|
|
|
|
|
Ecrit par Yann Charles |
|
|
samedi, 03 avril 2021
BRUIT
≤
https://www.facebook.com/bruitofficial/
Rencontre avec Clément et Théo du groupe Bruit
≤ ... Les Toulousains, dont l'album « The Machine Is
Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again » est
sorti le 2 avril, nous emmènent dans un univers musical et
sonore très singulier et très particulier. Quatre
titres instrumentaux pour près de quarante minutes d'une
musique à la fois cinématographique et
poétique.
Salut. Pouvez-vous
présenter le groupe et pourquoi ce nom particulier ?
C : Salut. Théo et moi étions dans un groupe qui
s'appelait Kid Wise. On faisait de la musique pop
mélangée à la musique progressive. On
mélangeait des musiques genre Phoenix, M83 ou Arcade Fire
avec des choses plus obscures comme This Will Destroy You ou Godspeed
You! Black Emperor et également de la musique
électronique. Ce groupe est devenu professionnel. On a eu un
tourneur, une organisation, et assez rapidement, on a eu pas mal de
pression de ce monde professionnel qui voulait qu'on insiste plus sur
le côté pop plutôt que le
côté prog. Avec Théo, on
était plus dans le penchant progressif tandis que les autres
membres étaient plus du côté pop. Et
donc on s'est retrouvés un peu frustrés de ne pas
pouvoir explorer tout un tas d'idées sonores et de formats
que l'on avait envie de réaliser. Donc on a monté
ce projet pour avoir notre petit laboratoire de bruits où on
pouvait expérimenter des formats, des sonorités.
On faisait tout ce qu'on ne pouvait pas forcément faire avec
Kid Wise. En fait Kid Wise, il fallait répondre à
un cahier des charges précis, avec des formats radios, des
refrains que l'on puisse retenir … Enfin toutes ces
choses-là. Et donc c'est comme ça qu'est
né ce projet sur lequel différents bassistes,
batteurs se sont enchaînés. Au départ
c'était même des séances de jam qu'on
faisait avec des musiciens de la scène locale qu'on trouvait
cool. C'était même pas sensé sortir du
studio de répet !
T : C'est ça. On s'amusait en studio. On essayait des
expérimentations sonores sur tout ce qui nous faisait un peu
vibrer. Tout ce qu'on ne pouvait pas faire à
côté, genre jouer comme des bourrins (rires), en fait
tout ce qui nous amusait.
Une sorte de
défouloir en fait.
T : C'est exactement ça. On ne se posait pas la question si
ce qu'on allait composer allait se mettre en place ou pas. Le line up
actuel s'est fait au bout de plusieurs années, à
force de rencontres. Et finalement on a testé en live ici
sur la scène locale à Toulouse. Mais à
cette époque, le groupe ne ressemblait pas ce qu'il est
aujourd'hui. On était plus dans la noise. C'est pour en
venir au nom du groupe. On était un peu plus bruitistes et
on était plus basés sur 2 guitares à
ce moment-là. On ne trouvait pas spécialement de
nom de groupe et en parlant de la scène noise
française qui avait des noms très courts, un pote
nous a dit "vous devriez vous appeler Bruit". Et c'est
resté, même si on ne fait plus du tout de noise
aujourd'hui. Et j'aime bien la définition du dictionnaire
"Le bruit est un son jugé comme indésirable".
J'aime bien ce côté rebelle que ça peut
nous donner (rires).
Et l'autre chose est qu'une de nos grandes inspirations d'un point de
vue sonore, c'est le bruit blanc ou le bruit rose. C'est un bruit
où toutes les fréquences sont d'égale
intensité. Par exemple, le bruit de source que pourrait
faire une télé, ou le bruit rose par excellence
serait le bruit des chutes du Niagara par exemple. Un bruit continu,
présent mais sans que tu ne t'en rendes compte. C'est ce
type de son que l'on essaie d'atteindre dans nos compositions. Ce sont
nos recherches et démarches sonores que l'on fait depuis
quelques années.
