Ça y est, depuis le temps que l’on attendait ça : février 2020 pour
mon compagnon de voyage, Fred Delforge, mais depuis toujours pour
moi ! Premier voyage dans le Deep South, pour un p’tit gars qui joue
le Blues depuis 30 ans … Pour ainsi dire un pèlerinage … Après avoir
vérifié 20 fois que j’avais tous les papiers : carte d’embarquement,
ESTA, mais aussi certificat de vaccination, résultats de tests fait
deux jours avant le départ, déclaration sur l’honneur où je m’engage
à avoir fait les tests, à me re-tester au besoin … on est bien en
2021 …
Levés à 2h30, partis à 3h15, nous arrivons à l’aéroport à 4h30 pour
décoller à 7h20, direction Amsterdam … Une escale avant de décoller
pour Détroit, puis la Nouvelle-Orléans … Quelques heures d’avion à
jouer aux échecs, sur l’appuie-tête, regarder 2 ou 3 films et
essayer de dormir en se disant qu’il faudrait être en forme en
arrivant … On évite aussi de se faire trop d’espoir pour pouvoir se
laisser porter par un voyage qui s’annonce de toute façon
extraordinaire …
Bref nous arrivons à la Nouvelle-Orléans vers 17 heures, heure
locale, le soleil commence à se coucher et, par chance, je suis côté
hublot et j’en prends plein les yeux à m’en brûler la rétine, je
scrute les méandres du Mississippi qui serpentent, là, tout en
dessous … Pas de chance, je suis du mauvais côté de l’appareil, je
ne verrai pas la Nouvelle-Orléans avant d’y avoir atterri, mais ce
que j’ai vu du Delta du Mississippi, le géographique, pas celui du
Blues, m’a déjà comblé et conquis !
Le temps de récupérer la voiture de location et nous voilà sur les
routes pour rejoindre l’hôtel, fatigués, mais heureux d’être là, et
encore plus heureux en pensant à ce qui nous attend…
Mardi 23 novembre : de New Orleans à Vicksburg
Debout à 4h00, décalage horaire oblige, nous commençons notre
périple par une visite des urgences de l’East Jefferson General
Hospital : mon ami et guide, Fred, ayant eu des mots avec son chat
juste avant le départ, ce dernier lui a laissé pour souvenir une
infection de la main gauche … Arrivés à 5h30, nous en repartons 3
heures plus tard, saluant au passage le professionnalisme et la
gentillesse du personnel.
Nous prenons ensuite la route pour Vicksburg. Cette journée est,
comme on dit au Tour de France, une étape de transition. Notre Road
Movie commence par une traversée de la Louisiane, où je découvre le
bayou et au cours de laquelle je me découvre une passion pour les
vieux ponts métalliques et les panneaux de signalisation américains
!
Nous découvrons par les chemins de traverse Breaux Bridge,
Henderson, et le Pontoon Bridge de Butte La Rose, des endroits
magnifiques qui font le bonheur de mon appareil photo, sans
s’éterniser non plus car la route est encore longue …
Nous continuons notre périple jusqu’à Lettsworth, où nous nous
arrêtons près du marqueur de la maison natale de Buddy Guy, puis
nous laissons la Louisiane pour le Mississipi, et nous arrivons à
Natchez où je découvre les tamales de Fat Mama et, surtout, où nous
descendons au bord du fleuve pour un magnifique coucher de soleil
avant de repartir pour notre destination finale, Vicksburg.
Mercredi
24 novembre : de Vicksburg à Clarksdale Attention,
journée magique ! Après une rapide visite de Vicksburg,
ville marquée par l’histoire, celle de la Guerre de Sécession en
particulier, nous prenons la route pour Clarksdale. Moins de route
que la veille mais suffisamment pour laisser libre cours à ma
passion pour les panneaux indicateurs … Premier
arrêt à Belzoni pour voir ce qu’il reste de la maison natale de
Pinetop Perkins, puis nous partons en direction du fief de BB
King, Indianola, qui abrite le superbe BB King Museum. Difficile
quand on est un admirateur du maître de ne pas verser sa larme
devant tant de reliques, ce fut mon cas ! Le
Blue Biscuit, halte gastronomique quasi obligée, situé en face du
Musée, étant fermé, nous nous sommes rabattus sur le
délicieusement suranné salon de thé restaurant The Crown où nous
avons mangé un magnifique catfish “Allison” avant de nous rendre
sur la tombe de Charley Patton. Poursuivant
notre route vers Clarksdale, nous nous sommes arrêtés à la Dockery
Plantation, célèbre lieu de mémoire, à la fois comme un des lieux
de naissance du Blues (Charley Patton en est la figure
emblématique) mais aussi pour essayer de comprendre les conditions
de vie des familles qui vivaient et travaillaient sur place. De la
plantation, il ne reste que quelques bâtiments, mais cela reste un
lieu “habité” par les fantômes des générations qui y ont vécu,
travaillé, et souvent souffert. Toujours
sur la route de Clarksdale, nous faisons une halte pour voir ce
qui fut un haut-lieu du Blues, le Juke-Joint du Po’ Monkey, fermé
depuis la mort de son propriétaire et aujourd’hui à l’abandon … Un
véritable crève-cœur pour ceux qui ont connu le lieu au temps de
sa grandeur … Enfin
nous arrivons à Clarksdale, au
Shack
Up Inn, où nous déposons nos bagages avant de nous
rendre auGround Zero Blues
Club, un des nombreux clubs mythiques, pour assister à
un concert mémorable avec pas moins de sept groupes réunis pour
récolter des fonds pour le Sunflower River Blues
& Gospel Festival, histoire de terminer la journée
en apothéose ! (Résumé
du concert ici) Jeudi 25 novembre : Greenwood et la recherche des tombes de
Robert Johnson
Le jeudi de Thanksgiving, tout est fermé, c’est pourquoi nous
avions choisi de visiter tout ce qui était extérieur, comme par
exemple aller voir les tombes de Robert Johnson … Oui, LES
tombes, car il y en a plusieurs, trois, c’est dire si l’homme
était une légende ! Nous fûmes particulièrement inspiré de
choisir ce jour, car c’était, a priori, le plus pluvieux de
notre séjour … C’est donc sous une pluie battante que nous
entamons notre périple du jour … Une riche idée car la terre du
Mississippi se transforme INSTANTANÉMENT en bain de boue lorsque
la pluie tombe !
