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EN TERRE DE BLUES 2021 pdf print E-mail
Ecrit par Chris Foucher  
samedi, 04 décembre 2021
 

TDB 2021 EN TERRE DE BLUES 2021
Du 22 novembre au 4 décembre 2021

https://visitmississippi.org
https://www.visitclarksdale.com
https://www.memphistravel.com

Lundi 22 novembre : de Paris à New Orleans …

Ça y est, depuis le temps que l’on attendait ça : février 2020 pour mon compagnon de voyage, Fred Delforge, mais depuis toujours pour moi ! Premier voyage dans le Deep South, pour un p’tit gars qui joue le Blues depuis 30 ans … Pour ainsi dire un pèlerinage … Après avoir vérifié 20 fois que j’avais tous les papiers : carte d’embarquement, ESTA, mais aussi certificat de vaccination, résultats de tests fait deux jours avant le départ, déclaration sur l’honneur où je m’engage à avoir fait les tests, à me re-tester au besoin … on est bien en 2021 …

Levés à 2h30, partis à 3h15, nous arrivons à l’aéroport à 4h30 pour décoller à 7h20, direction Amsterdam … Une escale avant de décoller pour Détroit, puis la Nouvelle-Orléans … Quelques heures d’avion à jouer aux échecs, sur l’appuie-tête, regarder 2 ou 3 films et essayer de dormir en se disant qu’il faudrait être en forme en arrivant … On évite aussi de se faire trop d’espoir pour pouvoir se laisser porter par un voyage qui s’annonce de toute façon extraordinaire …

Bref nous arrivons à la Nouvelle-Orléans vers 17 heures, heure locale, le soleil commence à se coucher et, par chance, je suis côté hublot et j’en prends plein les yeux à m’en brûler la rétine, je scrute les méandres du Mississippi qui serpentent, là, tout en dessous … Pas de chance, je suis du mauvais côté de l’appareil, je ne verrai pas la Nouvelle-Orléans avant d’y avoir atterri, mais ce que j’ai vu du Delta du Mississippi, le géographique, pas celui du Blues, m’a déjà comblé et conquis !
 
Le temps de récupérer la voiture de location et nous voilà sur les routes pour rejoindre l’hôtel, fatigués, mais heureux d’être là, et encore plus heureux en pensant à ce qui nous attend…

Mardi 23 novembre : de New Orleans à Vicksburg

Debout à 4h00, décalage horaire oblige, nous commençons notre périple par une visite des urgences de l’East Jefferson General Hospital : mon ami et guide, Fred, ayant eu des mots avec son chat juste avant le départ, ce dernier lui a laissé pour souvenir une infection de la main gauche … Arrivés à 5h30, nous en repartons 3 heures plus tard, saluant au passage le professionnalisme et la gentillesse du personnel.

Nous prenons ensuite la route pour Vicksburg. Cette journée est, comme on dit au Tour de France, une étape de transition. Notre Road Movie commence par une traversée de la Louisiane, où je découvre le bayou et au cours de laquelle je me découvre une passion pour les vieux ponts métalliques et les panneaux de signalisation américains !

Nous découvrons par les chemins de traverse Breaux Bridge, Henderson, et le Pontoon Bridge de Butte La Rose, des endroits magnifiques qui font le bonheur de mon appareil photo, sans s’éterniser non plus car la route est encore longue …

Nous continuons notre périple jusqu’à Lettsworth, où nous nous arrêtons près du marqueur de la maison natale de Buddy Guy, puis nous laissons la Louisiane pour le Mississipi, et nous arrivons à Natchez où je découvre les tamales de Fat Mama et, surtout, où nous descendons au bord du fleuve pour un magnifique coucher de soleil avant de repartir pour notre destination finale, Vicksburg.
 
Mercredi 24 novembre : de Vicksburg à Clarksdale

Attention, journée magique ! Après une rapide visite de Vicksburg, ville marquée par l’histoire, celle de la Guerre de Sécession en particulier, nous prenons la route pour Clarksdale. Moins de route que la veille mais suffisamment pour laisser libre cours à ma passion pour les panneaux indicateurs …
 
Premier arrêt à Belzoni pour voir ce qu’il reste de la maison natale de Pinetop Perkins, puis nous partons en direction du fief de BB King, Indianola, qui abrite le superbe BB King Museum. Difficile quand on est un admirateur du maître de ne pas verser sa larme devant tant de reliques, ce fut mon cas !
 
Le Blue Biscuit, halte gastronomique quasi obligée, situé en face du Musée, étant fermé, nous nous sommes rabattus sur le délicieusement suranné salon de thé restaurant The Crown où nous avons mangé un magnifique catfish “Allison” avant de nous rendre sur la tombe de Charley Patton.
 
Poursuivant notre route vers Clarksdale, nous nous sommes arrêtés à la Dockery Plantation, célèbre lieu de mémoire, à la fois comme un des lieux de naissance du Blues (Charley Patton en est la figure emblématique) mais aussi pour essayer de comprendre les conditions de vie des familles qui vivaient et travaillaient sur place. De la plantation, il ne reste que quelques bâtiments, mais cela reste un lieu “habité” par les fantômes des générations qui y ont vécu, travaillé, et souvent souffert.

