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Ecrit par Yann Charles |
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lundi, 07 février 2022
TRANK
https://www.trankmusic.com/
Rencontre avec M.J du groupe Trank qui nous parle de la réédition de
leur excellent album « The Ropes ». Une nouvelle sortie accompagnée
de bonus et de versions remixées de leurs chansons pour une nouvelle
écoute. Un univers musical différent, mais qui vous convaincra.
Salut à vous. Avant de commencer, comment vas-tu ?
Salut. Alors ça irait beaucoup mieux si on pouvait jouer. Mais
ceci mis à part ça va très bien.
Quand on s'est rencontrés lors de notre première interview, vous
m'aviez répondu que pour le nom de Trank, vous cherchiez un nom
percutant genre Crank pour finalement choisir Trank, mais que
c'était une explication parmi d'autres. Alors pour cette seconde
interview, on peut avoir une de ces autres explications ?
C'est bon ça. (Rires) Ok. On cherchait un nom simple,
percutant, qui puisse se prononcer facilement dans toutes les
langues. Et avec Julien, le guitariste, on avait une obsession : on
voulait un K dans le nom, car on trouvait que ça sonnait un peu
indus, un peu germanique, et ça s'accordait bien avec les rythmes
qu'on avait dans le groupe. Alors la vraie histoire, c'est qu'avec
un échange de mail avec Johann, le batteur, et le responsable de
tous les calembours et blagues à deux balles, je lui ai dit que
j'aimerais bien un mot comme Crank et Tschack … Tschack étant les
paroles d'une chanson que Kraftwerk a écrit en réponse à un
journaliste qui a dit d'eux que leur musique c'était de la merde, et
que ça faisait "Boing Boom Tschack". Et Yohan nous a dit : pourquoi
pas Trank, la compression des deux. Et ça a plu à tout le monde.
C'est ça la vraie histoire !
On vous retrouve cette année avec une nouvelle sortie de votre
album « The Ropes » en édition Deluxe et des titres remasterisés …
Question très simple, pourquoi ?
Une première raison est la demande de notre distributeur. On a
sorti cet album en septembre 2020, avec nos moyens complètement
indépendants, donc une diffusion très confidentielle, car on n'avait
pas les moyens d'en presser beaucoup et surtout de faire de la pub
partout. Mais on a eu une avalanche de chroniques et de retours
positifs et, au-delà du fait que ça nous a fait plaisir bien sûr, ça
nous a fait repérer par un distributeur qui s'appelle M&O Music
et qui travaille avec Season Of Mist pour la partie distribution
physique et Believe Digital pour la distribution numérique. Et ils
nous ont suggéré de ressortir l'album avec une exposition et une
distribution supérieure à celles qu'on a pu la première fois. Et on
s'est posé la question de savoir si on le ressortait à l'identique,
ou si on ajoutait du contenu. Étant le plus gros fan de musique
electro dans le groupe, j'ai pas mal grandi avec la culture du
remix, et cela faisait un moment que je voulais prendre certains de
nos morceaux et en explorer d'autres facettes soit en les
retravaillant nous-même avec des parties plus marquées electro ou
indus, soit en les confiant à d'autres gens. Et il se trouve qu'on a
reçu pas mal de demandes d'ingés et de gens qu'on aimait bien qui
avaient envie de faire des versions remixées de nos chansons. On a
proposé ça à M&O Music, et ils ont aimé l'idée, surtout que ça
fait longtemps que cela ne s'était pas fait. On est assez old school
dans pas mal de domaines. Donc ça nous permis de sortir une édition
que l'on trouve plus intéressante que la première, et avec du
contenu supplémentaire sous la forme de ces douze remixes.
Vous n'avez pas retouché les chansons initiales ?
Alors, pour l'album principal, on a fait un truc sans le dire à
personne. On a demandé à l'ingénieur de mastering de faire de toutes
petites modifications. Au départ l'album sonnait très riche, avec
pleins de textures et pas mal de détails, mais à la réécoute, après
quelques mois, on trouvait qu'il manquait un peu de mordant, et on
lui a donc demandé de trouver un équilibre entre ce qui avait déjà
été fait et ce rajout de mordant sur les titres. Et maintenant,
l'album sonne exactement comme on voulait. Mais sinon au niveau
compos et écriture, les morceaux n'ont pas été retouchés.
Tu penses qu'on retrouvera les remix sur scène ?
