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MYRATH pdf print E-mail
Ecrit par Yann Charles  
dimanche, 05 mai 2019
 

MYRATH

https://www.myrath.com/

Myrath est un des très (trop ?) rares groupes de metal venu du Maghreb. Avec des compositions où se retrouvent musiques traditionnelles et metal symphonique, ils donnent à leur musique une couleur particulière. Après « Legacy » sorti en 2016, les voilà de retour avec un nouvel album, « Shehili ». Une rencontre avec le chanteur Zaher va nous en apprendre plus sur eux et leur musique. Une interview faite en collaboration avec Jérôme de Music Wave.

Quelle est la question que l’on t’a trop souvent posée et à laquelle tu en as marre de répondre ?
C’est qui Myrath ?  

Myrath est le seul groupe de stature internationale de Tunisie et même du Maghreb. En tirez-vous une fierté ? Vous sentez vous comme des ambassadeurs du rock, voire du metal de cette région du monde ?
Oui tout à fait. On a mis du temps pour en arriver là, mais nous sommes ambitieux et nous voulons aller encore plus loin. Comme me l’a dit Max, le boss de Edel Music : « Ça, Zaher, ce n’est pas votre cinquième album, c’est le premier ! ».  

Mais vous étiez déjà distribués par Edel Music auparavant ?
Oui, mais désormais nous avons signé officiellement avec le label. C’était une façon de dire, « Maintenant, on va mettre l’argent sur la table, on va vraiment travailler à vos côtés pour de bon ». Il a visiblement été choqué des réactions de ses contacts dans le milieu et dans les médias qui ne connaissaient pas du tout Myrath.

Et ça répond à ta première question : Qui est Myrath ?
Exactement.  Il a donc été choqué par la réaction des médias européens, en Pologne, en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Hollande pour lesquels la promo n’a pas été faite correctement. Il a donc été très étonné mais également content, car que nous arrivions à faire plus de cent concerts dont le Hellfest, deux fois le ProgPower Europe, le ProgPower US, avec Symphony X, avec Epica, tout ça sans promotion, sans un travail de plan marketing professionnel. Il a vu un potentiel de développement énorme.

Tu es en train de nous dire que c’est la dernière fois qu’on se rencontre, parce que les petits webzines ne t’intéresseront bientôt plus ?
(Rires) Bien-sûr que non. Je vais même te dire quelque chose. Je me suis dit il y a quelques années : J’arriverai à jouer dans un groupe de metal, je l’ai fait. J’arriverai à sortir de la Tunisie, à faire des concerts, je l’ai fait. Je me dis aujourd’hui : J’arriverai à faire de Myrath l’un des groupes les plus reconnus et convoités du monde du metal.  

Donc, l’ambition c’est d’être l’équivalent de Dream Theater ?
Non, ce n’est pas une question de célébrité, mais plutôt de faire que notre musique et le groupe soient connus et que notre musique soit le plus largement diffusée. Que tout le monde écoute du Myrath, même sans être un fan absolu du groupe. Mais, plus important encore, je ne ressemblerai jamais à ces artistes prétentieux, sans les citer, qui te prennent de haut car ils ont intégré le star system. Moi je suis comme je suis, je ne changerai pas. Il faut rester soi-même, les pieds sur terre et surtout, il faut rester humble.

Maintenant qu’il y a un vrai plan de promotion, la prochaine fois que vous venez en France, vous passerez dans « Touche pas à mon poste » ?
C’est quoi ?

C’est une émission quotidienne présentée par l’animateur vedette en ce moment, un Tunisien également, Cyril Hanouna.
Je ne savais pas, mais c’est une bonne idée ça ! (Rires)

Quand Yann t’a rencontré en 2016, la Tunisie réclamait des changements. Aujourd’hui c’est l’Algérie. Est-ce qu’on peut dire qu’en sortant ces albums, il y a une révolution qui se prépare ?
Je l’espère, dans le sens positif. Avec tout ce qu’on a avec nous, Veryshow, Verycords, Edel, et tout le monde autour de nous, dévoués pour faire réussir le projet, j'espère que ça va fonctionner.