Toujours sur la route de Clarksdale, nous faisons une halte pour voir ce qui fut un haut-lieu du Blues, le Juke-Joint du Po’ Monkey, fermé depuis la mort de son propriétaire et aujourd’hui à l’abandon … Un véritable crève-cœur pour ceux qui ont connu le lieu au temps de sa grandeur …

Enfin nous arrivons à Clarksdale, au Shack Up Inn, où nous déposons nos bagages avant de nous rendre au Ground Zero Blues Club, un des nombreux clubs mythiques, pour assister à un concert mémorable avec pas moins de sept groupes réunis pour récolter des fonds pour le Sunflower River Blues & Gospel Festival, histoire de terminer la journée en apothéose ! (Résumé du concert ici)

Jeudi 25 novembre : Greenwood et la recherche des tombes de Robert Johnson

Le jeudi de Thanksgiving, tout est fermé, c’est pourquoi nous avions choisi de visiter tout ce qui était extérieur, comme par exemple aller voir les tombes de Robert Johnson … Oui, LES tombes, car il y en a plusieurs, trois, c’est dire si l’homme était une légende ! Nous fûmes particulièrement inspiré de choisir ce jour, car c’était, a priori, le plus pluvieux de notre séjour … C’est donc sous une pluie battante que nous entamons notre périple du jour … Une riche idée car la terre du Mississippi se transforme INSTANTANÉMENT en bain de boue lorsque la pluie tombe !

Nous sommes donc allés successivement à Greenwood, Quito et Morgan City pour voir celles qui sont présentées comme les tombes de Robert Johnson, en réalité, une seule est authentique, évidemment, il s’agit de celle de Greenwood. La seconde a été identifiée selon les dires d’une femme qui l’avait connu, et hâtivement considérée comme telle lorsque qu’un groupe, Tombstone, a décidé d’offrir la pierre tombale, quant à la troisième, il ne s’agit pas d’une tombe mais d’un monument commémoratif, qui a été édifié en premier par Columbia Records …

Sur le chemin nous passons devant ce qui reste aujourd’hui de la Bryant Grocery, lieu emblématique de la lutte pour les droits civiques. C’est là, à Money, que pour avoir semble-t-il fait peur à la propriétaire, Carolyn Till, quelques jours auparavant, le 28 août 1955, le jeune Emmet Till, 14 ans, de Chicago, qui était là en vacances, est lynché et torturé à mort par le mari de la femme et le demi-frère de celui-ci. Son cadavre est ensuite jeté dans la rivière … Il sera retrouvé quelques jours plus tard. Sa mère ayant insisté pour que le cercueil soit ouvert pour ses funérailles, les photos du visage défiguré du jeune adolescent feront le tour des États-Unis, déclenchant une vague d’indignation. Ce meurtre et l’acquittement des deux suspects par un jury composé d’hommes blancs sera un des principaux événements à l’origine du mouvement pour les droits civiques … Notons également qu’un an plus tard, les deux hommes reconnaîtront les faits dans une interview à Look, car assurés de ne pouvoir être jugés deux fois pour le même crime grâce au Double Jeopardy Act … Depuis 2008, plusieurs marqueurs ont été placé pour célébrer la mémoire d’Emmet Till, dont un sur les lieux de l’épicerie,  ces marqueurs sont régulièrement vandalisés ou détruits, c’était d’ailleurs le cas lors de notre passage … Signe que la bêtise et le racisme sont toujours présents !

La dernière étape de notre journée nous conduit à Tutwiler. C’est dans la gare de cette ville que W.C. Handy, le premier à avoir officiellement composé un morceau de Blues, aurait vu un homme jouer de la guitare en se servant d’une lame de couteau comme d’un slide. C’est aussi dans cette ville qu’il y a une superbe fresque dont le dernier panneau, consacré à Sonny Boy Williamson II (Aleck “Rice” Miller de son vrai nom), figure un plan menant à la tombe de ce dernier. Honnêtement, il faut avoir beaucoup d’imagination pour la trouver, mais mon compagnon de route connaît suffisamment bien les lieux pour nous y mener sans coup férir ! Et c’est au milieu des champs, sous une pluie qui venait de cesser que nous trouvons le petit cimetière ou le légendaire harmoniciste est enterré. Comme d’habitude il y a quelque chose d’ironique à voir ces tombes de bluesmen vénérés dans le monde entier par les aficionados perdues au milieu de nulle part …

Une belle journée, encore, malgré la météo. Entre Mr Johnson, Emmet Till, WC Handy et Sonny Boy Williamson, on a connu pire comme compagnie...

Vendredi 26 novembre : Clarksdale, Cleveland, etc.

Après les averses de la veille, le temps ensoleillé qui se profilait aux premières heures était le bienvenu. Profitant de la lumière des premiers rayons du soleil, je pris mon appareil pour prendre quelques clichés du Shack up Inn au petit matin, bravant les températures matinales. La lumière du Mississippi et la beauté du lieu sont extraordinaires et les quelques clichés partagés ici ne leur rendent pas tout à fait justice.

Nous prenons ensuite la route en direction de Cleveland, pour visiter le Grammy Museum, créé par la fondation distribuant les récompenses musicales suprêmes aux États-Unis, les Grammy Awards. Le bâtiment est déjà impressionnant, mais ça n’est rien à côté des trésors que le musée abrite, des tenues de scènes d’artistes de tous horizons, des instruments ayant appartenu aux plus grands noms de la musique américaine. Des animations sont aussi disponibles, comme la possibilité d’écrire et d’enregistrer un morceau avec Keb Mo’, ou d’apprendre des pas de danse. Personnellement, pour des raisons évidentes d’incapacité motrice, j’ai choisi la première. Deux expositions ont également attiré notre attention, celle consacrée à Willie Mitchell et au Royal Studio, ainsi que celle consacrée aux 40 ans de MTV. Dans les deux cas, on y trouve de saintes reliques : tenues et matériel d’enregistrement pour le Royal Studio, guitare et textes de Bruce Springsteen, batterie de Bruno Mars, etc. … Difficile et inutile d’être exhaustif, le Grammy Museum de Cleveland vaut clairement le déplacement.

