Waiting » où vous parliez de drames, de régressions, un album engagé. Avec « W », vous parlez des femmes. Des femmes fortes et en colère, réelles ou fictives. Comment vous est venue l'idée de ce thème ?
Tout simplement de l'album précédent. Le titre d'ouverture s'appelle « Silently » et il parle du traitement des femmes au Salvador. Il faut savoir que là-bas, l'avortement est interdit et fortement condamné. Si une femme se fait prendre, ou se fait dénoncer, il faut savoir que même les médecins dénoncent, que ce soit vrai ou pas, même juste une suspicion, elles sont condamnées au minimum à vingt ans voir à la prison à vie. Je suis donateur à Amnesty International et j'avais reçu un petit livret qui parle de l'histoire de ces femmes. Et je me suis dit qu'il fallait faire un texte sur elles. Et ensuite, on s'est dit "pourquoi ne pas continuer dans cette veine-là". Ingrid, qui est une féministe très engagée, sera intéressée d'écrire des textes là-dessus. Et on s'y est mis. Que ce soit pour des hommes ou pour des femmes, tant qu'on a des paroles qui veulent dire quelque chose et qui soient engagées, moi ça me convient.

Le titre de l'album « W » est concis et précis, un album aussi engagé que le précédent ?
Peut-être même plus. Dans « Still Waiting », il y avait un ou deux titres peut être moins engagés, mais je ne suis même pas sûr. Je ne peux pas dire si c'est plus ou moins engagé. C'est différent. Ce sont des thèmes différents, tout en étant parfois les mêmes sur certains points. L'essentiel étant que cela reste engagé.

Les titres des chansons sont sans équivoques « Sœurs de Sang », « Voyage sans fin », « Le Chemin de la Haine » … Bref c'est assez violent ?
C'est vrai. Les paroles sont violentes car on parle d'histoires vraies mais il y a quand même des choses plus calmes, plus apaisantes. Cela alterne dans les morceaux.

C'est un album qui dénonce des faits, sans jugement, ni sans donner de solution. C'est dénoncer ces injustices, même cette inhumanité parfois ?
Oui. On n'a pas de solution à apporter. On est là pour constater. Pour parler de sujets qui nous tiennent à cœur. On parle des passeurs, on parle du FN. On n'est pas un groupe de punks donc on ne va pas dire comme les Béru "la jeunesse emmerde le front national", mais les paroles sont, je l'espère, très fortes en parlant de Marine Le Pen. "Tu aurais pu choisir pleins d'autres voies, mais tu as choisi celle de la haine comme ton père". Le refrain dit "Quand les gens ont peur et sont désespérés, ils peuvent croire en n'importe quoi et emprunter le chemin de la haine". C'est quelque chose que j'avais envie de dire à la suite des dernières élections. Le FN est encore au second tour et monte encore dans les sondages. Et il sera peut-être encore là à l'autre élection. Et je trouve que ce qu'ils proposent n'a aucun sens. Ce ne sont pas les étrangers le problème. Et malheureusement à cause du désespoir, les gens commencent à y croire. Ce n'est pas joyeux, mais je pense qu'il faut en parler.

C'est une écriture de textes en commun ? Ou bien comme sur l'album précédent tu as tout écrit ?
Ingrid a co-écrit et on s'est mis d'accord sur tous les thèmes. Parfois c'est un peu plus moi, parfois c'est un peu plus elle, cela dépend des chansons. De toute façon tout le monde peut dire quelque chose sur ce qui a été écrit par l'un ou l'autre. « Asylum », c'est totalement elle par exemple. J'ai, peut-être, corrigé une phrase on va dire. Et puis surtout Ingrid, c'est elle qui chante donc il faut qu'elle sente les paroles. On ne va pas la forcer à chanter si elle ne sent pas les paroles. Il fallait son approbation. Il y a des phrases qu'elle a corrigé, des choses qu'elle a dit autrement. C'est vraiment un travail en commun et j'en suis très heureux parce qu’effectivement sur l'album d'avant j'avais quasiment tout écrit. Et là je suis vraiment très content de cette collaboration. Pour cet album-là elle a fortement participé et j'ai vraiment adoré ce partage.