Le signe
supérieur ou égal qui suit Bruit a une
signification particulière ou c’est juste
esthétique ?
C : Cela n'a pas de signification mathématique. Mais
l'idée au départ est le crescendo en musique avec
la ligne temporaire en dessous. C'était aussi
l'idée d'avoir un logo que l'on puisse trouver facilement en
imprimerie pour nous permettre de pouvoir le mettre dans nos
écrits, dans nos mails, nos communications. Cela donne un
côté iconique au projet.
Comment vous est venue
l'idée de faire une musique uniquement instrumentale ?
Peut-être que la voix aurait pu être
également un "bruit" intéressant ?
C : Oui. Mais à ce moment-là une voix qui ne
parle pas. Une voix qui serait au même niveau que les
instruments.
T : L'avantage pour nous est qu'en termes de mix, tu n'as pas de voix
à faire ressortir, c'est moins contraignant. Tu es plus
libre d'arranger un morceau comme tu veux. Comme l'idée est
d'avoir des passages assez intenses en montant des murs sonores, au fil
des paliers on essaie d'aller de plus en plus haut, et faire sortir une
voix de là ce serait très très
compliqué. On serait sûrement obligés
d'alléger les instruments pour que cela reste audible. Et si
tu veux comprendre le texte, tu es obligé de faire des
sacrifices dans les niveaux des instrus.
C : En plus quand tu mets une voix dans de la musique, l'attention de
l'auditeur va être portée là-dessus.
Notre cerveau est fait pour entendre et écouter les voix
humaines. Si tu as beaucoup de bruits, des oiseaux qui chantent et un
mec qui te parle, ton cerveau ne se focalisera que sur la voix du mec.
Et nous, on essaie de créer un mur sonore où,
à la fin, tu ne sais plus si c'est de la basse, de la
guitare, des synthés … Il faut que tout
ça soit une entité. Chaque instrument joue, mais
ce que tu entends c'est un tout. Si tu mets une voix, soit elle fait du
stream et là, effectivement, cela peut devenir
très intéressant. D'ailleurs dans l'album il y a
de la voix, mais on crie dans des saturations où tu ne
l'entends pas comme une voix. On veut éviter que l'attention
ne soit détournée parce que ton cerveau va
vouloir écouter le texte ou la chanson.
C'est ça, vous
auriez peur que les personnes se focalisent sur la voix ou le texte au
détriment du son ...
C : C'est même sûr. Si tu écoutes le son
de la nature, et qu'au loin quelqu'un parle, tu n'écoutes
plus la nature, tu cherches à écouter la voix.
Quelles sont vos
inspirations ou même vos références car
on retrouve du classique et pas mal d'autres styles ?
C : C'est vrai. Moi j'ai une formation classique à
la base. Et ça a une grosse influence sur notre musique
parce que j'aime ça et que c'est mon ADN musical depuis que
je suis gamin. J'avais Jean Sébastien Bach au biberon. Et je
ne peux pas faire fi de ça.
T : Il y a aussi du violoncelle dans l'album, qui apporte cette touche
classique. En live, on a violon et violoncelle. Clément
écrit des arrangements pour violon, alto et violoncelle.
C'est un album qui est
scénarisé ? Vous avez composé dans ce
sens ?
T : Non pas vraiment. Les morceaux ont été
composés individuellement sur une longue période.
Mais une fois qu'on a eu les quatre morceaux, on a essayé de
les organiser pour bien coller au thème de l'album. On
essaye toujours de mettre le morceau le plus intense à la
fin, comme on avait fait pour l'EP.
Quels sont les
thèmes que vous voulez aborder ?
C : Je dirais que c'est assez varié au niveau des
thèmes. Mais globalement, on reste collé au monde
actuel dans lequel on vit.