Nous reprenons le volant pour nous rendre chez Cat Head, magasin mythique de Clarksdale dédié au Blues. Nous y dépensons quelques économies, mais le choix est immense et c’est un supplice de devoir choisir parmi tout ce qui est proposé. Puis nous allons nous sustenter dans le non moins mythique Abe’s Bar-B-Q, installé depuis 1924 et où nous nous sommes régalés de ribs ! Puisqu’on est dans le mythique, Abe’s est installé au fameux Crossroad, ce carrefour de la Route 49 et de la Highway 61 où Robert Johnson aurait signé son pacte avec le diable (notons qu’aujourd’hui il est beaucoup moins onéreux d’apprendre la guitare, si, si.). C’est à ce moment que je décide de prendre LA photo que prennent tous ceux qui sont venus ici : le monument bleu avec ses guitares !

L’après-midi nous nous rendons au Delta Blues Museum. Ce musée fera le bonheur de tous ceux qui aiment de près ou de loin le Blues, on y trouve encore des reliques : guitares, tenues de scènes, objets divers et variés. Mais surtout on y trouve les restes de la maison natale de Muddy Waters ainsi que la guitare qui a été construite avec le bois de celle-ci grâce au groupe ZZ Top. Le contenu est tellement riche qu’il est une nouvelle fois difficile d’en dresser une liste exhaustive, mais ce musée célèbre la mémoire de tous ceux, et toutes celles, connu(e)s ou inconnu(e)s qui ont contribué à créer et à faire vivre le Delta Blues. Il est malheureusement interdit de prendre des photos à l’intérieur du musée, nous ne pouvons donc que vous le décrire ... Un détail amusant cependant, la toute dernière pièce du musée est consacrée à Charlie Musselwhite, le légendaire harmoniciste que nous avons eu la chance de rencontrer un peu plus tôt dans l’après-midi dans les rues de Clarksdale … Quand on vous dit que c’est une ville magique ! Juste à côté du musée, on trouve le marqueur et la scène du Sunflower Blues and Gospel festival, un festival qui existe depuis 1938.

Après être passés voir le Riverside Hôtel, où Bessie Smith est morte après un accident de voiture, nous avons erré dans les rues à la recherche des œuvres de street art qui émaillent les murs, puis, nous avons regagné le Shack Up Inn pour y assister au concert de Big T. Williams. Ces trois jours passés autour et à Clarksdale ont été fantastiques, c’est une ville étonnante, dotée de vibrations particulières, et, pour moi, elle restera un magnifique souvenir.

Samedi 27 novembre : sur la route de Memphis …

C’est une nouvelle étape de transition que nous vivons ce samedi. Laissant Clarksdale derrière nous, nous nous dirigeons, via la Route du Blues, la Highway 61, vers Memphis. Une première halte à Tunica au marqueur du Hollywood Café, qui, s’il n’est plus sur son emplacement d’origine, reste un lieu mythique qui a vu jouer Son House et la pianiste Muriel Wilkins. Celle-ci et le Hollywood Café furent immortalisés dans la chanson « Walking in Memphis » de Marc Cohn.

Notre seconde halte à Tunica sera au Gateway to the Blues, un “visitor center”, c’est-à-dire le lieu où les touristes peuvent venir chercher de l’information. L’accueil y est de qualité et les lieux sont très sympas, une boutique permet d’acheter T-shirts, livres et cadeaux autour du Blues et, en prime, une collection de guitares accrochées en hauteur. L’endroit abrite également un musée sur le Blues, son histoire, et ses musiciens. Non loin de Tunica se trouve la tombe de Memphis Minnie. Née sous le nom de Lizzie Douglas en 1897, elle est une figure majeure de l’histoire du Blues, aujourd’hui un peu oubliée. Elle a signé des compositions comme « When the levee breaks », reprise bien plus tard par Led Zeppelin. Comme d’habitude depuis le début du séjour, sa tombe se trouve à côté d’une petite église perdue au fin-fond de la campagne.

Nous entrons dans l’état du Tennessee pour arriver à Memphis en tout début d’après-midi. Après avoir constaté que le Four Way, haut lieu de la Soul Food, était fermé pour la semaine, et avant de nous rabattre sur le Cozy Corner pour y déguster de fabuleux ribs (oui, encore), nous nous arrêtons devant la maison natale d’Aretha Franklin, puis nous nous rendons à la I Am A Man Plaza où se trouve le monument dédié aux travailleurs américains. Plus précisément, celui-ci rappelle la lutte des éboueurs de Memphis qui, en février 1968, firent grève pour protester contre leurs conditions de travail. Martin Luther King Jr. vint les soutenir dans leur lutte et pris la tête d’une manifestation le 28 mars, manifestation qui tourna à l’émeute après qu’un jeune de 16 ans fut abattu. Quatre jours plus tard, Martin Luther King Jr. était assassiné au Lorraine Motel. À la suite de ce meurtre, le Président Johnson fit pression sur le maire de Memphis pour qu’il cède aux exigences de grévistes.

Nous continuons notre déambulation, passant devant le Lorraine Motel mais aussi la Blues Foundation, l’Arcade, le plus vieux restaurant de Memphis, où Elvis aimait venir prendre ses petits-déjeuners, et L’Orpheum, théâtre de la ville où se déroule la finale de l’International Blues Challenge chaque année.

