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CAROTTÉ pdf print E-mail
Ecrit par Yann Charles  
samedi, 28 décembre 2019
 

CAROTTÉ

http://carotte.biz/

Une rencontre particulière avec le groupe de Punk Rock Trad québécois, Carotté. Un groupe entre Sex Pistols, Dead Kennedy, Ludwig Von 88, qui allie chansons traditionnelles québécoises remises à jour, musiques festives à souhait et textes aussi acérés qu'humoristiques. Ils viennent du terroir et sont bien décidés à le défendre. Leur nouvel album, « Dansons donc un quadrille avant de passer au cash », est un pur régal. Ils seront en France le 22 février en ouverture de Marcel Et Son Orchestre à L'Olympia. A voir et à découvrir impérativement !

Médé et Etienne, bonjour.
M: Bonjour, ça va bien ?

Bienvenus.
E: Merci.

Est-ce que vous pouvez nous présenter le groupe Carotté ?
E: Alors, on est un mélange de Punk et de traditionnel. Carotté c'est un groupe de six musiciens qui proviennent de milieux différents et qui se sont rencontrés pour faire de la musique ensemble. On mélange les sons du violon traditionnel, des guitares électriques et de la batterie. On reprend du répertoire de chez nous qu'on actualise et on écrit des textes et des chansons.

Pourquoi ce nom de Carotté ?
M: Carotté, c'est comme vous quand vous dites des chemises à carreaux. Les chemises de bûcherons chez nous on appelle ça des chemises carottées. Ça fait 150 ans ou 200 ans qu'on dit ça pour ces chemises. Pour nous c'était l'idéal pour un nom de groupe.

On parle de Punk Trad, Punk Agricole, c'est quoi la différence ? Il y a une différence particulière ?
E: Le côté agricole va venir de ce qu'on chante. Des thématiques et des chansons.  Chez nous on parle de côté agricole quand ça vient des régions, de la campagne. Notre folklore vient de là et ce sont des mélodies traditionnelles jouées par des habitants de ces campagnes.
M: On parle beaucoup de terroirs. Les cuisiniers parlent de notre terroir, les gens parlent beaucoup du terroir chez nous. Dans le temps, nos anciens avaient pour habitude de chanter le terroir. A cette heure, on chante l'amour, nous on chante notre terroir.

Comment vous est venue l'idée du groupe ?
M: Ça c'est fait très naturellement. J'ai écouté beaucoup de folklore toute ma jeunesse à cause de mes parents qui écoutaient et jouaient cette musique. Et à l'âge de l'adolescence, à l'école, c'est là qu'avec des amis j'ai découvert le Punk Rock. Ça ne se faisait pas beaucoup par chez nous le mélange de trad et rock. Ça se fait beaucoup dans le folklore breton avec les Ramoneurs de Menhirs par exemple, ou dans le folklore irlandais. Mais par chez nous au Québec, ça ne se faisait pas. Donc c'était important pour nous de produire notre musique du monde.
E: On s'est rencontrés dans un marché public. Nous on faisait de la musique, on avait un groupe de musique traditionnelle et on faisait une animation là-bas. Médé vendait des légumes. Il s'est rapproché de nous. On a fait connaissance et il nous a invité à faire une « pratique » ensemble.
M: Et après des bières et des spliffs on s'est dit qu'on était pas mal pour faire de la musique (Rires)

Comment on arrive à convaincre les copains à lâcher la ferme, car vous êtes plus ou moins tous agriculteurs, ou liés à la terre et à la ferme ?
M: Moi je suis agriculteur. Les autres ont tous des boulots différents. Mais on est tous liés à l'agriculture oui. Que ce soit par le boulot ou par la famille. Mais c'est facile de concilier le travail et le Punk Rock. Nos ancêtres faisaient déjà ça. Ils allaient travailler dans les champs, couper le bois pour se chauffer l'hiver, mais après le boulot, ils avaient toujours le temps pour se détendre et faire un peu de musique. On suit le rythme de nos ancêtres.