T : Assez noir, mais plein d'espoir en même temps.
C : On est des gens qui travaillent et qui œuvrent pour que
l'avenir soit plus juste, radieux, écologique et socialement
plus équitable.
T : Il y a une part d'utopie dans le morceau « Renaissance
». C'est un titre qui est assez optimiste.
C : Mais ce n'est pas de la dénonciation politique qui
prévaut, mais c'est plutôt un constat. Je pense
que la musique doit se faire le témoin du monde dans lequel
elle est composée.
Vous parliez de «
Renaissance ». C'est le titre qui représente cet
album ?
C : Non pas du tout. Je pense qu'il n'y a aucun morceau qui
représente le mieux l'album. Cet album est quatre chapitres
en deux mouvements. C'est un cycle : la fin de l'album est le
début de l'album. Tous les morceaux s'enchaînent
entre eux tout en étant quatre ambiances très
distinctes et différentes. On fait des choix de merde, nous (rires). A une
époque où tout le monde sort des singles de 3
minutes 40 qui doivent claquer pour passer sur Spotify, nous on sort un
concept qui doit s'écouter d'une traite. Un concept qui n'a
du sens que si justement il s'écoute de A à Z. Si
on a choisi « Renaissance », c'est qu'il nous
semblait que c'est le morceau qui peut s'écouter tout seul,
qui rencontre un truc sans être connecté aux
autres morceaux. C'est pour ça qu'on a sorti celui-ci en
premier.
C'est pour ça
que vous en avez fait un clip, ou c'est parce que c'est le morceau le
plus court ?
C : Non. On l'a choisi car c'est certainement le seul morceau qu'on ne
jouera pas en live. Mais comme on adore ce morceau, on voulait pouvoir
le présenter au public. C'est un titre où il y a
du vibraphone, de la clarinette, des guitares acoustiques, du banjo et
il faudrait qu'on soit quinze sur scène pour pouvoir le
jouer. Peut-être qu'on trouvera une solution un jour, mais
pour le moment, il ne sera pas joué en live. C'est
uniquement pour ça qu'on l'a choisi pour faire un clip.
Est-ce que vous avez
composé en pensant à la scène ? Ou
bien vous vous êtes dit que vous faisiez cette musique pour
vous et on verra plus tard pour la scène ?
T : C'est une bonne question. On s'est effectivement posé la
question au tout début du processus. C'est pour
ça qu'il y a un morceau comme « Renaissance
» dans l'album car on s'est dit que pour la scène,
on verrait plus tard. Sinon, cela nous aurait posé des
barrières. On a composé sans contrainte. C'est
pour ça que tu peux entendre de
l’ukulélé ou du banjo sur cet album.
Donc des choses qu'on ne fera pas en live. Ou alors il faudrait
vraiment qu'on ait une occasion spéciale pour être
quinze sur scène. Sinon avec des samples, mais ça
ne donnerait pas le même résultat je pense.
Justement, sur
scène, quand on y retournera, qu'est-ce qu'on trouvera ? Des
images, des films, des habillages de lumières, vous avez
déjà pensé à ça
?
C : Alors on est en train de travailler dessus, mais on ne peut parler
de rien pour le moment. Il n'y a rien de sûr donc on ne va
pas annoncer des choses qui n'auraient pas lieu peut être.
C'est une suite
à « Monolith » ?
T : Je dirais que « Monolith » était
plutôt un test. Il ressemble à cet album mais dans
un format plus court. Je pense qu'on a été un peu
plus ambitieux au niveau des compos et des arrangements sur ce nouvel
album. On a tout créé. Les ambiances, les sons,
les bruits, tout est fait maison. On a repris le processus de travail
de Monolith mais on l'a poussé plus loin. On avait le temps.
Comme c'est un long format, on a pris le temps de faire dix minutes que
d'ambient par exemple, chose qu'on ne pouvait pas se permettre sur l'EP.
