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Ecrit par Fred Delforge |
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dimanche, 04 septembre 2022
Blues In Hell
BLUES IN HELL
SCANDIC HOTEL – HELL (NORVEGE)
Du 2 au 3 septembre 2022
https://bluesinhell.no
Se rendre à Hell, en Norvège, est parfois long et fastidieux, mais
ça en vaut toujours la peine car il y a dans ce petit coin d’enfer
que les locaux appellent leur maison un superbe festival de blues
qui se déroule cette année pour la trente-et-unième fois et qui,
comme toujours propose une affiche de rêve puisque les plus grands
artistes de blues y sont déjà passés ! Inaugurée la veille, cette
nouvelle édition accueille une vingtaine d’artistes par jour et fait
cette année la part belle aux pianistes qui se voient honorés d’une
scène spéciale qui leur est dédiée. L’arrivée tardive et le long
voyage du jour nous contraindront à l’essentiel et à la scène
principale pour la première journée, mais nous entendons bien en
découvrir un peu plus au cours de la suivante …
Vendredi 2 septembre :
Juste le temps de poser les valises de nous restaurer un instant et
nous voilà déjà dans le grand amphi où va se produire un artiste qui
ne passe pas inaperçu, Mud Morganfield, le fils ainé de Muddy
Waters, né en 1954 … Elevé par sa mère à Chicago, Mud Morganfield
n’a pas eu une jeunesse dorée, loin de là, et il n’a commencé la
musique qu’après le décès de son père, considérant que la similitude
de leurs deux voix pouvait être intéressante pour les fans de blues.
Et il faut bien reconnaitre que ça le fait plutôt bien puisque non
content de reprendre les titres de Muddy Waters à la perfection,
certes accompagné par un band de luxe qui maitrise le blues sur le
bout des ongles, Mud Morganfield est un véritable entertainer doublé
d’un crooner de haut vol qui va réussir à prendre le public au creux
de sa main et à en faire ce qu’il veut, ce qui n’est pas rien
puisque l’assistance en a connu d’autres avant lui.
Une fesse posée avec nonchalance sur un tabouret de bar, le bluesman
va ainsi se lancer dans des titres qui appartiennent désormais à la
légende et plaisanter tantôt avec le public, tantôt avec ses
musiciens qu’il dirige d’une main de maitre mais pour lesquels il
montre toujours énormément de chaleur et d’attention, leur offrant
un solo à l’occasion où les présentant copieusement avant de se
lancer dans un « Hoochie Coochie Man », un « Got My Mojo Working »
ou encore dans un « Mannish Boy » que le bluesman nous servira en
rappel pour le plus grand plaisir d’un public qui n’en attendait pas
moins. Un groupe qui visiblement s’amuse et aime ce qu’il fait et
qui fait le job de fort belle manière, des classiques certes un peu
passe-partout mais servis avec une classe folle, un grand trait de
légitimité et une énorme dévotion, il n’en fallait pas plus pour que
ce premier concert sur la grande scène soit une énorme réussite !
On change de scène en espérant aller retrouver Spoonful Of Blues, le
groupe de notre ami Jostein Forsberg, mais suite à des problèmes
techniques, les Norvégiens ont été contraints de déclarer forfait à
la dernière minute et sont remplacés par une formation du cru, mais
pas n’importe laquelle puisque Nidaros Blueskompani a été formé en
marge d’une édition du Nidaros Blues Festival et que le groupe est
composé de quelques grosses pointures de la scène blues norvégienne.
C’est donc sur fond d’une musique qui se promène entre les côtes Est
et Ouest des Etats Unis sans pour autant se dispenser de visiter le
Texas Blues et le Chicago Blues que le groupe réussira sans le
moindre mal à fédérer une assistance, certes déjà tout acquise à sa
cause, mais littéralement emballée par une prestation de très belle
qualité.
On retourne rapidement vers l’amphi principal où une autre pointure
va se produire maintenant, mais dans un esprit plus rock que blues
et sur fond de grosses guitares souvent très (trop) fortes portées
par une rythmique qui n’a rien à envier aux bûcherons du Grand Nord.
Walter Trout est un survivant, un miraculé, et il ne manquera pas de
le répéter à plusieurs reprises tout au long d’un show durant lequel
il misera souvent sur l’incroyable puissance de son jeu, cédant
toutefois de temps à autres à l’appel d’un blues qu’il maitrise
parfaitement et qu’il sait jouer de manière délicate quand le besoin
s’en fait sentir. Mais Walter Trout est avant tout un rocker qui
joue du blues et il l’assume totalement en envoyant sans retenue des
morceaux piochés dans ses nombreux albums, parmi lesquels « Ride »,
sorti il y a une semaine et déjà tout en haut des charts Anglais et
Américains.