Nous faisons un petit détour par l’Arkansas pour découvrir le pont de Memphis sur le Mississippi et la magnifique skyline de la ville qui se détache sur l’horizon avec son centre des conventions en forme de pyramide. Nous regagnons enfin notre hôtel où nous prenons nos quartiers avant d’assister au concert de John Nemeth dans la soirée.

Dimanche 28 novembre : une messe, la Blues Foundation et une bière

Ce dimanche matin commence par une déambulation matinale dans les rues de Memphis. Après être passé devant la maison de W.C. Handy, le compositeur qui, le premier, a écrit un Blues de manière officielle, je ne manque pas de traverser Beale Street sous la fraîche température de cette fin novembre et la magnifique lumière du Tennessee.

Puisque nous sommes dimanche, pourquoi ne pas aller à la messe ? C’est ce que nous faisons, en nous rendant à la Peace Baptist Church que Fred connaît bien puisque c’est là qu’il emmène chaque année les participants français à l’International Blues Challenge de Memphis. Cette fois l’assemblée est clairsemée, loin de la fréquentation habituelle. La faute, nous supposons, à la pandémie : la célébration semble retransmise en direct et seulement un rang sur deux est accessible. C’est donc dans une église très loin d’être remplie que nous assistons à l’office, et là … De nous deux je suis le seul à ne pas m’attendre à ce qui suit, mais il faut dire que rien ne m’y préparait : personnellement habitué à la traditionnelle messe catholique, j’ai été soufflé par la puissance et les qualités des choristes et des musiciens présents. Si le Blues est pour le Diable, Dieu n’est pas en reste avec une telle musique : l’office commence par vingt minutes de chants beaux et puissants qui vous prennent à froid et vous laissent sans voix pour écouter le sermon du pasteur. Les longs chants accompagnés par des musiciens à l’écoute et rompus à l'exercice sont extraordinaires, il est difficile de retranscrire avec des mots l’émotion ressentie dans cette petite église !

Pour nous remettre de nos émotions nous nous dirigeons ensuite sur Beale Street pour déjeuner au Blues City Café, un lieu connu de tous à Memphis, où nous dévorons un énorme T-Bone steak.

Un peu plus tard dans la journée, nous avons la chance de pouvoir visiter le Blues Hall Of Fame de la Blues Foundation en compagnie de son instigateur, Jay Sieleman, ancien président de la fondation. Encore une fois nous voyons des objets qui sont autant de reliques pour les amateurs de Blues : une guitare de RL Burnside, la valise de Howling Wolf, une chemise de Stevie Ray Vaughan … La liste est longue. A titre personnel, j’ai été particulièrement ému par un manuscrit de chanson de Willie Dixon ...

Nous partons ensuite prendre quelques rafraîchissements au Wiseacre, une grande brasserie, disposant d’un nombre conséquent de bières différentes. Une production de qualité qui fera de ce lieu un passage obligé pour tout touriste amateur de bière ! Alors que le jour commence à faiblir, j’ai ensuite la chance de pouvoir aller prendre des photos panoramiques de la ville en compagnie de Jay Sieleman, sur la passerelle piétonne enjambant le Mississippi, pénétrant pour l’occasion en Arkansas dont la frontière se situe au milieu du fleuve. Cette lumière si particulière combinée au point de vue unique sur la ville permet de faire quelques clichés intéressants de Memphis.

Laissant mon compagnon de route à l’hôtel, je pars en direction de Beale Street à la nuit tombée pour observer et photographier les fascinantes enseignes lumineuses et assister à l’effervescence de cette rue habituellement animée. Malheureusement pour les commerçants, on est loin de la cohue des grands jours, si je compte bien il y a six groupes qui jouent dans les clubs de la rue, ce qui doit représenter 400 mètres, mais dans Beale Street il y a presque plus de véhicules de police que d’amateurs de Blues. Certains groupes, de qualité pourtant, ne jouent devant personne, et ce n’est pas une manière de parler, hélas. Les temps sont difficiles pour tout le monde et Beale Street n’échappe pas à la règle.

On ne va cependant pas bouder notre plaisir, la journée fut, encore une fois, exceptionnelle avec la découverte du Gospel “in real life”, celle du Blues City Café et du Blues Hall Of Fame de la Blues Foundation, ainsi que la rencontre d’un grand monsieur qui a énormément œuvré pour le Blues.

Lundi 29 novembre : Stax, Royal Studio et Street art …

La journée commence par une expédition prévue de longue date pour moi au Stax Museum, haut lieu de la musique américaine dont les succès sont tellement nombreux qu’ils sont difficile à dénombrer ici, mais des gens comme Steve Cropper, Albert King, Isaac Hayes ou Otis Redding ont fait les belles heures de cette maison de production, même si ce ne sont que quelques-uns des grand noms de la Stax. De plus, la Stax a été la bande son de la lutte pour les droits civiques. Aujourd’hui, il n’y a plus de studios, mais un musée et une école, la Stax Music Academy. Si vous avez ça en tête, vous comprenez ce qu’elle représente dans l’histoire de la musique … Maintenant, si vous souhaitez visiter, il y a une chose à savoir : le Stax Museum est fermé le lundi, dommage, nous n’en verrons cette fois que l’extérieur.