C'est
l'évolution logique de votre musique ce nouvel album ?
T : J'ai l'impression que « Monolith »
était la première graine d'un truc. On a
essayé de trouver notre signature sonore, et là,
on essaie de l'affiner, de la complexifier, et de s'affirmer comme un
groupe avec un son et une esthétique singulière.
Vous n'avez pas peur
qu'il y ait un peu de lassitude sur de longs morceaux, ou que l'on vous
reproche la longueur des morceaux ?
C : Tu parles du public en général ? Disons que
c'est le style de musique qui veut ça. Notre projet musical
veut ça. On sait très bien que ce ne sera pas
accessible à tout le monde. On sait qu'il y a des gens qui,
dès que c'est instrumental, zappent le truc. Donc on sait
qu'on va se couper de certaines personnes. Mais on fait quand
même de la musique pour nous, pour notre plaisir. Et surtout
pour faire ce que l'on a envie de faire.
T : Notre musique est faite pour permettre à certaines
personnes de plonger au fond de choses très très
deep, et de se mettre dans un état un peu de transe ou
d'hypnose. Et ça tu ne peux pas le faire en 3 minutes 40. En
3 minutes 40, tu peux mettre une mélodie dans la
tête de quelqu'un qui aura envie de l'écouter
fenêtres ouvertes dans la voiture ou au bord de la plage au
mois de juillet. Par contre, toutes les expériences
musicales de transes que j'ai pu vivre sont sur de longs morceaux. Des
choses qui ont des formats de plus de 7 minutes car tu as besoin de ce
temps là pour entrer dans cet état d'hypnose qui
est un peu entre le sommeil et l'éveil et où
l'imaginaire et le rêve se mettent en place.
Vous n'avez pas peur
d'être classés dans le progressif. Du moment que
tu dépasses 6 minutes maintenant, on te classe prog. Comment
définissez-vous votre musique ?
T : On est pas mal emmerdés avec ça justement,
car on est classés soit prog, soit post rock. Mais comme tu
dis, il y a un côté classique dans notre musique
par exemple. En fait on essaie de mettre tout ce qu'on aime : des
guitares saturées, ou du violoncelle. Donc on ne sait pas.
C : De toute façon on n'aime pas les classifications, mais
la classification progressif m'emmerde moins que post rock. Car
progressif, dans notre musique, il y a du crescendo et
l’idée de créer des plans
séquences, donc on peut la rapprocher du prog.
Après est ce que c'est du rock, du néo-classique
…
T : C'est toujours réducteur une classification.
C : Après, selon les pays, on ne nous donne pas le
même style musical.
T : Après je trouve ça cool que cela donne sujet
à débat. On nous a qualifiés
d’art rock …
Je serais plus d'accord
avec ça pour ma part.
C : Mais en fait il n'y a pas un mot qui nous qualifie vraiment. Si tu
dis néo-classique, les gens vont s'attendre à un
truc avec que de l'acoustique, le post rock ne correspond pas du tout.
T : Sinon il y a Bruit … qui correspond bien avec Bruits
≤ … (rires)
On arrive aux
dernières questions de l'interview : est-ce que vous pouvez
définir le groupe en deux ou trois mots ?
T : Si on dit Post Rock, Neo Classic et Prog, les gens ne vont plus
rien comprendre … (rires)
C : Jusqu'au boutiste.
T : Ça fait trois mots ça ?
Oui, je prends. Je ne
l'avais jamais eu ! Et pour terminer, quel est le dernier album ou le
dernier morceau que vous avez écouté ?
C : Juste avant l'interview on était en train
d'écouter le dernier EP de Hovvdy. C'est un groupe
américain un peu folk rock, un peu nostalgique.
T : Ça pue les années 90,
l’adolescence, le skate board et les copains.
Merci à vous
pour cette interview.
C : Merci à toi.
T : Merci beaucoup.
Propos recueillis par
Yann Charles
|
|
|
|