Nous sommes donc allés successivement à Greenwood, Quito et
Morgan City pour voir celles qui sont présentées comme les
tombes de Robert Johnson, en réalité, une seule est authentique,
évidemment, il s’agit de celle de Greenwood. La seconde a été
identifiée selon les dires d’une femme qui l’avait connu, et
hâtivement considérée comme telle lorsque qu’un groupe,
Tombstone, a décidé d’offrir la pierre tombale, quant à la
troisième, il ne s’agit pas d’une tombe mais d’un monument
commémoratif, qui a été édifié en premier par Columbia Records …
Sur le chemin nous passons devant ce qui reste aujourd’hui de la
Bryant Grocery, lieu emblématique de la lutte pour les droits
civiques. C’est là, à Money, que pour avoir semble-t-il fait
peur à la propriétaire, Carolyn Till, quelques jours auparavant,
le 28 août 1955, le jeune Emmet Till, 14 ans, de Chicago, qui
était là en vacances, est lynché et torturé à mort par le mari
de la femme et le demi-frère de celui-ci. Son cadavre est
ensuite jeté dans la rivière … Il sera retrouvé quelques jours
plus tard. Sa mère ayant insisté pour que le cercueil soit
ouvert pour ses funérailles, les photos du visage défiguré du
jeune adolescent feront le tour des États-Unis, déclenchant une
vague d’indignation. Ce meurtre et l’acquittement des deux
suspects par un jury composé d’hommes blancs sera un des
principaux événements à l’origine du mouvement pour les droits
civiques … Notons également qu’un an plus tard, les deux hommes
reconnaîtront les faits dans une interview à Look, car assurés
de ne pouvoir être jugés deux fois pour le même crime grâce au
Double Jeopardy Act … Depuis 2008, plusieurs marqueurs ont été
placé pour célébrer la mémoire d’Emmet Till, dont un sur les
lieux de l’épicerie, ces marqueurs sont régulièrement
vandalisés ou détruits, c’était d’ailleurs le cas lors de notre
passage … Signe que la bêtise et le racisme sont toujours
présents !
La dernière étape de notre journée nous conduit à Tutwiler.
C’est dans la gare de cette ville que W.C. Handy, le premier à
avoir officiellement composé un morceau de Blues, aurait vu un
homme jouer de la guitare en se servant d’une lame de couteau
comme d’un slide. C’est aussi dans cette ville qu’il y a une
superbe fresque dont le dernier panneau, consacré à Sonny Boy
Williamson II (Aleck “Rice” Miller de son vrai nom), figure un
plan menant à la tombe de ce dernier. Honnêtement, il faut avoir
beaucoup d’imagination pour la trouver, mais mon compagnon de
route connaît suffisamment bien les lieux pour nous y mener sans
coup férir ! Et c’est au milieu des champs, sous une pluie qui
venait de cesser que nous trouvons le petit cimetière ou le
légendaire harmoniciste est enterré. Comme d’habitude il y a
quelque chose d’ironique à voir ces tombes de bluesmen vénérés
dans le monde entier par les aficionados perdues au milieu de
nulle part …
Une belle journée, encore, malgré la météo. Entre Mr Johnson,
Emmet Till, WC Handy et Sonny Boy Williamson, on a connu pire
comme compagnie... Vendredi 26 novembre : Clarksdale,
Cleveland, etc.
Après les averses de la veille, le temps ensoleillé qui se profilait
aux premières heures était le bienvenu. Profitant de la lumière des
premiers rayons du soleil, je pris mon appareil pour prendre
quelques clichés du Shack up Inn au petit matin, bravant les
températures matinales. La lumière du Mississippi et la beauté du
lieu sont extraordinaires et les quelques clichés partagés ici ne
leur rendent pas tout à fait justice.
Nous prenons ensuite la route en direction de Cleveland, pour
visiter le Grammy Museum,
créé par la fondation distribuant les récompenses musicales suprêmes
aux États-Unis, les Grammy Awards. Le bâtiment est déjà
impressionnant, mais ça n’est rien à côté des trésors que le musée
abrite, des tenues de scènes d’artistes de tous horizons, des
instruments ayant appartenu aux plus grands noms de la musique
américaine. Des animations sont aussi disponibles, comme la
possibilité d’écrire et d’enregistrer un morceau avec Keb Mo’, ou
d’apprendre des pas de danse. Personnellement, pour des raisons
évidentes d’incapacité motrice, j’ai choisi la première. Deux
expositions ont également attiré notre attention, celle consacrée à
Willie Mitchell et au Royal Studio, ainsi que celle consacrée aux 40
ans de MTV. Dans les deux cas, on y trouve de saintes reliques :
tenues et matériel d’enregistrement pour le Royal Studio, guitare et
textes de Bruce Springsteen, batterie de Bruno Mars, etc. …
Difficile et inutile d’être exhaustif, le Grammy Museum de Cleveland
vaut clairement le déplacement.