Surmontant notre déception, nous repartons sur les routes de Memphis, en passant devant les studios de Sun Records, haut lieu du Rock’n’Roll. Elvis, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, voilà des noms qui fleurent bon le Rock’n’Roll des premiers âges et tous sont passés par ce studio mythique qui fonctionne toujours en soirée, après la fermeture du musée …

Un autre studio mythique de Memphis est celui fondé par Willie Mitchell : le Royal Studio. Aujourd’hui c’est son petit-fils et fils adoptif, Boo Mitchell, qui est à la tête du studio. Il a été le premier producteur de Memphis à gagner un Grammy Award pour « Uptown Funk » de Bruno Mars et Mark Ronson. Pour l’édition 2022, quatre de ses productions sont nominées aux Grammy Awards : Christone Kingfish Ingram, Cédric Burnside, Valerie June et Blues Traveler. Il se dit que Bruno Mars a choisi d’y enregistrer son prochain album … Quelle que soit sa notoriété, il faut savoir que Boo Mitchell est un gentleman : toujours tiré à quatre épingles, et surtout d’une gentillesse et d’une courtoisie rare. Alors que nous le rencontrons en plein enregistrement, il prend le temps de nous parler : à Fred Delforge d’abord, avec qui il a noué une amitié de longue date, mais aussi à moi qui débarque de nulle part … Savoir traiter tout le monde avec une courtoisie égale est le signe des grands, un gentleman vous dis-je … Et le Royal Studio est un endroit incroyable où opère la magie de Boo Mitchell et des musiciens qui ont la chance de travailler avec lui …

Nous quittons Boo pour nous diriger vers Graceland, l’ancienne maison d’Elvis devenue un passage touristique obligé, mais notre timing serré ne nous permettant pas d’y accorder le temps qui serait nécessaire à sa visite, nous nous contentons de passer devant. Nous nous arrêtons ensuite le temps d’une photo devant l’Église du Pasteur Al Green, fondée en 1976, oui, c’est bien le chanteur dont les disques d’or sont accrochés au Royal Studio. Puis nous prenons le temps de visiter le Martin Guitar Shop et même un pawn shop à la recherche d’une pièce rare, mais la pêche n’a pas été fructueuse …

Un petit mot également sur le street art dans les rues de Memphis … Memphis est une grande ville américaine, et, comme telle, elle recèle de nombreuses friches et de nombreux murs qui sont autant de toiles blanches pour le street art. Beaucoup d'artistes se sont emparés de ces lieux d'expression et la ville dévoile ses trésors à ceux qui savent regarder. Le matin, par exemple, nous avons découvert un portrait de Boo Mitchell sur une fresque réalisée sur toile par James Davis, qui est le tailleur sur mesure dont la boutique est juste à côté …

Nous faisons un détour par le Lorraine Motel, lieu de l’assassinat du pasteur Martin Luther King Jr, figure majeure de la lutte pour les droits civiques, le 4 avril 1968. Une couronne de fleurs blanches marque l’endroit où il s’est écroulé et le motel abrite désormais un magnifique Musée des Droits Civiques. Rappelons que la lutte pour les droits civiques, n’était que la revendication légitime des Noirs américains des années 60 à être reconnus comme des citoyens à part entière. Une histoire difficile et violente, qui n’est pas encore réglée aujourd’hui …

La lumière du jour commence à baisser, il est temps pour nous de nous rendre sur Beale Street pour un dernier tour au milieu de ses néons, accueillis par le son des concerts donnés dans les clubs décidément bien vides … Voilà que notre séjour à Memphis touche déjà à sa fin : une ville étonnante qui vibre au son du Blues et de la lutte pour les droits civiques, mais qui a bien du mal à se remettre de la pandémie, espérons que cela ne soit que provisoire.

Mardi 30 novembre : de Memphis à Lynchburg

C’est avec regret que nous quittons Memphis de bonne heure ce matin. Nous délaissons provisoirement le Tennessee pour nous rendre en Alabama à la poursuite d’un autre pan de l’Histoire de la musique américaine dans la ville de Muscle Shoals. Nous nous rendons aux Studios Fame où ont enregistré, excusez du peu : Aretha Franklin, Percy Sledge, Les Allmann Brothers, Lynyrd Skynyrd, Alicia Keys … Après une vidéo de présentation, notre guide nous fait découvrir le Studio B puis le mythique studio A où la jeune Aretha Franklin a enregistré « I’ve never loved a man the way that I love you » et Percy Sledge « When a man loves a woman » … On peut même voir l’orgue Wurlitzer utilisé par la diva de la Soul lors de l’enregistrement, l’émotion est au rendez-vous … Nous poursuivons ensuite notre périple par un rapide coup d’œil extérieur aux studios d’enregistrement dits de Muscle Shoals Sound Studios dont la section rythmique, les fameux Swampers qui étaient d’anciens de Fame et qui possédaient le studio ont également fait les beaux jours de la musique, enregistrant notamment « Brown Sugar » et « Wild Horses » des Rolling Stones.

Avant de quitter Muscle Shoals, nous passons rapidement par le Hall of Fame of Alabama Music, puis nous nous dirigeons vers Florence, en Alabama bien sûr, où nous nous attardons devant la maison d’enfance de W.C. Handy, le premier à avoir officiellement composé un Blues et dont nous vous avons parlé lors de notre périple à Memphis. Nous nous dirigeons ensuite vers le but de notre voyage : Lynchburg dans le Tennessee … Pour cela nous passons par la ville de Pulaski, qui est la ville où le Ku Klux Klan a été fondé en 1866 par six jeunes officiers sudistes désœuvrés et sans argent. Le "club" sera ensuite récupéré par le général de cavalerie Nathan Forrest, ancien marchand d’esclaves et propriétaire de deux plantations à Memphis, pour devenir l’organisation terroriste que nous connaissons, responsable de la mort d’au moins 10 000 morts depuis sa création … Au fil des années, le Klan écrira les pages les plus sombres de l’Histoire américaine ...