Toujours très généreux, Walter Trout offre énormément d’espace à ses
musiciens et que ce soit son pianiste/organiste, son incroyable
bassiste et son batteur de folie ou encore le second guitariste qui
le rejoint de temps à autres, il leur laisse toujours le loisir de
faire le show et de se mettre sur le devant de la scène, se mettant
lui-même volontairement en retrait pour leur offrir une réelle
visibilité. Deux invités le rejoindront également sur les planches,
l’Anglaise Elles Bailey qui viendra chanter un titre en attendant de
prendre place à son tour lors du prochain show, puis le guitariste
virtuose Peer Gynt qui fera une démonstration de son incroyable
vélocité avant de revenir pour un final époustouflant qui verra le «
Bullfrog Blues » de William Harris, composé en 1928 et popularisé
par Canned Heat et Rory Gallagher, tourner en boucle un long moment
pour que chacun puisse pleinement profiter de l’instant. A l’aube
d’une longue tournée mondiale, Walter Trout est en grande forme et
ça fait plaisir à voir car outre un musicien habile, c’est également
un personnage attachant. Dont acte !
Le temps d’aller saluer les amis et les organisateurs du festival à
l’artist lounge et nous retournerons bientôt en face de la grande
scène où Elles Bailey donne le dernier concert de la soirée devant
un public un peu fatigué après tant de bonnes choses, public qui
finira d’ailleurs par quelque peu déserter l’endroit pour rejoindre
les différents bars de l’hôtel où l’on peut aussi, à l’occasion, se
poser un instant et écouter du blues. Installée à Bristol, la
chanteuse a réussi à se faire une place sur la scène blues
britannique et conforte régulièrement son statut d’artiste ne vue en
proposant des albums, son troisième et dernier en date s’ouvrant
largement sur le blues roots et l’Americana au travers de
compositions plutôt réussies. Charmeuse, la chanteuse se déplace
avec élégance sur la scène et va régulièrement vers ses musiciens
pour leur apporter un peu de lumière, et il faut dire qu’ils le
méritent bien.
Portant un show sans la moindre faute de goût et faisant montre
d’une musicalité de tous les instants, Elles Bailey va réussir une
fois encore à installer un dialogue entre la salle et la scène et
c’est en glissant de temps à autres une petite plaisanterie à
l’attention des uns et des autres, en racontant les péripéties d’un
voyage avec des problèmes de correspondance ou encore en filmant ses
musiciens pendant leurs solos qu’elle finira de se rendre
sympathique auprès d’un public qui ne regrettera pas d’être resté
jusqu’au bout de la soirée car cela valait vraiment le coup de ne
pas manquer ça.
L’amphi se vide tranquillement, le ballet des techniciens a commencé
et on entend encore quelques notes de part et d’autre dans un
Scandic Hotel qui va vibrer au rythme du blues durant tout le
week-end … Comme on dit ici : Welcome To Hell ! En ce qui nous
concerne, nous allons rapidement rejoindre le diable dans sa chambre
pour un repos qui s’annonce plus que bienvenu !
Samedi 3 septembre :
C’est dès midi que nous reprendrons les concerts avec pour commencer
la prestation en solo de l’Anglais Big Joe Louis qui se produit en
formule guitare et voix sur la plus petite des deux scène installées
au fond de la salle habituellement utilisée comme restaurant.
Equipée de tables et de chaises, la pièce est parfaite pour les
concerts plus ou moins intimistes et la voix délicate du britannique
apporte l’élégance nécessaire pour une bonne entrée en matière.
Après une heure de bonnes vibrations, c’est cette fois l’Américain
Roy Book Binder qui viendra nous conter des histoires de blues et de
bluesmen, habilement secondé pour quelques titres par Kjell alias
Jolly Jumper, l’organisateur de ce splendide Blues in Hell. Encore
une bonne heure de blues bien charnue et on traverse la salle pour
découvrir non pas les Italiens de Lovesick Duo qui ont déclaré
forfait mais le guitariste norvégien Marius Lien qui va nous régaler
d’un blues aux accents progressifs teinté de sonorités
psychédéliques. Rejoint sur le final par son compatriote pianiste
Jonas Meyer, Marius Lien n’aura pas manqué son coup et aura réussi à
convaincre une assistance déjà installée pour une suite qui
s’annonce prometteuse.
