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Ecrit par Yann Charles |
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samedi, 28 novembre 2020
ARKAN
https://www.facebook.com/ArkanBandOfficial/
Rencontre téléphonique avec Manu, un des
chanteurs du groupe Arkan qui a sorti son cinquième album,
« Lila H ». Ce nouvel opus est sûrement
le plus personnel qu'ils ont composé. Un retour sur
l'histoire d'un pays au travers du regard de deux des membres du
groupe. Une superbe réalisation et un album qui comptera
dans la vie d’Arkan.
Salut Manu, peux-tu nous
présenter le groupe Arkan, et tout d'abord pourquoi ce nom,
quelle est sa signification ?
Salut. Alors la signification d’Arkan c'est les fondements,
les piliers. C'est un groupe qui a été
créé en 2005 par Foued Moukid, qui
était alors batteur de The Old Dead Tree, groupe dans lequel
j'étais chanteur, et qui voulait créer un groupe
de death metal avec des influences orientales. C'était un
projet dans lequel il avait réussi à
réunir des musiciens issus des pays du Maghreb, et par la
suite c'est devenu son projet principal, et c'est devenu un groupe avec
cinq albums à son actif.
Comment vous
êtes-vous rencontrés ?
Alors moi je suis arrivé en cours de route. Je suis
arrivé sur l'album précédent,
« Kelem », en 2016, enfin juste avant
l'enregistrement. Je ne connais pas l'historique exact de leur
rencontre, mais je pense qu'ils devaient se connaître d'avant
car il n y a pas tant de musiciens arabes qui font du metal. Mus et Sam
partageaient déjà un groupe en Algérie
au tout début des années 2000, et moi je
connaissais Foued avant et c'est lui qui m'a fait entrer dans Arkan.
Comment
définissez-vous votre musique ? Metal mélodique,
metal oriental, un peu death mais aussi groovy ?
Effectivement, c'est un peu tout ça. C'est vrai qu'on a de
plus en plus de mal à le définir car le groupe,
depuis ces années, a réussi à trouver
sa propre voix et à créer son propre son. Alors
beaucoup de death metal qui est la base même du son du
groupe. Des guitares accordées très
très bas, avec des productions très agressives.
Cet album là, comme trois autres albums du groupe, ont
été enregistrés par Fredrik
Nordström, qui est quand même une
référence dans le domaine. Et puis, il y a les
fameuses influences orientales qui vont se traduire par
l'utilisation de gammes orientales, de sonorités en quart de
ton. L'utilisation aussi de l’oud et de mandoles et
d'instruments typiques de là-bas qui sont joués
par Mus. Et puis il y a un aspect mélodique certain. Il y a
toujours un chanteur death metal dans le groupe, qui est Florent, avec
une voix bien puissante. Il partageait le chant avec une chanteuse
très talentueuse, Sarah, jusqu'en 2016. Et par la suite avec
moi qui m'occupe des chants clairs. Il y a vraiment un très
très large spectre artistique qui est utilisé par
Arkan dans ses compositions.
Tous vos albums ont une
histoire, voire même sont l'Histoire avec un grand H, quelle
est celle de « Lila H », et pourquoi ce titre ?
Ça a plusieurs significations. C'est à la fois un
prénom féminin, et ça veut aussi dire
"adieu", "nuit", et Lila avec le H ça veut dire "au nom de
Dieu". Et ce concept album parle de la nuit qui est tombée
pendant dix ans sur l'Algérie pendant les années
90, et cela au nom de Dieu.
Cet album est
même plus qu'une histoire, c'est un témoignage ?
C'est exactement ça. Ça fait des
années que Foued, qui est né en France, et
Florent, entendaient les anecdotes que racontaient parfois sur un ton
badin Mus et Sam qui parlaient de leurs enfances respectives
à Alger, à une époque où il
y avait des assassinats, des attentats et des menaces
extrêmement concrètes tous les jours sur leurs
vies ou sur celles de leurs proches. Et ils en parlaient comme des
choses presque sans importance, presque normales.
Lorsqu’à la suite de l'album « Kelem
» on s'est posé pour discuter de ce que serait
l'album suivant, Florent a mis cette idée sur le tapis en
leur demandant si on ne pourrait pas parler de cette
période-là, mais à travers leurs yeux
et leur vécu. Il y a eu des hésitations de leur
part car ce n'est pas évident d'en parler avec des amis et
d'en parler au public. Et dès qu'on a eu leur accord, il y a
eu un gros travail de retranscription. Florent et moi nous sommes
armés d'énormes carnets de notes et on s'est
rencontrés à plusieurs reprises avec eux pour ne
parler que de ça. On a noté les histoires, les
anecdotes, mais aussi comment un pays a pu basculer dans l'horreur.
Quels ont été les processus qui ont conduit
à ça. On s'est documenté. On a
regardé beaucoup de vidéos, de reportages, de
documentaires là-dessus, pour avoir ensuite le
matériau nécessaire à la
création du concept : raconter la grande Histoire
à travers de petites histoires.