Enfin nous arrivons à Lynchburg, petite ville du Tennessee, connue pour abriter la distillerie Jack Daniel’s. Pour les amoureux de ce Tennessee Whiskey, Lynchburg est la Mecque ! Une anecdote amusante cependant : malgré la présence de la distillerie sur son territoire, le comté de Moore est ce que l'on appelle un « dry county », c'est-à-dire un territoire où la vente d'alcool est interdite. Une dérogation permet à la distillerie de vendre des bouteilles aux touristes, excepté le dimanche. Certaines boutiques sont également autorisées à vendre des bouteilles collectors dont certaines valent plusieurs centaines de dollars, mais c’est tout. Posséder une distillerie qui est une des premières mondiales sur un territoire où la prohibition est toujours de mise, c’est un paradoxe pour le moins étonnant … Nous nous rendons au visitors center pour y trouver, pourquoi pas, une perle rare pour mon collectionneur de compagnon de voyage, mais ce ne sera pas le cas. Le lieu reste impressionnant, la visite de la distillerie est possible, mais ici, comme ailleurs, ce qui marque c’est l’absence de visiteurs. Il y en a quelques-uns, bien sûr, mais on est très loin de la fréquentation ante-Covid.

Mercredi 1er décembre : Tupelo - Oxford - d’Elvis à William Faulkner

Nous laissons Lynchburg, le pays du Jack Daniel’s, derrière nous, en direction de Tupelo. Nous quittons donc le Tennessee pour retourner dans le Mississippi. Au passage nous découvrons le centre de recherche spatiale de Hunstville, en Alabama, où ont été développées les fusées qui ont envoyé les hommes sur la lune, le centre spatial est toujours actif et travaille sur la future mission habitée pour Mars … La route est longue, 3h30 d’asphalte, et nous arrivons en fin de matinée.

Tupelo est la ville natale d’Elvis, et il y a passé ses treize premières années. Si Graceland à Memphis est le mausolée du King, la petite ville du Mississippi n’oublie pas de mettre en valeur l’enfant du pays. En lui consacrant un musée pour commencer, situé à côté de la maison où il est né, le 8 janvier 1935. On y découvre, outre la minuscule maison natale d’Elvis bâtie par son père, Vernon, son oncle et son grand-père, une voiture qui est le modèle que son père possédait lorsque les Presley ont quitté la ville pour Memphis, l’église guère plus grande où la future star a découvert le gospel et les premiers accords de guitare, enseignés par le pasteur pour accompagner la chorale. Le musée est aussi intéressant et la boutique vaut le détour pour l’ensemble du merchandising consacré au King, souvent très exotique …

La “Elvis trail”, circuit organisé par l’office du tourisme de la ville, présente les lieux marquants de la jeunesse d’Elvis. Elle nous emmène au Johnnie's Drive­ In, où il passait du temps du temps avec son ami James Ausborne, autour d’un cheeseburger et d’un cola. Nous en profitons pour nous y restaurer, malheureusement à l’extérieur à cause des restrictions sanitaires, et nous nous ne pouvons prendre de photos de l’intérieur qu’à travers la porte d’entrée.

Nous avons le plaisir de voir un client venir au volant d’un petit bijou : une Ford Crown de 1957, magnifiquement restaurée, à l'extérieur comme à l’intérieur, légitimement fier de sa voiture le propriétaire m’invite à me mettre au volant, je ne me suis pas fait prier …

Après avoir mangé, nous nous dirigeons vers le Tupelo Hardware Store, où Elvis a acheté sa première guitare. Puis nous partons à la découverte d’une toute nouvelle étape ajoutée à l’Elvis Trail : le Lyric Theater. Dans les années 40 le théâtre abritait un cinéma où le futur King se rendait régulièrement et où il franchissait les barrières séparant les blancs des noirs pour retrouver ses amis. On raconte même que c’est là qu’il échangea son premier baiser … Nous avons la bonne surprise d’être accueillis par le directeur du théâtre, Tom, qui nous laisse entrer à l’intérieur et découvrir un théâtre à l’ancienne, dans son jus. Le lieu est magnifique. Sur scène les décors d’une représentation future de Noël destinée à un jeune public sont installés. Aujourd’hui le théâtre s’appelle le Tupelo Community Theater, mais il s’agit bien de l’antique Lyric Theater qui est là depuis 109 ans ! En écoutant Tom parler de son théâtre, on sent la passion qui l’anime et qu’il sait nous partager. En dehors même de ce qu’il représente pour l’histoire d’Elvis, le lieu est magique !

Nous quittons Tupelo pour nous diriger vers Oxford, la ville, au nom si britannique, abrite l’Université du Mississippi fondée en 1848, et surnommée Ole Miss depuis un concours en 1896. C’est une jeune femme, Elma Meek, qui avait proposé le nom qui était la manière dont les esclaves désignaient la femme de leur propriétaire. L’Université du Mississippi possède une des plus grandes bases de données sur le Blues, des archives inestimables, qui lui ont valu la présence d’un marqueur. Nous nous rendons ensuite à la magnifique librairie Square Books, en plein centre-ville, où nous déposons quelques exemplaires du livre « En Terre de Blues ».