Côté musique, vos racines sont de plus en plus présentes dans votre musique. Plus uniquement au travers des claviers mais avec des instruments traditionnels, des violons, etc. Cette signature orientale vous rend tout à fait originaux. Avez-vous conscience d'avoir construit une identité musicale forte autour de Myrath ?
Oui, c’est ce à quoi l’on s’attache depuis des années. Et nous avons tenté de le développer sur cet album, « Shehili ». Le style qu’on a créé pourrait s’appeler Blazing Desert Metal (Ndlr : Traduction littérale : Le Metal Flamboyant du Désert). Nous ne sommes plus un groupe qui joue du metal oriental, ou du metal tunisien, on joue du Blazing Desert Metal, C’est notre nouvelle bannière, identité. Comme nous l’avons inventée, il n’y a que nous qui jouons ce style. Je ne veux pas paraître prétentieux, mais la scène metal a besoin de groupes innovants qui explorent d’autres versants. Il y a de très nombreux groupes, partout dans le monde, du Mexique au Japon, qui ne sont pas connus par manque de moyens.

Est-ce pour cela que le titre de l’album, « Shehili », est un mot arabe alors que « Legacy » et les précédents portaient des noms anglais ?
Non, ça n’a rien à voir. « Legacy » était un clin d’œil au père d’Ahmed qui nous avait trouvé le nom Myrath. Son héritage en quelque sorte. Nous avons donc nommé l’album ainsi pour lui rendre hommage.

Mais on a surtout l’impression que vous fermiez un chapitre avec « Legacy » et que vous en ouvrez un nouveau avec « Shehili ».
Oui, en fait nous avons fermé celui de groupe progressif pour créer quelque chose de nouveau. L’image du prog empêche malheureusement de s’adresser à un public plus large, d’intégrer des tours plus prestigieux, de gros festivals, à moins bien-sûr de s’appeler Dream Theater avec 30 ans de carrière. Faire du Dream Theater pour n’en être que des copies ne nous intéresse pas. Il y a beaucoup de très bons groupe dans ce style, qui sont même meilleurs que les Petrucci ou Mancini, mais ils n’atteindront probablement jamais leur notoriété parce que le progressif ne leur permet plus aujourd’hui.

D’où votre nouveau créneau symphonique et oriental ?
Exactement. Parce que tout le monde compare par rapport aux leaders de chaque mouvement. Tu es étalonné par rapport à ces groupes et considéré comme le second, le troisième … Bon, nous on était pas dans le trio de tête (Rires), mais le public du prog n’est pas aussi vaste que ce à quoi nous aspirons. Bien sûr, notre musique reste ancrée dans ce style que nous avons développé. Le côté progressif de l’album est toujours présent. Mais notre ambition et notre objectif, avec la maison de disque, c’est de s’adresser à un public plus large. Ils ont bien entendu leur mot à dire et leur expérience nous sert. Ils nous ont dit : « Vous avez un talent, vous avez une identité, vous devez les exploiter à fond pour que plus de gens vous écoutent ».  

Quelle est la signification des symboles sur la pochette de l’album « Shehili » ?
C’est un symbole Tunisien, comme la Roumsa, (Ndlr : celui présent sur les albums précédents) le symbole Berbère utilisé par les juifs tunisiens contre le mauvais œil. Celui-ci est vieux de plusieurs siècles, il s’appelle la Khalla. Il est toujours utilisé aujourd’hui par les femmes tunisiennes sous forme de broche en or ou en argent pour, lui aussi, les protéger du mauvais œil. Nous y avons ajouté la Constellation qui fait référence à la chanson « Mersal » avec Lofti Bouchnak qui parle de guerre existentielle de façon métaphorique avec l'alignement des planètes.

Justement, parmi les chansons les plus traditionnelles, il y a l'intro « All » et la très célèbre « Lili Twil ». A-t-elle une signification particulière pour vous ?
Oui pour Mehdi qui en a fait la demande. Elle lui rappelle son enfance au Maghreb. Au départ, elle ne me parlait pas trop mais Kevin était sûr que l'on pouvait l'arranger pour en faire un hit en puissance. Et ça fonctionne vraiment bien.

À propos de Lofti Bouchnak, comment vous est venue l'idée de cette collaboration ?
En fait l'idée vient de moi. J'ai grandi avec les chansons de Lofti. C'est un peu le Charles Aznavour de la Tunisie et le Franck Sinatra du Monde Arabe. Il y est partout reçu comme un dieu. Il est très respecté. Donc je suis très fier d'avoir pu chanter avec lui. Nous avons contacté son fils qui lui avait fait découvrir Myrath. Du coup, il a beaucoup aimé et a décidé de faire la chanson gratuitement pour nous soutenir.

C'est la plus belle des reconnaissances ?
Exactement !  