Ah, c'est intéressant comme question. On est un groupe
basse/guitares/batterie et on utilise les machines pour la partie
electro en complément. Et quand on compose une chanson, on se pose
la question du potentiel qu'elle aura en studio, mais également en
live. Ensuite, on essaie sur certains titres de les remixer avec
plus d'electro et surtout de les adapter en live. Donc, je pense
qu'il y aura sûrement deux ou trois trucs comme ça, réadaptés pour
la scène. Mais on reste avant tout un groupe de rock.
Vous avez sorti cet album au début de la pandémie, donc quasiment
pas de possibilité de le défendre sur scène, c'est pour ça que
vous n'avez pas sorti un second album, vous voulez donner toute
ses chances à « The Ropes » ?
C'est exactement ça. Je ne te cache pas que le deuxième album
est déjà à moitié composé. On a cinq morceaux qui sont prêts à aller
en studio. Mais on travaille comme ça. On prépare tout avant de
rentrer en studio. On n'a pas le temps, ni les moyens, de rechercher
au moment du studio des sonorités ou des trucs qui sonnent. Tout ce
travail est fait en amont. On arrive avec des morceaux très aboutis,
et on ne se préoccupe que de la qualité de l'enregistrement. Et
ensuite, on a un réservoir d'une vingtaine d'idées qu'il va falloir
approfondir. Mais pour en revenir à ta question, on veut donner
toutes ses chances à cet album, car on en est très fiers, et avec
ces remixes, on pourrait toucher un public un petit plus large. Donc
on veut vraiment donner sa chance à cet album oui.
Pourquoi ne pas avoir sorti de single par exemple, qui pourrait
nous emmener ensuite vers un second album ?
C'est ce qu'on s'apprête à faire. Sur les cinq morceaux dont je
te parlais juste avant, il y en a trois qui seront des singles.
Après, nous, on pense toujours album, c'est une chose un peu old
school chez nous. On aime que chacune des chansons se suffise à
elle-même, mais on aime aussi l'idée qu'elles fassent partie d'un
tout. Ou le tout est plus fort que la somme des éléments. Même à une
époque où c'étaient les albums qui dominaient le marché, il y avait
des singles pour exciter l'appétit du public et les aider à
découvrir les groupes. Et ça, on y croit à mort aussi. Mais d'ici
quelque temps, les singles sortiront, histoire d'annoncer la couleur
du prochain album.
Vous avez sorti une vidéo du titre « Shining » dans
lequel vous dénoncez les fausses images que peuvent se donner
certains afin de paraître de manière idéale sur les réseaux et aux
yeux de tout le monde. On en avait déjà parlé, c'est vraiment un
thème qui vous tient particulièrement à cœur ?
De façon générale, tout l'album s'appelle « The Ropes », car il
parle des cordes certes, mais surtout car il y a un pont qui est
central à toutes les chansons qui est celui des relations et des
connexions entre les gens. Des relations et des connexions qui
peuvent être plus ou moins conscientes, plus ou moins faites, plus
ou moins bénéfiques, pour les uns et les autres. Et « Shining »
parle de cette relation de dépendance mutuelle entre d'un côté des
gens qui vont jouer une sorte de jeu secret, une image parfaite qui
n'a pas forcément à voir avec la réalité de leur vie. Et de l'autre
côté, des gens qui sont un peu des voyeurs et qui viennent consommer
et jouer de cette image là, tout en sachant qu'elle est fausse. Mais
ce n'est pas grave. Le mensonge fait partie du jeu. Et le paroxysme
de tout ça, c'est Instagram ou Tik Tok ou ce style de réseaux. Ce
sont vraiment les royaumes de l'image superficielle. Mais ça a beau
être instrumentalisé maintenant avec Instagram ou autres, ça a
toujours existé dans la vie de tous les jours. N'importe qui qui a
passé un entretien d'embauche sait de quoi je parle. N'importe qui
qui s'est retrouvé en position de séduire quelqu'un sait de quoi je
parle. On n'est peut-être pas convaincu que cela marcherait en
montrant son vrai visage, donc on joue avec la réalité. Et ça nous
intéressait de traiter ce sujet-là.
Alors j'ai une question : est-ce que peut-être ce n'est pas cette
image parfaite que recherchent les gens, même s'ils savent qu'elle
est fausse. Et est-ce qu’ils ne veulent pas simplement avoir du
rêve à travers cette fausse réalité ?
Je suis d'accord avec toi. On est maintenant dans une culture
qui a été très affectée dans les vingt dernières années par ce
phénomène bien particulier qui est issu de la télé-réalité. Et l'un
des impacts le plus significatif sur la psychologie collective,
c'est ce besoin de savoir qu'on pourrait en faire autant que les
gens qu'on est censé admirer. On est passé d'une époque où quelqu'un
qui allait passer à la télé allait manifester une sorte de talent
artistique, créatif ou autre. Mais avec la télé-réalité, n'importe
qui peut devenir cet idéal. Et les gens aiment ça. Il y a quelque
chose d'un peu rassurant à se dire qu'on pourrait en faire autant.
