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ABLAYE CISSOKO & CONSTANTINOPLE au PAN PIPER (75)
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Ecrit par Fred Hamelin |
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jeudi, 05 décembre 2019
ABLAYE
CISSOKO & CONSTANTINOPLE
LE PAN PIPER –
PARIS (75)
Le 16 novembre 2019
Remerciements
à François de Ma Case Prod et Flavie du Pan Piper
http://www.ablaye-cissoko.com/
https://constantinople.ca/
L'ordre des mots a son importance. Il ne s'agit pas de
démontrer, ce qui l'a été maintes fois
déjà, que la musique contemporaine puise ses
racines dans la musique ethnique tant africaine qu'orientale mais au
contraire d'aller à la recherche des racines communes, et
d'y faire remonter la charge historique qui les compose. Il faut alors
des artistes ouverts d'esprit, curieux de tester et d'assembler des
mélanges improbables pour apprendre à jouer
ensemble, à s'écouter pour ensuite se lancer dans
une série de dialogues inventifs, et créer de
nouvelles œuvres inspirées de leurs
traversées communes.
Ablaye Cissoko, griot et fils de griot mandingue, né
à Saint-Louis du Sénégal, et virtuose
de la kora, cette sorte de harpe-luth d’Afrique de
l’Ouest, instrument traditionnel dont l’existence
est attestée depuis le XVe siècle, s'allie donc
à Constantinople, trio crée à
Montréal en 1998 autour du poète iranien Kia
Tabassian, joueur de setâr, luth à trois cordes,
parent direct du tambûr, vieux de 3000 ans. Se forme un
quatuor avec l'arrivée des canadiens Patrick Graham aux
percussions et tombak persan et Pierre-Yves Martel à la
viole de gambe, luth à archet espagnol du XVIe
siècle.
Les musiciens prolongent leur rencontre sur scène, ce soir
au Pan Piper, par un travail et un approfondissement commun, porteurs
bienveillants d’un projet artistique novateur : une osmose
réussie entre modernité et traditions, un pont de
transition entre Afrique et Europe
méditerranéenne - en passant par les espaces
libres du Nouveau Monde baroque - et qui brisent toutes les
frontières grâce à des sons qui mettent
en valeur les fondements musicaux communs à tous langages.
Les compositions sont aussi bien d’Ablaye Cissoko que de Kiya
Tabassian. Si la plupart sont uniquement instrumentales,
d’autres sont chantées par les deux
compères. La voix d’Ablaye Cissoko
possède un timbre chaud et profond, un aigu parfois
légèrement nasal, dont il joue d’une
manière très expressive. Doux, calme et apaisant,
et un timbre subtil. Ecoutez donc ces deux pièces
maîtresses, « Maryama » et
surtout « Kailen ». Celle de Tabassian est plus en
nuances mais tout aussi prenante et sibylline (« Ahouye
Vahshi ») avec ces accents roulants et chantants. En
aparté, Tabassian traduit aussi musicalement des
poèmes perses antiques et les transpose admirablement.
Les pièces musicales ne sont pas seulement belles,
à l'instar de « Rêveries »,
morceau phare du dernier album qui démarre le concert. Les
musiciens font ici preuve d'une inventivité extraordinaire
dans l'association des instruments et leur utilisation dans des
registres où on ne les rencontre pas habituellement comme
avec la viole de gambe, plus prédestinée aux
compositions médiévales voire classiques.
Tantôt les instrumentistes s’accompagnent
à l’unisson (« Vers Isfahan
»), tantôt ils argumentent dans un dialogue plein
de douceur, au climat très serein (« Tamala
»). Le son cristallin de la kora répondant aux
autres cordes, celui de la viole soignant la rythmique
apporté par Graham.
Sensibilité, poésie et dépaysement
sont au rendez-vous avec cette musique très
élaborée aux superbes sonorités. Et
l'envoûtement est garanti sur le public du Pan Piper. Et l'on
observe çà et là, certains auditeurs
les yeux fermés s'imprégnant pleinement de ces
réjouissances auditives.
Autant de preuves, s'il en fallait encore, qu'il est possible de faire
coexister genres et cultures pour donner lieu à une musique
nouvelle qui sonne juste et se déguste sans
modération. Chaque morceau est une nouvelle
avancée vers cet ailleurs musical que beaucoup recherchent
mais que bien peu trouvent. Cissoko et Tabassian s'y sont
essayés et ont visiblement réussi en nous donnant
à entendre une véritable jouvence musicale qui
fait un bonheur fou. Un concert assis tant pour les spectateurs que
pour les artistes, comme un cocon chaleureux et rassurant, mais quel
voyage aux confins des possibles musicaux ! A refaire en urgence !
Fred Hamelin –
novembre 2019
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