Oxford est aussi la ville de William Faulkner, prix nobel de littérature, et un des plus grands auteurs du Deep South, et de la littérature mondiale. Scénariste, il travailla avec Howard Hawks pour qui il écrivit les scénarios du Grand Sommeil et du Port de l’Angoisse… Nous prenons le temps de nous rendre devant la maison, Rowan Oak, puis sur la tombe de l’écrivain qui avait voulu pour épitaphe : “Il fit des livres, et il mourut”.


Jeudi 2 décembre : de Tupelo à Jackson

Ce jeudi matin nous prenons la route pour la ville de Bruce, pour y marcher sur les traces de Leo Bud Welch. Ce bluesman authentique et attachant, qui a aussi beaucoup joué de gospel, a débuté sa carrière discographique en 2014, avec « Sabougla Voices » (Sabougla étant le nom de sa ville natale), un album de gospel, justement. Lorsque ce premier album paraît, Leo Bud Welch a 82 ans. Accédant à la reconnaissance sur le tard, bûcheron pendant 30 ans, il n’en reste pas moins un authentique bluesman du delta qui a traîné ses guêtres un peu partout, dans les pique-niques, les juke joints, les rent-parties (où l’on organise un concert pour payer son loyer), jouant de la guitare, de l’harmonica et même du violon. Les dernières années de sa vie ont été celles de la reconnaissance, un film, « Late Blossom Blues », lui a même été consacré. Il a également participé à de nombreux festivals, dont ceux de Cahors et de Crissier en Suisse. Leo Bud Welch était de la trempe des R.L. Burnside ou Junior Kimbrough et nous a quittés le 19 décembre 2017 … Nous nous rendons donc tout d’abord à son marqueur situé en centre-ville, puis près de sa très modeste maison, transformée en musée, juste à côté d’un petit centre commercial, puis sur sa tombe, à Calhoun City.
 
Nous quittons les souvenirs de Leo Bud Welch, pour rendre hommage à une autre légende du Blues, Mississippi John Hurt, en nous rendant à un de ses marqueurs, situé à côté de l’épicerie où il aimait se rendre. Le bâtiment, en bois, se délabre tout doucement. Non loin de là, à Avalon, la maison de Mississippi John Hurt, réhabilitée par sa petite fille, abrite un musée. Nous partons ensuite pour Greenwood, où nous sommes déjà allés la semaine dernière, car c’est là que Robert Johnson est enterré, pour une halte gastronomique au Crystal Grill, un restaurant hors du temps qui propose une excellente Soul Food. Comme il se doit nous arrivons à 12h06 pour le catering (oui, le fameux catering de midi six…). Plus sérieusement la Soul Food est la cuisine des Africains Américains du Sud, combinant des éléments de cuisine traditionnelle africaine à ce qui était disponible dans les plantations, c’est une culture culinaire particulière dans laquelle on peut trouver des abats notamment.
 
Nous poursuivons nos déambulations en direction de Bentonia, nous arrêtant avant cela devant un marqueur de Skip James. Nous arrivons ensuite devant le plus vieux juke joint encore en activité dans le Delta du Mississippi, celui de Jimmy Duck Holmes. Dernier représentant du style de Blues connu sous le nom de Bentonia School, Jimmy Duck Holmes est donc aussi, depuis 1972, le propriétaire du Blue Front Café, où il organise des concerts et un festival et joue souvent. Le café a été ouvert par ses parents en 1948. À côté du Blue Front Café se tient un grand bâtiment, un ancien Gin Mill, où Jimmy organise des concerts. Dire que le Blue Front Café est une institution saurait être en dessous de la vérité, c’est une légende ! Certains y laissent leur empreinte en signant sur les murs. La Bentonia School a connu avec Skip James sont plus célèbre représentant, le côté lancinant de la musique, l’absence de solo, l’absence de structure précise (l’instrument suit la voix selon les inspiration du chanteur) et un accordage en Mi ou Ré mineur fait de ce style de Blues un style à part, rural, âpre, mais toujours généreux. Nous avons également la chance de pouvoir échanger quelques mots avec le frère de Jimmy.

Enfin, nous finissons la journée à Jackson, la capitale du Mississippi, qui était aussi un haut lieu du Blues avec Farish Street. Dans cette rue on pouvait trouver des clubs, un théâtre … de l’animation culturelle ! Aujourd'hui, la rue n’est plus que l’ombre d’elle-même et tombe en décrépitude. Un théâtre, l’Alamo est toujours en activité, Nat King Cole, Louis Jordan ou Elmore James y sont passés … La culture Blues à Jackson semble n’être qu’un lointain écho du passé, comme en témoigne le juke joint Queen of Hearts, lui aussi fermé … Heureusement que d’autres lieux perdurent, comme par exemple le Hal & Mal’s, récipiendaire d’un Keeping The Blues Alive Award en janvier 2020. Sans jeter la pierre à qui que ce soit, constatons simplement que rien n’est éternel et que si nous souhaitons transmettre aux générations futures cette musique que nous aimons tant, alors, peut-être, faut-il continuer à la défendre, en aidant à faire vivre les lieux qui la diffusent, en allant voir des concerts, en encourageant les groupes qui la jouent et qui la font évoluer, en partageant notre passion … Nous terminons notre journée en rendant visite au marqueur d’une des dernières légendes du Blues, qui a grandi à Jackson, l’inimitable Bobby Rush.