Ce morceau « Shining » est le plus représentatif de l'album ?
C'est marrant que tu dises ça. Alors moi, je pense que oui. Ce
qui est particulier avec ce morceau, c'est qu'il est premier sur
l'album, mais ça a été le dernier à être composé. C'est celui qui
reflète le plus la connaissance qu'on a les uns des autres en tant
qu'individus et en tant que groupe à l'intérieur de Trank. On nous
demande souvent de nous décrire musicalement, mais c'est très
compliqué, car selon tes préférences, on peut être soit trop
electro, soit trop rock. En fait, je dirais qu'on est l'enfant
bâtard de Soundgarden et Depeche Mode. Et « Shining », c'est ça.
C'est cette signature sonore là. Donc, pour moi, oui, elle
représente l'album et le groupe.
Pour moi, je le ressens comme une sorte d'aboutissement de votre
travail pour cet album. Une sorte de synthèse de « The Ropes » ?
Oui, sans doute. Je pense que c'est celle, en termes de
composition, où il y a eu le plus de contributions directes de
chacun d'entre nous. Au départ, c'est 1mn30 de guitare envoyée par
Julien en me disant : j'ai ça, qu'est-ce que tu en penses ? C'est
moi qui ai mis les silences et les ruptures. Johann a ensuite géré
toute la partie rythmique. Il me semble que c'est lui qui a eu
l'idée du break un peu planant au milieu. Et David, outre sa ligne
de basse, a eu une contribution énorme sur les claviers surtout et
les voix. On va dire que c'est la chanson la plus collaborative et
la plus organique.
Bon, on pensait et on espère toujours que les choses vont
s'arranger, vous pensez que vous pourrez enfin aller sur les
planches pour dévoiler à tout le monde « The Ropes » en live ?
En tout cas, on l'espère. On fait tout pour. Cet album est fait
pour être joué sur scène. Autant, on adore être en studio,
travailler, sélectionner, trier, mais autant nos meilleurs souvenirs
de groupe sont ceux passés sur scène. Et c’est ces moments-là qu'on
a le plus hâte de retrouver.
Peut-être qu'avec cette pandémie et cette situation où les
groupes étrangers ne seront sans doute pas aussi présents en
France cette année, est ce que ce n'est pas une chance pour les
groupes français ?
Elle est très intéressante ta question. Pour la situation en
France, la plupart des concerts ont été annulés ou reportés depuis
dix-huit mois, donc c'est un peu bloqué. On avait commencé à
l'époque par l'étranger, mais on espère maintenant pouvoir faire
monter le truc en France. Est-ce que c'est possible, je ne sais pas
? Quand on voit des groupes comme Gojira qui ont un énorme succès à
l'étranger, mais qui en France ont du mal, avec une audience
limitée, toujours par rapport à l'étranger, je veux dire. Ce que je
sais, c'est qu'il y a un public metal et rock alternatif un peu
burné en France, qui est hyper passionné à la fois d'écoute de
disques, et à la fois de concerts. Donc on espère d'une manière ou
d'une autre pouvoir parler à ces gens-là ? Est-ce que 2022 sera
l'année idéale pour ça ? Aucune idée.
On a des questions rituelles pour finir les interviews. À la
question de définir le groupe en deux ou trois mots, vous m'aviez
répondu : Puissance. Emotion. Complicité. Ce sont toujours les
mêmes ? Ou bien cela a évolué ?
Non. Cela reste une définition qui est encore tout à fait
valable. Il y a une vraie complicité dans la façon dont on
fonctionne ensemble et il faut absolument que cela commence par là.
N'importe quel groupe qui a envie de faire de la musique doit avant
tout faire ce qu'il aime pour se faire plaisir. Et c'est comme ça
que tu trouves une entente.
Et dernière question : quel est le dernier morceau ou dernier
album que tu as écouté ?
Le dernier album que j'ai écouté doit être le dernier Nick Cave.
Avec Warren Ellis, et il s'appelle « Carnage ». C'est le troisième
album d'une série qu'il a composé depuis la mort d'un de ses fils.
Un album absolument déchirant, très très émouvant. Ce n'est pas de
l'écoute facile. Il y a une profondeur d'émotion qui est
hallucinante. J'ai eu du mal à m'en remettre.
Merci beaucoup pour cette interview.
Merci beaucoup à toi.
Propos recueillis par Yann Charles
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