Nous reprenons le volant pour nous rendre chez Cat Head,
magasin mythique de Clarksdale dédié au Blues. Nous y dépensons
quelques économies, mais le choix est immense et c’est un supplice
de devoir choisir parmi tout ce qui est proposé. Puis nous allons
nous sustenter dans le non moins mythique Abe’s
Bar-B-Q, installé depuis 1924 et où nous nous sommes
régalés de ribs ! Puisqu’on est dans le mythique, Abe’s est installé
au fameux Crossroad, ce carrefour de la Route 49 et de la Highway 61
où Robert Johnson aurait signé son pacte avec le diable (notons
qu’aujourd’hui il est beaucoup moins onéreux d’apprendre la guitare,
si, si.). C’est à ce moment que je décide de prendre LA photo que
prennent tous ceux qui sont venus ici : le monument bleu avec ses
guitares !
L’après-midi nous nous rendons au Delta Blues Museum.
Ce musée fera le bonheur de tous ceux qui aiment de près ou de loin
le Blues, on y trouve encore des reliques : guitares, tenues de
scènes, objets divers et variés. Mais surtout on y trouve les restes
de la maison natale de Muddy Waters ainsi que la guitare qui a été
construite avec le bois de celle-ci grâce au groupe ZZ Top. Le
contenu est tellement riche qu’il est une nouvelle fois difficile
d’en dresser une liste exhaustive, mais ce musée célèbre la mémoire
de tous ceux, et toutes celles, connu(e)s ou inconnu(e)s qui ont
contribué à créer et à faire vivre le Delta Blues. Il est
malheureusement interdit de prendre des photos à l’intérieur du
musée, nous ne pouvons donc que vous le décrire ... Un détail
amusant cependant, la toute dernière pièce du musée est consacrée à
Charlie Musselwhite, le légendaire harmoniciste que nous avons eu la
chance de rencontrer un peu plus tôt dans l’après-midi dans les rues
de Clarksdale … Quand on vous dit que c’est une ville magique !
Juste à côté du musée, on trouve le marqueur et la scène du
Sunflower Blues and Gospel festival, un festival qui existe depuis
1938.
Après être passés voir le Riverside Hôtel, où Bessie Smith est morte
après un accident de voiture, nous avons erré dans les rues à la
recherche des œuvres de street art qui émaillent les murs, puis,
nous avons regagné le Shack Up Inn pour y assister au concert
de Big T. Williams. Ces trois jours passés autour et à
Clarksdale ont été fantastiques, c’est une ville étonnante, dotée de
vibrations particulières, et, pour moi, elle restera un magnifique
souvenir.
Samedi 27 novembre : sur la route de Memphis …
C’est une nouvelle étape de transition que nous vivons ce samedi.
Laissant Clarksdale derrière nous, nous nous dirigeons, via la Route
du Blues, la Highway 61, vers Memphis. Une première halte à Tunica
au marqueur du Hollywood Café,
qui, s’il n’est plus sur son emplacement d’origine, reste un lieu
mythique qui a vu jouer Son House et la pianiste Muriel Wilkins.
Celle-ci et le Hollywood Café furent immortalisés dans la chanson «
Walking in Memphis » de Marc Cohn.
Notre seconde halte à Tunica sera au Gateway
to the Blues, un “visitor center”, c’est-à-dire le lieu
où les touristes peuvent venir chercher de l’information. L’accueil
y est de qualité et les lieux sont très sympas, une boutique permet
d’acheter T-shirts, livres et cadeaux autour du Blues et, en prime,
une collection de guitares accrochées en hauteur. L’endroit abrite
également un musée sur le Blues, son histoire, et ses musiciens. Non
loin de Tunica se trouve la tombe de Memphis Minnie. Née sous le nom
de Lizzie Douglas en 1897, elle est une figure majeure de l’histoire
du Blues, aujourd’hui un peu oubliée. Elle a signé des compositions
comme « When the levee breaks », reprise bien plus tard par Led
Zeppelin. Comme d’habitude depuis le début du séjour, sa tombe se
trouve à côté d’une petite église perdue au fin-fond de la campagne.
Nous entrons dans l’état du Tennessee pour arriver à Memphis en tout
début d’après-midi. Après avoir constaté que le Four Way,
haut lieu de la Soul Food, était fermé pour la semaine, et avant de
nous rabattre sur le Cozy Corner pour y
déguster de fabuleux ribs (oui, encore), nous nous arrêtons devant
la maison natale d’Aretha Franklin, puis nous nous rendons à la I
Am A Man Plaza où se trouve le monument dédié aux
travailleurs américains. Plus précisément, celui-ci rappelle la
lutte des éboueurs de Memphis qui, en février 1968, firent grève
pour protester contre leurs conditions de travail. Martin Luther
King Jr. vint les soutenir dans leur lutte et pris la tête d’une
manifestation le 28 mars, manifestation qui tourna à l’émeute après
qu’un jeune de 16 ans fut abattu. Quatre jours plus tard, Martin
Luther King Jr. était assassiné au Lorraine Motel. À la suite de ce
meurtre, le Président Johnson fit pression sur le maire de Memphis
pour qu’il cède aux exigences de grévistes.
Nous continuons notre déambulation, passant devant le Lorraine Motel
mais aussi la Blues
Foundation, l’Arcade, le plus vieux restaurant de
Memphis, où Elvis aimait venir prendre ses petits-déjeuners, et
L’Orpheum, théâtre de la ville où se déroule la finale de
l’International Blues Challenge chaque année.
Nous faisons un petit détour par l’Arkansas pour découvrir le pont
de Memphis sur le Mississippi et la magnifique skyline de la ville
qui se détache sur l’horizon avec son centre des conventions en
forme de pyramide. Nous regagnons enfin notre hôtel où nous prenons
nos quartiers avant d’assister au concert
de John Nemeth dans la soirée.