C'est votre défouloir de faire de la musique après de grosses journées de labeur ?
M: Oui. On voit chez nous comme chez vous qu'il y a des difficultés pour les agriculteurs. Beaucoup de suicides, de maladies ou de cancers liés à notre métier. C'est pour ça qu'il faut dire aux agriculteurs « Allez-vous amuser » ! C'est pas facile c'est sûr, mais il faut ça sinon on voit jusqu'où ça peut emmener. Moi c'est un rythme de vie que j'ai depuis plusieurs années.

Vous avez fait quelques dates en France, avant de revenir en février 2020. Vous avez joué dans des régions agricoles, avec les traités franco-canadiens, comment a été l'accueil ? Pas trop compliqué ?
M: Non car tu sais, de notre côté, on n'est pas chaud pour ça. On n'est pas pour ces accords. Tu sais ça profite surtout aux grosses industries agricoles, pas nous les simples gens de la terre. On est tous dans le même bateau. Comme chez vous, malheureusement ce n'est pas le peuple qui décide !! Nous aussi on a un gouvernement « de marde ». Et tu sais, je crois que les gens savent de quoi on parle dans nos chansons.
E: Ils savent très bien de quel côté de l'agriculture on est. On a les mêmes enjeux.
M: Et surtout, il faut être solidaire entre peuple. Entre agriculteur, bio ou pas, il faut aller vers une agriculture beaucoup plus propre. Mais c'est aussi au peuple de dénoncer les Monsento, les Roundup, les Glyphosate tu vois. Ça sert à rien de s'en prendre aux agriculteurs. Tout le monde est touché par ces compagnies là. Il faut être tous ensembles contre ces gens-là. Et puis il faut dire à nos gouvernements d'arrêter d'engraisser des grosses compagnies partout. Et plutôt d'engraisser nos terres pour qu'on mange, c'est ça qui est important. Il faut donner des outils aux agriculteurs, et non leur mettre des barrières.

Vous connaissez Inspector Cluzo, qui est un groupe de rock français. Ils sont agriculteurs également et jouent à travers le monde. Vous les avez déjà rencontrés ?
M: Non, on ne les a jamais rencontrés. J'ai vu sur Facebook qu'ils existent depuis plusieurs années. On est bien contents de voir qu'on a des cousins qui vivent la même vie que nous. On espère bien les rencontrer un jour. On a vu qu'ils ont tourné au Etats Unis, on espère bien les rencontrer un de ces quatre au Québec.

Même si votre musique est festive, vous dénoncez pas mal dans vos textes.
M: Tu sais, on est né de groupes qui étaient engagés. Donc nous aussi on a suivi cette voie là. Mais nous on s'engage sur notre propre combat qui est l'environnement, nos terres. Chez nous il y a des pipelines de pétrole qui passent à travers nos terres, nos rivières et nos lacs, et tout ça, ça va à l'encontre d'un meilleur avenir. Nous au Québec, on a l'hydro-électricité et pleins de lacs et de rivières. On pourrait être quarante ans en avance, mais là, on dirait qu'on est quarante ans en arrière.
E: Et puis, faire des chansons qui sont à la fois festives et engagées, cela permet d'avoir les gens avec nous pour dénoncer tout ça. C'est le sens de nos chansons engagées. Que les gens à travers nos textes comprennent les problèmes environnementaux qui vont arriver.

Dénoncer à travers des chansons c'est plus facile ? Mais est ce que les gens prennent bien au sérieux vos engagements ?
M: Je pense qu'il n'y a rien de mieux que de dénoncer en s'amusant.
E: Souvent, ça permet de dénoncer le ridicule des choses.
M: Oui, les messages passent bien plus avec humour.

On se rend compte qu'on a les mêmes soucis d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique. Comme dans la chanson « Chômage » …
M: Oui, sauf que nous le chômage est à 2%. On n’a quasiment pas de chômage. Sauf qu'on trouve qu'on voit beaucoup plus de monde dans la rue et on ne comprend pas pourquoi il y a encore autant de gens dans la rue qui n'ont pas de toit, pas de boulot.
E: Cette chanson sur le chômage a été faite dans les années 30, quand il y avait la grande crise chez nous. Le texte est pratiquement le même en intégralité que ce qui se chantait dans les années 30 quand il y avait la misère. C'était difficile de le reprendre mais ça montre que la vie est toujours difficile, même si chez nous le chômage est bas. Tout le monde travaille, mais au salaire minimum et tout est de plus en plus cher. Donc ça fait de la précarité.