Jolly Jumper & Big Moe ont déjà réussi à se faire une sacrée
réputation dans tout le Nord de l’Europe et c’est accompagnés du
Jimbo Jambo Band qu’ils se produisent cet après-midi en quartet pour
nous offrir un show explosif et plein de malice avec d’une part un
chanteur et harmoniciste qui n’en finit plus de faire rire la salle
en lui livrant nombre d’anecdotes mais aussi en la faisant
participer, et de l’autre un guitariste élégant et précis qui donne
intelligemment le change en répondant aux anecdotes de son comparse
et en en livrant à son tour quelques autres. Proposant des
compositions superbement écrites et interprétées mais aussi à
l’occasion de très belles reprises toujours très bien choisies,
Jolly Jumper & Big Moe sont supportés par un pianiste et par un
batteur qui vont apporter de la consistance à des morceaux qui font
mouche à chaque instant et c’est en nous inondant de bonnes choses
que le groupe nous emmènera vers un final où l’on reconnaitra
forcément le « Got My Mojo Working » de Muddy Waters, repris en
chœur par l’assistance, mais aussi et de façon plus inattendue une
relecture bluesifiée de l’intemporel « Buona Sera » rendu populaire
par Luis Prima qui vaudra au groupe une standing ovation.
On mange tôt dans le Nord de l’Europe et nous ne pourrons profiter
que d’une partie de la prestation du Néerlandais Hans Theessink
avant d’aller nous restaurer. Le jeu élégant et raffiné du
guitariste ne nous empêche pas de nous souvenir qu’il est un
bluesman plein d’expérience et c’est en nous emmenant directement
vers les origines américaines du genre qu’il s’efforce de nous le
rappeler, en rendant hommage par exemple à son ami Terry Evans
décédé en 2018 et en interprétant un titre qu’ils avaient eu la
chance de jouer ensemble, « Vicksburg Is My Home ». Le temps de se
restaurer et c’est en face de Bjørn Berge que nous reviendrons pour
une petite partie d’une prestation durant laquelle le bluesman
norvégien nous confirmera que les années durant lesquelles il jouait
au bucheron en reprenant du Motörhead avec des guitares dont le
tirant était proche des cordes de basse est loin derrière lui. Les
cheveux ont poussé, et pas qu’un peu, et le jeu a évolué, et si nous
aimions bien le Bjørn Berge d’antan, il faut bien avouer que le
nouveau ne manque pas de qualités et d’arguments pour convaincre !
On se dirige maintenant vers l’amphi pour un premier concert qui
risque de faire sensation puisque c’est Bonita & The Blues
Shacks qui ont à charge de mettre le feu aux poudres de cette belle
salle posée au cœur du Scandic Hotel. C’est donc avec un show plein
de malice et de complicité entre le band allemand emmené par le
chanteur harmoniciste Michael Arlt et la chanteuse de Cape Town, en
Afrique du Sud, que l’assistance va se régaler, quelque peu
émoustillée par la gestuelle toujours très élégante de Bonita qui
sait aussi bien mettre en valeur un chant de toute beauté que son
jeu de scène plein de grâce. Il faut reconnaitre que les musiciens
sont plus qu’à la hauteur et qu’ils n’ont pas leur pareil pour
mettre les morceaux en valeur, emmenés par le guitariste Andreas
Arlt qui n’en finit plus de multiplier les solos et qui régale
régulièrement l’assistance en allant la voir au plus près et en
faisant lui aussi le show pendant que les deux têtes chantantes du
combo se prêtent à leur jeu de duettiste.
Sans jamais le moindre temps mort, Bonita & The Blues Shacks
vont réussir à établir un lien solide avec le public et c’est en
présentant les morceaux et en expliquant les différentes reprises,
qu’elles soient empruntées à Ann Peebles ou encore à B.B. King, que
le groupe va rendre sa prestation non seulement très intéressante
mais aussi parfaitement lisible. Et quand en prime Michael et Bonita
se mettent à faire semblant de se quereller sur scène et se lancent
dans une sorte de confrontation amicale pour savoir lequel des deux
bouge le mieux son corps, c’est toute une salle qui se met à vibrer
à l’unisson d’un show qui, comme toujours avec les Allemands,
parvient parfaitement à ses fins. La formule nous avait fait forte
impression il y a tout juste un an lors de son passage à Mécleuves
Terre de Blues, les Allemands confirment ce soir qu’ils sont devenus
une des valeurs sures de la scène européenne. A voir et à revoir !