Dimanche 28 novembre : une messe, la Blues Foundation et une
bière
Ce dimanche matin commence par une déambulation matinale dans les
rues de Memphis. Après être
passé devant la maison de W.C. Handy, le compositeur qui, le
premier, a écrit un Blues de manière officielle, je ne manque pas de
traverser Beale Street sous la
fraîche température de cette fin novembre et la magnifique lumière
du Tennessee.
Puisque nous sommes dimanche, pourquoi ne pas aller à la messe ?
C’est ce que nous faisons, en nous rendant à la Peace Baptist Church
que Fred connaît bien puisque c’est là qu’il emmène chaque année les
participants français à l’International Blues Challenge de Memphis.
Cette fois l’assemblée est clairsemée, loin de la fréquentation
habituelle. La faute, nous supposons, à la pandémie : la célébration
semble retransmise en direct et seulement un rang sur deux est
accessible. C’est donc dans une église très loin d’être remplie que
nous assistons à l’office, et là … De nous deux je suis le seul à ne
pas m’attendre à ce qui suit, mais il faut dire que rien ne m’y
préparait : personnellement habitué à la traditionnelle messe
catholique, j’ai été soufflé par la puissance et les qualités des
choristes et des musiciens présents. Si le Blues est pour le Diable,
Dieu n’est pas en reste avec une telle musique : l’office commence
par vingt minutes de chants beaux et puissants qui vous prennent à
froid et vous laissent sans voix pour écouter le sermon du pasteur.
Les longs chants accompagnés par des musiciens à l’écoute et rompus
à l'exercice sont extraordinaires, il est difficile de retranscrire
avec des mots l’émotion ressentie dans cette petite église !
Pour nous remettre de nos émotions nous nous dirigeons ensuite sur
Beale Street pour déjeuner au Blues City Café, un
lieu connu de tous à Memphis, où nous dévorons un énorme T-Bone
steak.
Un peu plus tard dans la journée, nous avons la chance de pouvoir
visiter le Blues Hall Of Fame de la Blues Foundation en compagnie
de son instigateur, Jay Sieleman, ancien président de la fondation.
Encore une fois nous voyons des objets qui sont autant de reliques
pour les amateurs de Blues : une guitare de RL Burnside, la valise
de Howling Wolf, une chemise de Stevie Ray Vaughan … La liste est
longue. A titre personnel, j’ai été particulièrement ému par un
manuscrit de chanson de Willie Dixon ...
Nous partons ensuite prendre quelques rafraîchissements au Wiseacre,
une grande brasserie, disposant d’un nombre conséquent de bières
différentes. Une production de qualité qui fera de ce lieu un
passage obligé pour tout touriste amateur de bière ! Alors que le
jour commence à faiblir, j’ai ensuite la chance de pouvoir aller
prendre des photos panoramiques de la ville en compagnie de Jay
Sieleman, sur la passerelle piétonne enjambant le Mississippi,
pénétrant pour l’occasion en Arkansas dont la frontière se situe au
milieu du fleuve. Cette lumière si particulière combinée au point de
vue unique sur la ville permet de faire quelques clichés
intéressants de Memphis.
Laissant mon compagnon de route à l’hôtel, je pars en direction de
Beale Street à la nuit tombée pour observer et photographier les
fascinantes enseignes lumineuses et assister à l’effervescence de
cette rue habituellement animée. Malheureusement pour les
commerçants, on est loin de la cohue des grands jours, si je compte
bien il y a six groupes qui jouent dans les clubs de la rue, ce qui
doit représenter 400 mètres, mais dans Beale Street il y a presque
plus de véhicules de police que d’amateurs de Blues. Certains
groupes, de qualité pourtant, ne jouent devant personne, et ce n’est
pas une manière de parler, hélas. Les temps sont difficiles pour
tout le monde et Beale Street n’échappe pas à la règle.
On ne va cependant pas bouder notre plaisir, la journée fut, encore
une fois, exceptionnelle avec la découverte du Gospel “in real
life”, celle du Blues City Café et du Blues Hall Of Fame de la Blues
Foundation, ainsi que la rencontre d’un grand monsieur qui a
énormément œuvré pour le Blues.
Lundi 29 novembre : Stax, Royal Studio et Street art …
La journée commence par une expédition prévue de longue date pour
moi au Stax
Museum, haut lieu de la musique américaine dont les
succès sont tellement nombreux qu’ils sont difficile à dénombrer
ici, mais des gens comme Steve Cropper, Albert King, Isaac Hayes ou
Otis Redding ont fait les belles heures de cette maison de
production, même si ce ne sont que quelques-uns des grand noms de la
Stax. De plus, la Stax a été la bande son de la lutte pour les
droits civiques. Aujourd’hui, il n’y a plus de studios, mais un
musée et une école, la Stax Music Academy. Si vous avez ça en tête,
vous comprenez ce qu’elle représente dans l’histoire de la musique …
Maintenant, si vous souhaitez visiter, il y a une chose à savoir :
le Stax Museum est fermé le lundi, dommage, nous n’en verrons cette
fois que l’extérieur.
Surmontant notre déception, nous repartons sur les routes de
Memphis, en passant devant les studios de Sun
Records, haut lieu du Rock’n’Roll. Elvis, Jerry Lee
Lewis, Carl Perkins, voilà des noms qui fleurent bon le Rock’n’Roll
des premiers âges et tous sont passés par ce studio mythique qui
fonctionne toujours en soirée, après la fermeture du musée …
Un autre studio mythique de Memphis est celui fondé par Willie
Mitchell : le Royal Studio.