Vous le présentez comme un "album conceptuel sur les femmes fortes et en colère, réelles ou fictives." Pourquoi parler de femmes fictives ?
Alors en fait on voulait parler d'histoires mais quelquefois il fallait trouver un narrateur à ces histoires. Par exemple « The Factory ». C'est encore quelque chose de terrible. Cela parle des usines à bébé au Nigeria, où des femmes sont capturées, violées et mises enceintes pour vendre les bébés par la suite. Et on s'est demandé comment traiter de ce sujet-là. Est-ce qu'on doit adopter le point de vue de quelqu'un qui adopte ou le point de vue d'une de ces femmes ? Alors, on a inventé une personne qui adopte un de ses bébés. Et le morceau commence assez joyeusement c'est le renouveau "je vais être mère". Et la musique, au fur et à mesure, s'accélère, devient de plus en plus metal. Les voies de plus en plus dures. Et à la fin, elle comprend qu’elle a acheté un bébé d’une de ces femmes captives. Malheureusement c'est une histoire vraie avec des usines à bébé qui, fort heureusement, ont été démantelées et le trafic a été interrompu. Donc là par exemple c'est fictif. On a inventé le personnage mais l'histoire est vraie malheureusement. C'est un peu comme un film, il fallait trouver un narrateur.

Musicalement, il est encore difficile de le classer. Comment vous, le définissez-vous ? Mélange de mélodique et de heavy pour moi, plus que de prog si ce n'est dans la longueur de trois titres ?
Moi je dis metal mélodique. Après c'est ce que moi je ressens mais c'est peut-être aux gens eux-mêmes de trouver à quel style pourrait correspondre notre musique. Il y a moins de voix gutturales dans cet album que dans les précédents. Alors dès le moment où ce ne sont pas des voix gutturales comment appelle-t-on ça ? Je ne dirais pas que c'est du hard rock, parce que pour moi le hard rock vient du blues, ni du heavy qui est évolution du hard rock. Alors moi je dis metal mélodique, on m'a également parlé de metal prog.

Peut-être à cause de la longueur des morceaux ?
Ce ne sont pas des longueurs mais plutôt des cassures de rythme. Il n'y a pas tant de changements de tempo que ça. Il y a des cassures, des variations, mais pour moi ce n'est pas vraiment du metal prog. Mais si les auditeurs trouvent ça prog, tant mieux parce que moi j'adore le prog de toute façon.

C'est assez rare pour être souligné, on trouve de la trompette dans « Asylum » …
Oui c'est vrai. Le trompettiste, je le connaissais car il avait déjà joué sur un projet que j'avais eu avant. Il s’appelle Jules Jasset. J'avais un souvenir de lui. Il est arrivé à l'endroit où on enregistrait. Je ne le connaissais pas. Il a écouté l'album deux fois et il a dit OK. Il a enregistré et la première prise était la bonne . J'avais gardé ses coordonnées et là, peut-être sept ans ou huit ans après, je l'ai rappelé. Et j'ai eu de la chance parce qu'il était à Paris et il m'a dit OK. Il est venu, il a écouté deux ou trois fois et il a joué sur « Asylum ». Du coup, je lui ai demandé s’il ne voulait pas jouer sur « An Endless Journey » également. A la base, j'avais pensé à une introduction à la guitare un peu à la Pink Floyd. Et il a joué de la trompette et du coup je me suis dit “bon ce sera une introduction à la trompette pour ce morceau”. (Rires) Et je trouve que ça apporte un énorme plus à ce morceau et à l'album en général.

Il y a moins de contraste entre vos deux voix je trouve.
Beaucoup moins oui. En fait il n’y a que dans « The Factory » où je n’ai que quatre phrases tout seul. Sinon, le reste je suis en back en grawl. Sur l'album précédent effectivement, il y avait beaucoup plus de voix gutturales. Pour cet album, on parle de thèmes sur les femmes et on a pensé qu’Ingrid devait être à l’avant pour les chansons. Elle a tellement un panel d'aigu, de grave pour pouvoir crier que je ne vois pas pourquoi je pousserais ma voix également. En fait je suis guitariste et je trouve que ça marche très bien comme ça. (Rires)

« Far Away From Here » est le morceau le plus court, mais aussi le plus calme de l'album, vous vouliez finir sur une note plus apaisante ?
Oui, c'est notre batteur Nicolas qui a choisi l'ordre des morceaux Et c'est vrai qu'il y a beaucoup d'albums où on finit par un morceau calme. Et je trouve que ça marche très bien en dernier morceau. Alors même si musicalement ça paraît plus doux que les autres morceaux, au niveau des paroles ça reste aussi violent. Et c'est vrai que si on avait mis ce titre au milieu de l'album avec beaucoup de guitare acoustique on aurait peut-être perdu l’attention. Quand Nicolas nous a proposé ce choix, on a trouvé ça vraiment excellent.