Le temps de changer de plateau et on retrouve un groupe qui tourne
depuis des lustres puisque Nine Below Zero a commencé sa carrière en
1977 autour des deux rescapés de l’époque, Dennis Greaves au chant
et à la guitare et Mark Feltham aux chant et aux harmonicas. Rejoint
en 1990 par la section rythmique de Rory Gallagher, Gerry McAvoy à
la basse et Brendan O’Neil à la batterie, le groupe évoluera jusqu’à
nos jours en connaissant différents changements de line up mais
aussi et surtout un certain succès dans toute l’Europe, succès qu’il
confirme ce soir devant une salle copieusement garnie qui va
répondre aux diverses invectives d’un groupe qui se fait visiblement
plaisir à jouer. Aujourd’hui soutenu par Anthony Harty à la basse et
par deux jeunes pousses, Sonny Greaves, digne fils de Dennis à la
batterie, et Tom Monks, véritable pile électrique qui se charge des
ivoires mais aussi à l’occasion de la seconde guitare, Nine Below
Zero a pris de la bouteille mais ne s’en laisse pas conter quand le
groupe est face au public.
Précis et inspiré, Dennis Greaves va laisser beaucoup de place à
l’élégant Mark Feltham qui va ce soir se présenter comme le
véritable chef d’orchestre de la bande, multipliant les envolées
d’harmonicas et partageant le chant avec son complice de toujours
pour un résultat qui se révèle séduisant dans son ensemble et
parfait au niveau des harmonies vocales. Bien en ligne, les trois
piliers du groupe tiennent parfaitement la scène tandis qu’à leur
gauche, c’est un véritable Zébulon qui n’en finit plus de bondir sur
le tabouret de l’orgue Hammond, complétant les chœurs et faisant à
lui seuls son propre show au beau milieu du show. Et ça fonctionne
plutôt bien puisqu’en bons pères de famille, Harty, Greaves et
Feltham vont de temps en temps se frotter à lui sous l’œil amusé
d’un jeune batteur qui lui aussi se régale de faire désormais partie
de l’entreprise familiale. Aucun temps mort et beaucoup d’énergie,
il n’en faudra pas plus à Nine Below Zero pour remporter la partie
et c’est un public conquis qui quittera la salle à la fin du set
pour s’en aller vers encore plus de musique, même si la fatigue
commence à se faire sentir.
Minuit approche et nous nous accordons enfin une pause bière à
l’artist lounge après une douzaine d’heures passée sur le pont … La
journée n’est pourtant pas terminée puisque les vainqueurs du
dernier European Blues Challenge vont maintenant se produire pour
confirmer que les Pays Bas méritaient vraiment cette année de
remporter le titre. Emmenés par Janne, leur charismatique chanteuse,
les membres du Harlem Lake Band ne passent pas inaperçu puisqu’ils
sont huit sur scène pour nous offrir une musique très fortement
empreinte du blues des racine mais intelligemment teintée
d’Americana pour un résultat qui ne manque pas de saveur. Réhaussés
par l’apport substantiel des cuivres, les morceaux proposés par le
combo sont toujours très bien équilibrés par un mélange très adéquat
de guitare et de claviers et d’orgues qui n’est jamais laissé au
hasard, Harlem Lake ayant visiblement trouvé non seulement sa
formule idéale mais aussi et surtout son parfait équilibre. Appelé à
se produire sur les plus grands festivals d’Europe durant les
prochains mois et les prochaines années, les Hollandais ont su
prouver une fois encore ce soir qu’ils avaient non seulement l’art
mais aussi a manière.
Il est temps pour nous de laisser cette 31ème Edition de Blues in
Hell se refermer, non sans remercier nos hôtes mais aussi les
quelques cent-vingt bénévoles qui ont œuvré pour que tout se passe
bien. Un lieu idéalement choisi qui permet aux festivaliers de ne
pas être tributaires de la météo, des salles proches l’une de
l’autre pour pleinement profiter des différents spectacles et
surtout un public à la fois chaleureux et motivé qui se promène dès
le premier soir avec le T-shirt du festival, au point de vider
quasi-instantanément le merchandising, et c’est tant pis pour nous …
Décidément, la Norvège a bien des choses à nous apprendre et nous
ferions bien de nous en inspirer rapidement !
Fred Delforge – septembre 2022
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