Aujourd’hui c’est son petit-fils et fils adoptif, Boo Mitchell, qui
est à la tête du studio. Il a été le premier producteur de Memphis à
gagner un Grammy Award pour « Uptown Funk » de Bruno Mars et Mark
Ronson. Pour l’édition 2022, quatre de ses productions sont nominées
aux Grammy Awards : Christone Kingfish Ingram, Cédric Burnside,
Valerie June et Blues Traveler. Il se dit que Bruno Mars a choisi
d’y enregistrer son prochain album … Quelle que soit sa notoriété,
il faut savoir que Boo Mitchell est un gentleman : toujours tiré à
quatre épingles, et surtout d’une gentillesse et d’une courtoisie
rare. Alors que nous le rencontrons en plein enregistrement, il
prend le temps de nous parler : à Fred Delforge d’abord, avec qui il
a noué une amitié de longue date, mais aussi à moi qui débarque de
nulle part … Savoir traiter tout le monde avec une courtoisie égale
est le signe des grands, un gentleman vous dis-je … Et le Royal
Studio est un endroit incroyable où opère la magie de Boo Mitchell
et des musiciens qui ont la chance de travailler avec lui …
Nous quittons Boo pour nous diriger vers Graceland, l’ancienne
maison d’Elvis devenue un passage touristique obligé, mais notre
timing serré ne nous permettant pas d’y accorder le temps qui serait
nécessaire à sa visite, nous nous contentons de passer devant. Nous
nous arrêtons ensuite le temps d’une photo devant l’Église du
Pasteur Al Green, fondée en 1976, oui, c’est bien le chanteur dont
les disques d’or sont accrochés au Royal Studio. Puis nous prenons
le temps de visiter le Martin Guitar Shop et même un pawn shop à la
recherche d’une pièce rare, mais la pêche n’a pas été fructueuse …
Un petit mot également sur le street art dans les rues de Memphis …
Memphis est une grande ville américaine, et, comme telle, elle
recèle de nombreuses friches et de nombreux murs qui sont autant de
toiles blanches pour le street art. Beaucoup d'artistes se sont
emparés de ces lieux d'expression et la ville dévoile ses trésors à
ceux qui savent regarder. Le matin, par exemple, nous avons
découvert un portrait de Boo Mitchell sur une fresque réalisée sur
toile par James Davis, qui est le tailleur sur mesure dont la
boutique est juste à côté …
Nous faisons un détour par le Lorraine Motel,
lieu de l’assassinat du pasteur Martin Luther King Jr, figure
majeure de la lutte pour les droits civiques, le 4 avril 1968. Une
couronne de fleurs blanches marque l’endroit où il s’est écroulé et
le motel abrite désormais un magnifique Musée des Droits Civiques.
Rappelons que la lutte pour les droits civiques, n’était que la
revendication légitime des Noirs américains des années 60 à être
reconnus comme des citoyens à part entière. Une histoire difficile
et violente, qui n’est pas encore réglée aujourd’hui …
La lumière du jour commence à baisser, il est temps pour nous de
nous rendre sur Beale Street pour un dernier tour au milieu de ses
néons, accueillis par le son des concerts donnés dans les clubs
décidément bien vides … Voilà que notre séjour à Memphis touche déjà
à sa fin : une ville étonnante qui vibre au son du Blues et de la
lutte pour les droits civiques, mais qui a bien du mal à se remettre
de la pandémie, espérons que cela ne soit que provisoire.
Mardi 30 novembre : de Memphis à Lynchburg
C’est avec regret que nous quittons Memphis de bonne heure ce matin.
Nous délaissons provisoirement le Tennessee pour nous rendre en Alabama
à la poursuite d’un autre pan de l’Histoire de la musique américaine
dans la ville de Muscle Shoals. Nous nous rendons aux Studios
Fame où ont enregistré, excusez du peu : Aretha
Franklin, Percy Sledge, Les Allmann Brothers, Lynyrd Skynyrd, Alicia
Keys … Après une vidéo de présentation, notre guide nous fait
découvrir le Studio B puis le mythique studio A où la jeune Aretha
Franklin a enregistré « I’ve never loved a man the way that I love
you » et Percy Sledge « When a man loves a woman » … On peut même
voir l’orgue Wurlitzer utilisé par la diva de la Soul lors de
l’enregistrement, l’émotion est au rendez-vous … Nous poursuivons
ensuite notre périple par un rapide coup d’œil extérieur aux studios
d’enregistrement dits de Muscle Shoals Sound
Studios dont la section rythmique, les fameux Swampers
qui étaient d’anciens de Fame et qui possédaient le studio ont
également fait les beaux jours de la musique, enregistrant notamment
« Brown Sugar » et « Wild Horses » des Rolling Stones.
Avant de quitter Muscle Shoals, nous passons rapidement par le Hall of
Fame of Alabama Music, puis nous nous dirigeons vers
Florence, en Alabama bien sûr, où nous nous attardons devant la
maison d’enfance de W.C.
Handy, le premier à avoir officiellement composé un
Blues et dont nous vous avons parlé lors de notre périple à Memphis.
Nous nous dirigeons ensuite vers le but de notre voyage : Lynchburg
dans le Tennessee … Pour cela nous passons par la ville de Pulaski,
qui est la ville où le Ku Klux Klan a été fondé en 1866 par six
jeunes officiers sudistes désœuvrés et sans argent. Le "club" sera
ensuite récupéré par le général de cavalerie Nathan Forrest, ancien
marchand d’esclaves et propriétaire de deux plantations à Memphis,
pour devenir l’organisation terroriste que nous connaissons,
responsable de la mort d’au moins 10 000 morts depuis sa création …
Au fil des années, le Klan écrira les pages les plus sombres de
l’Histoire américaine ...