« Still Waiting » était le complément de votre EP « Wait For Dawn ». Avec « W » vous passez une étape supérieure ou vous restez dans la continuité ?
Non, on est bien dans la continuité. Si ça n'avait tenu qu'à moi je l'aurais appelé « Still Waiting Again ». (Rires) Musicalement c'est toujours nous, même s'il y a Sami en plus à la guitare. C'est quasiment le même groupe et la même façon de procéder. On a juste pris une thématique plus centralisée on va dire. Par rapport à « Still Waiting » qui parlait d'écologie et de beaucoup plus de choses, là on s'est centralisé vraiment sur un seul thème.

Est-ce que c’est plus facile de travailler sur un seul thème comme pour cet album, ou bien de travailler en abordant plusieurs thèmes différents ?
Je ne sais pas en fait. Si on a un thème plus fermé, plus central, c'est peut-être plus facile d'écrire. Quand on a des thèmes ouverts on peut se dire “bon de quoi je vais parler”. Là, même si on ne parle que d'un seul sujet, il n'y a aucune chanson où les paroles se ressemblent. Alors oui, on parle des femmes mais c'est tellement varié. On parle de star de cinéma. On parle de féminicide. On parle de Marine Le Pen. On parle de la Corée du Nord. Donc c'est quand même vraiment très large.

On sent que vos compos et votre son ont évolué, qu'est ce qui a changé par rapport aux albums précédents ? Sami Kharrat à la guitare ?
Alors oui forcément. Quand Sami est arrivé dans le groupe, l'album était quasiment enregistré. Je n'avais pas fini certains solos et je lui ai proposé d'essayer. Et deux heures après, il m'a envoyé une maquette. Et là grosse claque ! Je l'ai fait écouter à Ingrid et je lui ai dit que c'était incroyable ce qu'il avait réussi à faire en une heure ou deux. Et du coup, je lui ai laissé au moins un solo par morceau. Et vraiment, tous ses solos sont juste incroyables.

C’est peut-être ça qui donne une autre couleur musicale à cet album ?
L'album d'avant avait un son qui était un peu plus rock que celui-ci. Cet album-là est plus pêchu, il ressemble beaucoup à notre premier EP musicalement. À la batterie, Nicolas s'est surpassé. Il y a beaucoup de double pédales et il a fait vraiment un très très gros travail. À la guitare, Sami a donc apporté énormément aux solos et aux mélodies. Mais pour le son, c'est le même ampli de guitare qu'on avait avant. Alors peut-être dans le jeu effectivement on peut trouver un changement, une évolution. Après peut-être qu’Andrew Guillotin, qui a mixé l'album, a lui aussi changé un peu dans sa manière de travailler, d'apporter d'autres choses qui font que cet album a effectivement une couleur musicale un peu différente. Et il ne faut pas non plus oublier la qualité du chant d’Ingrid qui apporte beaucoup.

Vous avez sorti un clip avec le titre « The Girl With The Perfect Face ». C'est le morceau que vous voulez mettre en avant ?
Alors oui et non. On a fait ce clip parce qu'on trouvait que c'était le morceau le plus cinématographique de l'album. Il parle d'une star de cinéma déchue de Hollywood dans les années 40. Et on avait un lieu avec un amphithéâtre et des loges qui nous permettait de parler de ce morceau, et de mettre ce clip en images. Et puis dans le titre, il y a une vraie évolution des sentiments dans la musique. Et on a essayé de le mettre en images.

C’est un long morceau. Ca doit être compliqué à scénariser ?
C'était quand même assez facile car le morceau dure sept minutes. On s'est dit "Est-ce que les gens vont regarder et écouter jusqu'au bout" ? Qu'est-ce qu'on peut raconter en sept minutes sans que ce ne soit ennuyeux ? Mais je pense qu'il y a les mêmes problèmes sur un morceau plus court. La grande question était "Est-ce que les gens vont écouter ? Est-ce qu'on n'a pas une intro un peu trop calme et trop longue ? " Mais on voulait vraiment faire ce morceau-là.

Pour terminer cette interview, petite question rituelle : quel est le dernier morceau ou le dernier album que vous avez écouté ?
J'ai écouté ce matin le dernier Godsmack. Il y a des bons morceaux, après ils disent que c'est leur dernier album et je comprends pourquoi. (Rires) C'est un bon album mais il n'y a pas vraiment de prise de risque. À part peut-être un morceau au piano. Sinon ce sont les mêmes riffs. C'est du Godsmack. On sent qu'ils n'ont plus la rage qu'ils avaient avant. C'est très très propre, mais il n'y a plus la rage de « Faceless » ou « Awake » que j’aime bien. C'est très bien fait, mais il manque un petit truc. Mais j’aime bien Godsmack quand même. (Rires)

Merci pour cette interview.
Merci à toi.

Propos recueillis par Yann Charles