Dans vos textes il y a des expressions typiques, je pense par exemple à « Y t’pitch le casseau dans l'clos en fredonnant ces bons mots, j'aime autant qu'ils engraissent ma terre que de me laisser faire »
M: Ça c'est un fait vécu (Rires). Des fois, il vient du monde pour acheter des fruits et des légumes, et ils ne veulent pas payer. Je ne travaille pas pour rien, et donc si tu ne veux pas payer, j'aime autant que les fruits et les légumes engraissent la terre. Je suis là pour nourrir, mais je suis aussi là pour gagner ma vie. Et si tu veux pas payer pour des bons produits, ben va manger de la « marde » à l'épicerie.

Qui sont vos références en matière de musique et de textes ?
M: Moi c'est principalement la musique Punk Rock des années 80. Et beaucoup de groupes français. C'est pas parce qu'on vit au Québec qu'on est tous bilingues. On écoutait du Subhumans, Dead Kennedys, quelques groupes américains qui venaient de la terre, sauf que ce qui nous plaisait beaucoup c'était « le Français de France ». C'est nos cousins. Et puis ils jouaient sur des instruments qu'on n’avait pas chez nous à l'époque. On les voyait une fois tous les deux ou trois ans quand ils venaient au Québec. Donc on a beaucoup d'influences anglaises ou américaines, mais c'est principalement le Punk Rock français oui. Ou alors quelques groupes de Punk Rock québécois mais avec la sauce folklorique.
E: De mon côté, c'est plus Trad. On aime bien les vieilles chansons, les mélodies, mais les textes ne me parlaient pas. Les vieilles chansons d'amour où la mélodie est très belle mais le texte ne vaut rien du tout. Donc on a gardé toutes ces belles mélodies, mais en mettant des mots d'aujourd'hui.
M: Ce qui est important pour nous c'est que toutes ces chansons, certaines qui n'existent pas en disques, des chansons qui nous sont ramenées des fois par des personnes qui connaissent de vieilles chansons traditionnelles, donc pour nous c'est important de sauvegarder ce patrimoine, de garder des traces de tout ça. Tu sais, nous au Québec, on est des Gaulois. Ça parle anglais partout autour de nous. Donc on aimerait bien sauvegarder un peu de notre culture.

Vous avez fait quelques dates avec Ludwig Von 88, on vous retrouvera le 22 février 2020 sur la scène de l'Olympia en ouverture de Marcel Et Son Orchestre. Alors deux questions : pourquoi Ludwig Von 88 ?
M: Alors Ludwig parce qu'à une époque, j'ai eu un « Tribute Ludwig Von 88 » au Québec. Pour garder l'esprit de Ludwig Von 88 vivant parce qu'il y a une génération qui n'a jamais vu ou entendu Ludwig en vrai. C'était important de conserver ça. Et puis aussi pour s'amuser. Et puis on les a fait venir au Québec. Suite à ça, j'ai connu les Béru qui sont devenus des amis, puis les Marcel, etc. C'est une grande famille

La seconde question allait être la même mais avec les Marcel, mais tu viens d'y répondre. Du coup comment avez-vous appréhendé cette mini tournée ?
E: C'était une première. On a été très bien accueillis. Et c'est bien de pouvoir présenter ce qu'on fait ici, c'est une belle vitrine, il y a du monde. Les gens qui sont venus nous voir ont bien aimé.
M: A L'Olympia, on espère qu'on pourra emmener les Français 1/2 heure ou 3/4 d'heure chez nous au Québec.

Justement L'Olympia, ça représente quoi ?
M: Ah L'Olympia, c'est votre salle mythique. Pour nous, ça représente Felix Leclerc qui est passé par là, les grands de la chanson francophone. C'est un honneur, un très grand honneur de venir jouer dans cette salle.

Vous avez déclaré dans une interview que la musique fait partie de l'ADN de la ferme. Ce serait difficile de vous passer de l'un des deux ?
M: C'est la mort. Je suis tellement ancré à faire ça que je pense que ça va durer jusqu'à la fin de mes jours. J'espère que les autres vont suivre (Rires).

Merci
M: Merci à toi.
E: Merci Zicazic

Propos recueillis par Yann Charles