Vendredi 3 décembre : de Jackson à la Nouvelle-Orléans

Nous reprenons la journée comme nous avions terminé la précédente : avec Bobby Rush, mais le vrai cette fois ! Après être passés faire nos tests COVID-19 pour le départ du lendemain, nous nous rendons à l’invitation de Bobby, suite à sa rencontre avec Fred lors du Blues Heaven Festival au Danemark, dans un quartier tranquille de Jackson. Bobby Rush c’est bientôt 70 ans de carrière, 32 albums, 2 Grammy Awards en 2017 et 2021, et 14 Blues Music Awards … Connu pour ses shows généreux et intenses, il n’a rien perdu de son énergie malgré ses 88 printemps ! Nous profitons d’un moment privilégié avec cet immense bluesman, sans doute le dernier, avec Buddy Guy, restant de la grande époque : tout jeune il a fait jouer Elmore James dans son groupe … Autour d’un petit déjeuner, il nous prodigue des conseils que nous écoutons religieusement, si Bobby Rush est un immense artiste, pouvant donner jusqu’à 200 concerts par an, il est aussi un redoutable businessman … Nous quittons Bobby Rush conscients de la chance que nous avons eue.
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Nous quittons Jackson par la Highway 55 pour rejoindre La Nouvelle-Orléans, quelques étapes nous attendant sur le trajet. La première sera Hazelhurst, les lieux de naissance de Robert Johnson, lieux au pluriel car c’est bien sûr là qu’il est né, le 8 mai 1911, mais c’est aussi là qu’il aurait réellement appris à jouer de la guitare avec un certain Ike Zimmerman joueur accompli qui l’aurait pris sous son aile et appris sa manière de jouer … C’est aussi quelque chose d’émouvant pour un amoureux du Blues et de Robert Johnson que de voir, à côté du marqueur, la gare d’Hazelhurst, une gare qui a tellement d’importance dans la vie du jeune musicien. McComb est notre deuxième étape, c’est la mémoire de Bo Diddley qui y est célébrée par un marqueur à la gloire du pionnier du Rock and Roll. Bo Diddley est célèbre pour ses guitares carrées et pour son rythme caractéristique, le Jungle Beat. Une fresque non loin du marqueur, le représente avec une guitare Gretsch à la main.

Le troisième arrêt avant La Nouvelle-Orléans se fera dans le Bayou, après avoir quitté le Mississippi. L’occasion de prendre des clichés magnifiques, grâce à la beauté des lieux, une beauté terrible car les lieux sont encore marqués des stigmates de Katrina, la terrible tempête de 2005. Si les maisons ont été rebâties d’autres restent à l’état de ruines et certains bateaux sont encore sur le flanc … Mais la magie du bayou fait son effet, une magie renforcée par le soleil qui est en train de se coucher …

Étape finale de ce jour, et de ce séjour : la Nouvelle-Orléans. Par bonheur, nous arrivons suffisamment tôt pour profiter d’un moment en ville. Nous commençons notre soirée par une découverte d’un classique de la gastronomie de Louisiane, le gumbo. Nous le mangeons au Cajun Seafood, un lieu fréquenté par les locaux et non par les touristes, ce qui est souvent un gage d’authenticité. Le gumbo est une sorte de ragoût épicé qui se mange avec du riz et qui est composé de morceaux de saucisses, de crevettes, de crabe … Buddy Guy a dit qu’il n’y a pas de Blues “originel” et qu’au contraire le Blues a toujours été un gumbo, un mélange de ce qui traîne autour … Le gumbo du Cajun Seafood est délicieux et mérite véritablement le détour, songez juste à bien demander des serviettes et si vous n’aimez pas les plats épicés, choisissez autre chose, car c’est fort, vraiment. Le dernier moment avant de regagner l’hôtel sera une déambulation dans Bourbon Street de nuit … Ce lieu de perdition pour les touristes en mal de sensation est fascinant : les enseignes en néon déchirent la nuit et font le bonheur du photographe, les sons vous assaillent de toutes parts : le groupes ou les sonos, voire les karaokés des clubs, les cris des fêtards, les danseurs de claquettes, les chanteurs qui improvisent autour d’une bande son … Les odeurs également, plus ou moins heureuses, viennent vous titiller les narines … Les boutiques de souvenirs, qui vendent à peu près la même chose … Des élégants et des coquettes qui vont au restaurant chic et qui croisent des touristes avinés en T-Shirt “J’aime NOLA”. Tout ceci participe au folklore de Bourbon Street la nuit … Et pour finir, ce que je n’ai pas pu faire jusque-là : quitter Bourbon Street, passer Decatur Street et descendre jusqu’au Mississippi pour y tremper mes mains, comme un baptême dans les eaux de ce fleuve mythique qui a donné son nom à un État que nous avons traversé au cours de ces deux semaines en compagnie des Bluesmen qui ont forgé une musique qui, quel que soit son “style”, de Charley Patton à Bobby Rush, en passant par Robert Johnson et BB King, jusqu’à John Németh, ne cesse, au fil des décennies, d’essayer de parler au plus profond de notre être. Car finalement c’est ça le Blues : des vibrations, des rythmes, des sons, qui vous transpercent et nous rassemble autour de ce qui fait notre humanité …

Ce voyage touche à sa faim. Merci à celles et à ceux qui ont lu jusqu’au bout, en espérant que vous avez apprécié ce que nous avons partagé. Un immense merci à Fred Delforge pour cette extraordinaire découverte. Comme je l’ai souvent dit au cours des rencontres que j’ai pu vivre, lorsqu’il y a 30 ans j’apprenais à jouer dans ma chambre d’adolescent « Hoochie Coochie Man » de Junior Wells, jamais le petit gars de Bourgneuf-en-Retz n’aurait pu imaginer vivre un tel voyage sur la terre où tout a commencé. Ce fut un voyage magnifique que je ne suis pas près d’oublier. Merci Fred.

Chris Foucher – décembre 2021