Et-ce qu'un album entièrement dans votre langue natale est envisageable ?
Peut-être, mais probablement uniquement si c'est en acoustique. Je l'imagine avec un orchestre et des instruments traditionnels, luths, bouzoukis, des instruments turcs, des clarinettes orientales comme on a utilisé sur « Mersal ». J'utiliserais même peut-être des instruments chinois genre erhu par exemple (Ndlr : sorte de violon chinois à une seule corde). Pour moi, la musique est un laboratoire d'expériences et je n'aime pas rester cantonné à un seul style.

En parlant d'orchestre, vous vous en êtes déjà entourés d'un par le passé. Est-ce également le cas sur « Shehili » ?
Oui, nous avons fait appel à l'Orchestre National dirigé par le grand Mohammed Lassoued. Sans vantardise, en Tunisie, il y a les plus grands violonistes du Monde Arabe. Ils y sont très courtisés.

Et jouer avec un orchestre sur scène, en tournée ?
C'est envisageable en effet, en tous cas on aimerait le faire. En juillet dernier, nous avons joué devant plus de 7 000 personne dans l'amphithéâtre romain de Carthage devant un public très varié, des fans de metal, des enfants, des séniors, des femmes, certaines voilées, que nous avons converties à notre religion (Rires). Mais un concert avec un orchestre on ne l'a pas fait, alors de là à en faire une tournée, il y a du chemin. Il faut beaucoup d'argent pour déplacer une logistique comme celle-là. Nous ne sommes pas encore Sabaton pour se le permettre. (Rires)

L'arrivée de Morgan à la batterie a stabilisé le groupe. Qu'est-ce que ça vous a apporté en plus de la stabilité, de la maturité ?
Quand tu as quelqu'un comme Morgan dans un groupe, un type qui n'arrête pas de te faire chier sur tous les détails (Rires), tu n'as pas envie de le lâcher. En plus d'être un bon batteur de metal, il a une culture musicale exceptionnelle. Il peut tout jouer. Myrath est un groupe franco-tunisien désormais et le public français peut s'enorgueillir d'avoir un tel batteur de talent, et nous aussi. Mais il est chiant (Rires). Chaque fois que l'on tourne, même avec de très grands groupes comme W.A.S.P., Symphony X, Tarja, Epica, les mecs viennent assister aux balances juste pour voir Morgan jouer.  

Vous n'avez pas peur de le perdre ?
Franchement, personne d'autre que nous ne pourrait supporter ses vannes pourries et ses bêtises (Rires)

L'idée que les clips racontent une histoire qui se poursuit d'une vidéo à l'autre, voire sur plusieurs albums, est excellente. Pourtant ils ne collent pas vraiment avec les textes des deux chansons. Pourquoi ?
Parce qu'il s'agit de métaphores la plupart du temps. On aurait pu shooter un clip en marchant dans la rue et en chantant simplement, ou, dans le cas de « Dance », on aurait pu reprendre l’histoire poignante de ce danseur Syrien et en faire un mini-film. Nous voulions faire un truc à la Myrath rempli de métaphores. Le texte de « Dance » n’est pas seulement l’histoire d’un danseur qui lutte contre l'obscurantisme, mais elle raconte son combat que l’on exprime par le verbe Dance au lieu du verbe Fight. Danse contre l’adversité.

Vous abordez d’ailleurs dans vos textes tout un tas de thèmes très actuels, notamment sur « Dance » qui prône la tolérance et le partage. Comment vivez-vous ce discours qui va à l’encontre de tout ce que l’on voit tous les jours, à savoir l’intolérance et le repli sur soi ?
C’est une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas bien médiatisés en Tunisie. Avec la montée du Front Islamique. Même si la Tunisie est un pays assez sûr désormais, tu sens une forme de censure avec des mouvements qui veulent contrôler la jeunesse en la tenant éloignée le plus loin possible de l’occident, et mettre en avant leur idéologie qu’ils jugent la meilleure pour le pays. De notre côté, ce que l’on fait, quelque part, c’est l’inverse. Mais ce n’est pas spécifique à la Tunisie, en Iran ou en Irak il y a des groupes de metal qui ne trouvent aucun moyen de se faire connaitre ni même de se produire.  

N’est-ce pas utopique de porter un message d’optimisme dans un metal qui, aujourd’hui, a tendance à dépeindre le monde avec noirceur ?
Peut-être, mais mieux vaut parler de ça que d’y être sourd. La musique ne changera pas le monde, mais elle peut parfois changer les gens. Alors, ça prend plus de temps bien-sûr, mais nous préférons rester fidèles à nos idées.