Enfin nous arrivons à Lynchburg, petite ville du Tennessee, connue
pour abriter la distillerie
Jack Daniel’s. Pour les amoureux de ce Tennessee
Whiskey, Lynchburg est la Mecque ! Une anecdote amusante cependant :
malgré la présence de la distillerie sur son territoire, le comté de
Moore est ce que l'on appelle un « dry county », c'est-à-dire un
territoire où la vente d'alcool est interdite. Une dérogation permet
à la distillerie de vendre des bouteilles aux touristes, excepté le
dimanche. Certaines boutiques sont également autorisées à vendre des
bouteilles collectors dont certaines valent plusieurs centaines de
dollars, mais c’est tout. Posséder une distillerie qui est une des
premières mondiales sur un territoire où la prohibition est toujours
de mise, c’est un paradoxe pour le moins étonnant … Nous nous
rendons au visitors center pour y trouver, pourquoi pas, une perle
rare pour mon collectionneur de compagnon de voyage, mais ce ne sera
pas le cas. Le lieu reste impressionnant, la visite de la
distillerie est possible, mais ici, comme ailleurs, ce qui marque
c’est l’absence de visiteurs. Il y en a quelques-uns, bien sûr, mais
on est très loin de la fréquentation ante-Covid.
Mercredi 1er décembre : Tupelo - Oxford - d’Elvis à William
Faulkner
Nous laissons Lynchburg, le pays du Jack Daniel’s, derrière nous, en
direction de Tupelo. Nous quittons donc le Tennessee pour retourner
dans le Mississippi. Au passage nous découvrons le centre
de recherche spatiale de Hunstville, en Alabama, où
ont été développées les fusées qui ont envoyé les hommes sur la
lune, le centre spatial est toujours actif et travaille sur la
future mission habitée pour Mars … La route est longue, 3h30
d’asphalte, et nous arrivons en fin de matinée.
Tupelo
est la ville natale d’Elvis, et il y a passé ses treize premières
années. Si Graceland à Memphis est le mausolée du King, la petite
ville du Mississippi n’oublie pas de mettre en valeur l’enfant du
pays. En lui consacrant un musée pour commencer, situé à côté de la
maison où il est né, le 8 janvier 1935. On y découvre, outre la
minuscule maison natale d’Elvis bâtie par son père, Vernon, son
oncle et son grand-père, une voiture qui est le modèle que son père
possédait lorsque les Presley ont quitté la ville pour Memphis,
l’église guère plus grande où la future star a découvert le gospel
et les premiers accords de guitare, enseignés par le pasteur pour
accompagner la chorale. Le musée est aussi intéressant et la
boutique vaut le détour pour l’ensemble du merchandising consacré au
King, souvent très exotique …
La “Elvis trail”, circuit organisé par l’office du tourisme de la
ville, présente les lieux marquants de la jeunesse d’Elvis. Elle
nous emmène au Johnnie's
Drive In, où il passait du temps du temps avec son ami
James Ausborne, autour d’un cheeseburger et d’un cola. Nous en
profitons pour nous y restaurer, malheureusement à l’extérieur à
cause des restrictions sanitaires, et nous nous ne pouvons prendre
de photos de l’intérieur qu’à travers la porte d’entrée.
Nous avons le plaisir de voir un client venir au volant d’un petit
bijou : une Ford Crown de 1957, magnifiquement restaurée, à
l'extérieur comme à l’intérieur, légitimement fier de sa voiture le
propriétaire m’invite à me mettre au volant, je ne me suis pas fait
prier …
Après avoir mangé, nous nous dirigeons vers le Tupelo Hardware
Store, où Elvis a acheté sa première guitare. Puis nous
partons à la découverte d’une toute nouvelle étape ajoutée à l’Elvis
Trail : le Lyric Theater.
Dans les années 40 le théâtre abritait un cinéma où le futur King se
rendait régulièrement et où il franchissait les barrières séparant
les blancs des noirs pour retrouver ses amis. On raconte même que
c’est là qu’il échangea son premier baiser … Nous avons la bonne
surprise d’être accueillis par le directeur du théâtre, Tom, qui
nous laisse entrer à l’intérieur et découvrir un théâtre à
l’ancienne, dans son jus. Le lieu est magnifique. Sur scène les
décors d’une représentation future de Noël destinée à un jeune
public sont installés. Aujourd’hui le théâtre s’appelle le Tupelo
Community Theater, mais il s’agit bien de l’antique Lyric Theater
qui est là depuis 109 ans ! En écoutant Tom parler de son théâtre,
on sent la passion qui l’anime et qu’il sait nous partager. En
dehors même de ce qu’il représente pour l’histoire d’Elvis, le lieu
est magique !
Nous quittons Tupelo pour nous diriger vers Oxford,
la ville, au nom si britannique, abrite l’Université du Mississippi
fondée en 1848, et surnommée Ole Miss depuis un concours en 1896.
C’est une jeune femme, Elma Meek, qui avait proposé le nom qui était
la manière dont les esclaves désignaient la femme de leur
propriétaire. L’Université du Mississippi possède une des plus
grandes bases de données sur le Blues, des archives inestimables,
qui lui ont valu la présence d’un marqueur. Nous nous rendons
ensuite à la magnifique librairie Square Books, en
plein centre-ville, où nous déposons quelques exemplaires du livre «
En Terre de Blues ».
Oxford est aussi la ville de William Faulkner, prix nobel de
littérature, et un des plus grands auteurs du Deep South, et de la
littérature mondiale. Scénariste, il travailla avec Howard Hawks
pour qui il écrivit les scénarios du Grand Sommeil et du Port de
l’Angoisse… Nous prenons le temps de nous rendre devant la maison, Rowan Oak,
puis sur la tombe de l’écrivain qui avait voulu pour épitaphe : “Il
fit des livres, et il mourut”.