Musicalement c'est
à
la fois brut, brutal forcément, mais avec ces touches
orientales, on a l'impression que cela atténue cette
brutalité …
C'est vrai. Déjà il y a
énormément d'instruments qui ont
été enregistrés, même si ils
ne sont pas forcément audibles, ils sont là et
participent à cette impression. Mus multiplie les guitares
dans tous les sens. Il y a les éléments orientaux
et les claviers qui ont été rajoutés.
Il y a une grande richesse mélodique dans cet album qui,
à mon sens, va permettre aux gens qui nous
écoutent de multiplier justement ces écoutes
grâce à cette richesse. Et l'aspect oriental vient
en opposition au death metal et son côté
occidental.
Vous jouez beaucoup sur
les émotions malgré la tragédie.
Est-ce que tu les sens mélancoliques de ce passé
et de cette enfance qui leur a été
volée ?
Non. C'est assez troublant mais eux même n'ont
réalisé que plus tard ce qu'ils avaient
traversé. Ils étaient très petits
quand ça a commencé en 1989 et ils ont grandi
dedans. Donc pour eux, c'était la normal. Cette
violence-là était la normalité. Et
quand ils en parlent, ce qui était horrible,
c'était pour leurs parents, mais pas pour eux. Leurs parents
étaient très inquiets de ce qui se passait, de la
crise économique, des conditions très difficiles
pour élever leurs enfants. Et ils avaient peur pour leur
vie. Alors que les gosses s'en fichaient complètement et
vivaient leurs vies.
C'est peut-être
ça le message d'espoir de cet album ? On peut sortir de tout
ça, en gardant en mémoire, mais on peut en sortir
?
Oui bien sûr. Pour bien les connaître
personnellement, dans leurs caractères, il y a une
capacité à relativiser les coups durs qui est
impressionnante. Et je pense que ça leur vient de
là. En écoutant leurs histoires, j'ai pleinement
réalisé, car on est de la même
génération, qu'on vivait notre vie dans un
espèce de cocon de sécurité, avec
peut-être des choses à Paris, mais sans aucune
mesure avec celles qu'ils vivaient eux quotidiennement.
Pourquoi avoir fait cet
album maintenant ? Il y avait un besoin de faire ressortir tout
ça ?
Eux n'en parlent pas comme ça. Ils n'en ressentaient pas la
nécessité. Mais je pense quand même que
ça leur a fait du bien.
Vous avez
travaillé comment cet album musicalement ? Chacun de son
côté ou bien tout en commun ?
C'est Mus qui a composé la quasi-totalité de
l'album. Mais on venait l'accompagner dans son processus. Il est
capable de composer quatre chansons en une après-midi, mais
son côté prolifique contre balance avec un manque
de confiance, un besoin d'être guidé, un besoin
d'avoir des idées supplémentaires. Et
régulièrement, on allait à ses
séances de travail pour lui dire quoi garder, etc. Je vais
te dire que pour un album de douze titres, il a peut être
composé le triple de chansons. Il est vraiment
très prolifique.
Ça allait
être ma prochaine question le nombre de titres
composés.
C'est énorme. Et il y a plein d'idées qui au
final ne deviennent pas des morceaux. Il y a des riffs qui
vont bien s'assembler pendant une ou deux minutes, mais au final on
abandonnera le truc. Ou alors des morceaux tellement
retravaillés qu'à la fin, ils
s'éloignent trop du thème principal. Ce que je
peux te dire, c'est que si on était entré en
studio un mois plus tard, je pense que l'album aurait
sûrement été différent. Il y
aurait pu y avoir une substitution sur deux titres ou des changements
d'arrangements complets sur la moitié de l'album. C'est un
processus qui est très mouvant et très vivant.
Et pour les textes c'est
Florent et toi ?
On a eu la mission ardue de prendre toutes les histoires et les
anecdotes de nos amis et d'en faire des chansons. Et là, on
s'est retrouvé avec pleins de règles à
suivre et à respecter et c'était très
difficile parfois. Une chanson, il faut qu'elle sonne, et il faut qu'on
utilise des mots qui ont un rendu mélodique. Il faut que ce
soit mélodieux et que tout aille bien ensemble. On ne peut
pas juste raconter une anecdote en utilisant les mots bruts. Il a fallu
qu'on retravaille tout ça. Il a fallu qu'on se mette
quelques fois à la place des protagonistes, ou qu'on en
invente un qui voit la scène de l'extérieur pour
pouvoir raconter cela avec un regard intéressant. Et en
même temps, il ne fallait pas trahir leur récit.
Il fallait réussir à créer des
histoires qui puissent être comprises et qui puissent
être intégrées par des gens qui n'ont
absolument pas vécu ça. Mais tout en faisant des
morceaux qui vont être écoutés par des
fans d’Arkan en Algérie et qui eux doivent se
sentir représentés par ce qu'on a fait. Donc
beaucoup d'objectifs différents, mais qui devaient concorder.