Est-ce que vous craignez de déstabiliser un peu vos fans avec cet album ouvertement plus commercial, même s'il mêle différentes influences avec toujours plus de puissance, de mélodies et d’émotion ? Au moment de composer cet album, vous avez pris en compte les attentes de votre public ?
Oui, on s’est posé cette question en effet.  Une petite anecdote justement pour t’expliquer que c’est une préoccupation permanente pour nous. Une fois nous étions dans une chambre d’hôtel en Tunisie, à sept ou huit avec les ordinateurs, les cartes son, les instruments, des pizzas, un joyeux bordel. Et je propose une ligne de chant « Ta-ta-tata ». Et Elyès me dit « mais non, ça va nous griller un truc comme ça ». Nous griller comment ? « Auprès de nos fans ». Nous avons pris beaucoup de temps pour écrire l’album, comme à chaque fois, car nous cherchons des compositions bien soignées. On a conscience de ces changements mais combien de temps allons-nous vivre dans la crainte de les décevoir ? J'ai bon espoir qu'ils vont adhérer.

Ça vous était arrivé pour les précédents albums ?
Non, principalement pour celui-là. Car nous voyons « Shehili » comme une évolution importante dans notre carrière et dans notre musique. Au moment de la production lorsque l’on a fait le point des idées rassemblées, nous nous sommes dit qu’il fallait trancher. Et ils nous semblent que nous n’avons pas opéré un virage radical mais apporté un changement suffisant pour ne pas déboussoler nos fans, par respect pour eux, mais suffisamment pour élargir un peu nos perspectives commerciales. C’est un peu comme McDonald’s face à Five Guys, d’un côté un produit industriel et commercial sans saveur et de l’autre, un produit commercial mais plus élaboré et de qualité.  

Myrath, les Five Guys de la musique metal !
(Rires) Ça pourrait devenir notre slogan avec un partenariat avec Five Guys (Rires)

Vous avez travaillé avec Kévin Codfert et Jens Borgen (déjà présent sur « Legacy »), mais cette fois vous travaillez en plus avec Eike Feese qui a bossé avec Deep Purple notamment. Pourquoi ce choix de trois producteurs ?
Ce n’est pas un choix. Nous n’avons payé aucun des trois pour le travail réalisé sur l’album.  

Ah bon ?
Oui. Kévin, c’est un frère, il est comme un membre du groupe, c’est l’esclave du groupe, donc il travaille et il la ferme (Rires). Il produit et il est co-auteur car il a écrit pratiquement 75% de l’album et s’est donc occupé du mixage. Jens de son côté à fait le mastering en Suède. Il est tombé sous le charme de l’album et s’est mis à faire des propositions pour améliorer le mix avec des suggestions super intelligentes. Il s'est investi comme s'il faisait partie du groupe. Kévin est donc allé à Hambourg avec le mix et l’a montré à Max, le patron de Edel, qui a tout de suite adoré. Mais il considérait que ce serait du gâchis de sortir l’album avec ce son de batterie qu’il trouvait trop plat. Il nous a donc financé le réenregistrement de la batterie au mythique studio Cameleon sous la supervision de Eike Freese. Et lui aussi s’est énormément investi dans cette partie en conseillant Morgan et en ajustant certaines parties. Donc tout ça est venu d’une façon très naturelle.

Le titre « Monster In My Closet » peut paraitre plus léger. De quoi parle cette chanson ?
C'est une sorte de bataille existentielle que chacun mène contre lui-même, contre son for intérieur, son propre égo, tentant de chasser ses propres démons. C'est encore une métaphore basée sur cette expression anglophone, le monstre dans ton placard, c'est ton combat contre toi-même, contre tes démons. On l'a même faite en version japonaise. C'est spécial ...

Finalement, quelles sont vos attentes pour cet album ?
J'espère que les gens qui écouteront l'album verront qu'il a été fait avec le cœur, d'une façon honnête et spontanée, sans calcul, d'une façon naturelle.  

Quelle est la question que tu aurais aimé que l'on te pose ?
Ce n'est pas vraiment une question, mais plus une réflexion. J'espère que les fans de metal pourront s'ouvrir un peu à ce nouveau Blazing Desert Metal, un style frais qui casse un peu la monotonie des autres styles.

Merci beaucoup.
Merci à vous !

Propos recueillis par Yann Charles et Jérôme de Music Wave