Jeudi
2 décembre : de Tupelo à Jackson
Ce
jeudi matin nous prenons la route pour la ville de Bruce, pour y
marcher sur les traces de Leo Bud Welch. Ce bluesman authentique
et attachant, qui a aussi beaucoup joué de gospel, a débuté sa
carrière discographique en 2014, avec « Sabougla
Voices » (Sabougla étant le nom de sa ville natale), un album
de gospel, justement. Lorsque ce premier album paraît, Leo Bud
Welch a 82 ans. Accédant à la reconnaissance sur le tard, bûcheron
pendant 30 ans, il n’en reste pas moins un authentique bluesman du
delta qui a traîné ses guêtres un peu partout, dans les
pique-niques, les juke joints, les rent-parties (où l’on organise
un concert pour payer son loyer), jouant de la guitare, de
l’harmonica et même du violon. Les dernières années de sa vie ont
été celles de la reconnaissance, un film, « Late Blossom
Blues », lui a même été consacré. Il a également participé à
de nombreux festivals, dont ceux de Cahors et de Crissier en
Suisse. Leo Bud Welch était de la trempe des R.L. Burnside ou
Junior Kimbrough et nous a quittés le 19 décembre 2017 … Nous nous
rendons donc tout d’abord à son marqueur situé en centre-ville,
puis près de sa très modeste maison, transformée en musée, juste à
côté d’un petit centre commercial, puis sur sa tombe, à Calhoun
City. Nous
quittons les souvenirs de Leo Bud Welch, pour rendre hommage à une
autre légende du Blues, Mississippi John Hurt, en nous rendant à
un de ses marqueurs, situé à côté de l’épicerie où il aimait se
rendre. Le bâtiment, en bois, se délabre tout doucement. Non loin
de là, à Avalon, la maison de Mississippi
John Hurt, réhabilitée par sa petite fille, abrite un
musée. Nous partons ensuite pour Greenwood, où nous sommes déjà
allés la semaine dernière, car c’est là que Robert Johnson est
enterré, pour une halte gastronomique au Crystal
Grill, un restaurant hors du temps qui propose une
excellente Soul Food. Comme il se doit nous arrivons à 12h06 pour
le catering (oui, le fameux catering de midi six…). Plus
sérieusement la Soul Food est la cuisine des Africains Américains
du Sud, combinant des éléments de cuisine traditionnelle africaine
à ce qui était disponible dans les plantations, c’est une culture
culinaire particulière dans laquelle on peut trouver des abats
notamment. Nous
poursuivons nos déambulations en direction de Bentonia, nous
arrêtant avant cela devant un marqueur de Skip James. Nous
arrivons ensuite devant le plus vieux juke joint encore en
activité dans le Delta du Mississippi, celui de Jimmy Duck Holmes.
Dernier représentant du style de Blues connu sous le nom de
Bentonia School, Jimmy Duck Holmes est donc aussi, depuis 1972, le
propriétaire du Blue Front
Café, où il organise des concerts et un festival et
joue souvent. Le café a été ouvert par ses parents en 1948. À côté
du Blue Front Café se tient un grand bâtiment, un ancien Gin Mill,
où Jimmy organise des concerts. Dire que le Blue Front Café est
une institution saurait être en dessous de la vérité, c’est une
légende ! Certains y laissent leur empreinte en signant sur les
murs. La Bentonia School a connu avec Skip James sont plus célèbre
représentant, le côté lancinant de la musique, l’absence de solo,
l’absence de structure précise (l’instrument suit la voix selon
les inspiration du chanteur) et un accordage en Mi ou Ré mineur
fait de ce style de Blues un style à part, rural, âpre, mais
toujours généreux. Nous avons également la chance de pouvoir
échanger quelques mots avec le frère de Jimmy.
Enfin,
nous finissons la journée à Jackson, la capitale
du Mississippi, qui était aussi un haut lieu du Blues avec Farish
Street. Dans cette rue on pouvait trouver des clubs,
un théâtre … de l’animation culturelle ! Aujourd'hui, la rue n’est
plus que l’ombre d’elle-même et tombe en décrépitude. Un théâtre,
l’Alamo est toujours en activité, Nat King Cole, Louis Jordan ou
Elmore James y sont passés … La culture Blues à Jackson semble
n’être qu’un lointain écho du passé, comme en témoigne le juke
joint Queen of Hearts, lui aussi fermé … Heureusement que d’autres
lieux perdurent, comme par exemple le Hal
& Mal’s, récipiendaire d’un Keeping The Blues
Alive Award en janvier 2020. Sans jeter la pierre à qui que ce
soit, constatons simplement que rien n’est éternel et que si nous
souhaitons transmettre aux générations futures cette musique que
nous aimons tant, alors, peut-être, faut-il continuer à la
défendre, en aidant à faire vivre les lieux qui la diffusent, en
allant voir des concerts, en encourageant les groupes qui la
jouent et qui la font évoluer, en partageant notre passion … Nous
terminons notre journée en rendant visite au marqueur d’une des
dernières légendes du Blues, qui a grandi à Jackson, l’inimitable
Bobby Rush.
Vendredi 3 décembre : de Jackson à la Nouvelle-Orléans
Nous reprenons la journée comme nous avions terminé la précédente :
avec Bobby Rush,
mais le vrai cette fois ! Après être passés faire nos tests COVID-19
pour le départ du lendemain, nous nous rendons à l’invitation de
Bobby, suite à sa rencontre avec Fred lors du Blues Heaven Festival
au Danemark, dans un quartier tranquille de Jackson. Bobby Rush
c’est bientôt 70 ans de carrière, 32 albums, 2 Grammy Awards en 2017
et 2021, et 14 Blues Music Awards … Connu pour ses shows généreux et
intenses, il n’a rien perdu de son énergie malgré ses 88 printemps !