Est-ce que « My
Son », le clip, est représentatif de l'album ?
Avec cette angoisse permanente, mais cette envie de vivre
malgré tout ?
C'est vrai qu'il est représentatif. « My Son
» est quelque chose qui est arrivé à
Mus. Il avait une douzaine d'année et la tension montait
vraiment dans le pays et il commençait à y avoir
des meurtres et des exactions. Il y avait déjà eu
des mouvements de foule, et le père de Mus l'avait pris
à part et lui avait dit : "Si tu constates quoi que ce soit
dans la rue, un bruit ou n'importe quoi, tu cours. Tu rentres
à la maison, tu fermes les volets et tu te mets entre les
murs porteurs de la maison". Et ça me touche beaucoup. Je
suis père, et je me mets à la place de cet
homme-là qui a dû dire ça à
son gamin. Ils ont traversé une drôle
d'époque.
Avec l'époque
dans laquelle on est, tu penses qu'il serait envisageable de faire un
concert acoustique de cet album, ou bien il faudrait la puissance du
son ?
Je pense que c'est envisageable car Mus est talentueux et
complètement fou. Le connaissant et pour avoir vu des
adaptations qu'il a fait en acoustique des morceaux d’Arkan,
ça sonnerait extrêmement différent. Ce
serait une relecture complète de ce qui a
été fait. Contrairement aux groupes de metal,
Arkan joue sur des guitares 7 cordes sous accordées,
très très loin des guitares acoustiques. Il
faudrait tout revoir.
Vous avez fait une
présentation de votre album en vidéo. C'est
prenant et très touchant. Comment vous est venue cette
idée de présenter votre album de cette
manière ?
On s'est dit que ce serait une bonne chose. Ne serait-ce que pour nous,
pour nous poser, pour réfléchir à tout
ce qu'on a traversé pour faire cet album là.
Expliquer le processus. On a trouvé intéressant
d'expliquer, nous, aux gens, sans forcément passer par un
média, quel avait été le but de cet
album.
On revient sur Frederik
Nordström. Sans lui l'album n'aurait pas sonné et
pas eu la force qu'il a ?
Il aurait sonné différemment. Le groupe a
déjà enregistré plusieurs albums avec
lui avant que je ne l'intègre, et j'avoue que pour moi,
c'était un petit rêve que d'aller enregistrer avec
ce monsieur. Il a quand même produit des albums de mes
groupes préférés comme Opeth et At The
Gate entre autres, et donc j'avais un petit peu peur. Il est
très sympa dans la vie, et très exigeant dans le
travail. J'étais quand même content d'avoir un peu
d'expérience avant d'aller en cabine d'enregistrement avec
lui. Il faut quand même savoir ce qu'on vaut car sinon on a
vite fait de se décourager. En tous cas, c'était
une sacrée expérience. Ça a
été très formateur et j'ai beaucoup
appris.
Forcément,
ça vous a fait progresser dans votre approche de la musique.
Bien sûr. Et puis il a une manière très
"brut" de parler. Quand tu enregistres, il n'y a pas trop de
fioritures. Tu recommences, tu la refais, celle-là non,
celle-là oui. Même dans son approche du mix. Quand
tu es musicien, souvent tu arrives avec pleins d'idées, et
lui, il va t'aider à faire le tri. J'avais un morceau
où il y avait seize chœurs et finalement, il n'y
en a plus que quatre. Il va à l'essentiel, et surtout il
sait ce qui va servir ou pas le son. Et comme il y a une relation de
confiance qui s'est établie entre le groupe et lui, tout le
monde sait exactement comment il faut travailler.
Est-ce que tu pourrais
définir le groupe en deux ou trois mots ?
Ce qui définit le mieux Arkan c'est l'ouverture d'esprit. Un
groupe qui est entre deux univers complètement
différents, avec des membres qui ont grandi sur deux
continents différents, et des cultures elles aussi
complètements différentes. Et le tout donne un
mélange assez unique. Des groupes de metal oriental, il y a
en a d'autres qui font un travail fantastique, que ce soit Myrath ou
Acyl par exemple. Mais Arkan a une patte et un style qui lui est propre
!
Et la dernière
question qui est plus personnelle, quel est le dernier album ou le
dernier morceau que tu as écouté ?
Ça fait plusieurs écoutes que je fais d'un EP
d'un groupe français qui s'appelle Maudits et qui se
qualifie de "post doom instrumental". Et franchement, c'est un super
travail et je trouve que c'est difficile de faire un album
instrumental. Il faut arriver à garder l'auditeur
concentré et éveillé sur sa musique et
ils ont vraiment réussi le pari. C'est une très
belle production et un super projet.
Merci !
Propos recueillis par
Yann Charles
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