Nous profitons d’un moment privilégié avec cet immense bluesman,
sans doute le dernier, avec Buddy Guy, restant de la grande époque :
tout jeune il a fait jouer Elmore James dans son groupe … Autour
d’un petit déjeuner, il nous prodigue des conseils que nous écoutons
religieusement, si Bobby Rush est un immense artiste, pouvant donner
jusqu’à 200 concerts par an, il est aussi un redoutable businessman
… Nous quittons Bobby Rush conscients de la chance que nous avons
eue.
ss
Nous quittons Jackson par la Highway 55 pour rejoindre La
Nouvelle-Orléans, quelques étapes nous attendant sur le
trajet. La première sera Hazelhurst, les lieux de naissance de
Robert Johnson, lieux au pluriel car c’est bien sûr là qu’il est né,
le 8 mai 1911, mais c’est aussi là qu’il aurait réellement appris à
jouer de la guitare avec un certain Ike Zimmerman joueur accompli
qui l’aurait pris sous son aile et appris sa manière de jouer …
C’est aussi quelque chose d’émouvant pour un amoureux du Blues et de
Robert Johnson que de voir, à côté du marqueur, la gare
d’Hazelhurst, une gare qui a tellement d’importance dans la vie du
jeune musicien. McComb est notre deuxième étape, c’est la mémoire de
Bo Diddley qui y est célébrée par un marqueur à la gloire du
pionnier du Rock and Roll. Bo Diddley est célèbre pour ses guitares
carrées et pour son rythme caractéristique, le Jungle Beat. Une
fresque non loin du marqueur, le représente avec une guitare Gretsch
à la main.
Le troisième arrêt avant La Nouvelle-Orléans se fera dans le Bayou,
après avoir quitté le Mississippi. L’occasion de prendre des clichés
magnifiques, grâce à la beauté des lieux, une beauté terrible car
les lieux sont encore marqués des stigmates de Katrina, la terrible
tempête de 2005. Si les maisons ont été rebâties d’autres restent à
l’état de ruines et certains bateaux sont encore sur le flanc … Mais
la magie du bayou fait son effet, une magie renforcée par le soleil
qui est en train de se coucher …
Étape finale de ce jour, et de ce séjour : la Nouvelle-Orléans. Par
bonheur, nous arrivons suffisamment tôt pour profiter d’un moment en
ville. Nous commençons notre soirée par une découverte d’un
classique de la gastronomie de Louisiane, le gumbo. Nous le mangeons
au Cajun Seafood,
un lieu fréquenté par les locaux et non par les touristes, ce qui
est souvent un gage d’authenticité. Le gumbo est une sorte de ragoût
épicé qui se mange avec du riz et qui est composé de morceaux de
saucisses, de crevettes, de crabe … Buddy Guy a dit qu’il n’y a pas
de Blues “originel” et qu’au contraire le Blues a toujours été un
gumbo, un mélange de ce qui traîne autour … Le gumbo du Cajun
Seafood est délicieux et mérite véritablement le détour, songez
juste à bien demander des serviettes et si vous n’aimez pas les
plats épicés, choisissez autre chose, car c’est fort, vraiment. Le
dernier moment avant de regagner l’hôtel sera une déambulation dans
Bourbon Street de nuit … Ce lieu de perdition pour les touristes en
mal de sensation est fascinant : les enseignes en néon déchirent la
nuit et font le bonheur du photographe, les sons vous assaillent de
toutes parts : le groupes ou les sonos, voire les karaokés des
clubs, les cris des fêtards, les danseurs de claquettes, les
chanteurs qui improvisent autour d’une bande son … Les odeurs
également, plus ou moins heureuses, viennent vous titiller les
narines … Les boutiques de souvenirs, qui vendent à peu près la même
chose … Des élégants et des coquettes qui vont au restaurant chic et
qui croisent des touristes avinés en T-Shirt “J’aime NOLA”. Tout
ceci participe au folklore de Bourbon
Street la nuit … Et pour finir, ce que je n’ai pas pu
faire jusque-là : quitter Bourbon Street, passer Decatur Street et
descendre jusqu’au Mississippi pour y tremper mes mains, comme un
baptême dans les eaux de ce fleuve mythique qui a donné son nom à un
État que nous avons traversé au cours de ces deux semaines en
compagnie des Bluesmen qui ont forgé une musique qui, quel que soit
son “style”, de Charley Patton à Bobby Rush, en passant par Robert
Johnson et BB King, jusqu’à John Németh, ne cesse, au fil des
décennies, d’essayer de parler au plus profond de notre être. Car
finalement c’est ça le Blues : des vibrations, des rythmes, des
sons, qui vous transpercent et nous rassemble autour de ce qui fait
notre humanité …
Ce voyage touche à sa faim. Merci à celles et à ceux qui ont lu
jusqu’au bout, en espérant que vous avez apprécié ce que nous avons
partagé. Un immense merci à Fred Delforge pour cette extraordinaire
découverte. Comme je l’ai souvent dit au cours des rencontres que
j’ai pu vivre, lorsqu’il y a 30 ans j’apprenais à jouer dans ma
chambre d’adolescent « Hoochie Coochie Man » de Junior Wells, jamais
le petit gars de Bourgneuf-en-Retz n’aurait pu imaginer vivre un tel
voyage sur la terre où tout a commencé. Ce fut un voyage magnifique
que je ne suis pas près d’oublier. Merci Fred.