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LES NUITS DE L'ALLIGATOR à LA MAROQUINERIE (75) pdf print E-mail
Ecrit par Fred Hamelin  
samedi, 02 mars 2019
 

LES NUITS DE L’ALLIGATOR
SWEET CRUDE – TANK AND THE BANGAS
LA MAROQUINERIE – PARIS (75)
Le 21 février 2019

https://www.nuitsdelalligator.com/
http://sweetcrudeband.com/
http://www.tankandthebangas.com/

Remerciements à Isabelle Béranger et Barbara Augier / BIPcom promotions

Pour la dernière soirée des Nuits de l'Alligator édition 2019, la programmation sous forme de double plateau s'est voulue festive et déjantée. Deux groupes se sont ainsi partagé la scène dans la joie et la très bonne humeur avec cette once de folie propre aux groupes qui se veulent en marge et/ou à la croisée des styles, ne rentrant dans aucun moule formaté par les majors.
 
De la Nouvelle-Orléans, on pense essentiellement au berceau de la culture noire américaine et les images qu'elle véhicule comme les célébrations sauvages du Mardi Gras, le terreau fertile qui vit éclore nombres de jazzmen et de bluesmen sur les scènes des clubs enfumés, aux enterrements en fanfare avec fracas et effervescence, sans oublier les célèbres beignets du Café Du Monde (mais c'est un tout autre sujet qu'on évitera de débattre ici).

On pense rarement aux populations francophones, aux Cajuns ou aux Acadiens, ancêtres des premiers, bannis du Canada, qui vinrent s’exiler dans le delta du Mississippi au XVIIIème siècle, et dont la culture musicale est encore bien présente dans ce triangle rouge allant de Lafayette au nord de l'état à ces bases Avery Island et Saint Martinville ; contrée des bayous ou évolue hors du temps un mode de vie unique qui dépareille du reste des Etats-Unis. Ceci dit, bon nombre de ces éléments s'estompent avec le temps, à mesure que la culture américaine devient de plus en plus homogénéisée. Cette tendance s’observe plus directement dans la disparition progressive de la langue française qui y était encore enseignée en Louisiane dans les années 70.
 
Les six membres de Sweet Crude ont grandi avec des grands-parents qui parlaient le dialecte autochtone comme langue maternelle. Mais avec chaque génération successive, cette langue se perd progressivement. Alors au lieu de chanter la langue dans ses genres habituels comme le zydeco, Sweet Crude s’inspire de ses propres influences (Americana mais aussi pop ou indie rock façon Arcade Fire ou Born Ruffians) pour produire un son accessible à la génération actuelle. Le but avoué est de sortir la langue du musée (même si ce vieux Français est pour nous incompréhensible), la mixer à l'Anglais pour une tessiture plus assimilable et lui donner une pertinence pour les années à venir. Sweet Crude et ses quatre ans d'existence ont réussi à synthétiser cette culture centenaire en y insufflant une sacrée once de modernité. Une gageure dont ils ont aisément surmonté les exigences.

Sweet Crude sort son premier LP, « Créatures » (notez l'accent) en avril 2017 sur Rhyme et Reason Records, suivi de shows dans de nombreux festivals américains tels que le Bonnaroo, le New Orleans Jazz and Heritage Festival, les Francofolies de Montréal ou encore le Festival du Voyageur de Winnipeg. Après une tournée nationale à guichets fermés qui a duré tout l'été et l'automne 2018, le groupe remporte le Big Easy Award du « Meilleur Groupe de Pop-Rock » à la Nouvelle-Orléans en 2017. Une recette simple proposée ce soir-là à la Maroquinerie : instruments traditionnels (violons, banjos ...), harmonies à parfois quatre voix, sorte de gigue folk moderne qui parfois flirte avec l'electro, et surtout beaucoup de communication active avec le public. Et c'est avec des rythmes aussi ludiques que surprenants, et des compositions aussi éclectiques que « Weather The Waves » et ses percussions façon créoles, « Laces » et son coté synth-pop, « Créature » chanté dans un très étrange Franglish ou le superbe « Mon esprit » à la mélopée étirée et lancinante, que Sweet Crude, mené par ses deux vocalistes, Alexis Marceaux et Sam Craft, arrive à faire passer un message flamboyant, retournant La Maroquinerie et ralliant le spectateur leur sa cause !

Retour dans la banlieue de Nola avec les Tank And The Bangas, groupe qu'on pourrait définir (et personne ne me contredira) de complètement barré ! Mené tambour battant par l'exubérante Tarriona ‘‘Tank’’ Ball, la formation se veut un melting-pot de toutes influences qui représente l'héritage multiculturel afro-américain drainant du jazz au hip-hop, du funk au rock, nourrit par un spoken word fantasque et explosif, le tout avec une pointe de gospel. Furieux, jouissif, arrogant, explosif, osé, viscéral, et surtout authentique. Avec autant de dénominatifs, il est quasi impossible de décrire la musique aussi fusionnelle de ce monstre hybride qu'est Tank And The Bangas.
 
Et pour cause, chacun des musiciens (le groupe est à géométrie variable allant de six à dix membres) provient d'un milieu différent, chacun apportant un son adapté à son univers et son expérience. Ball qui a grandi avec des artistes comme Missy Elliott et Aaliyah, est tout simplement l’une des voix les plus impressionnantes au monde, mais aussi l’une des plus polyvalentes, aussi à l'aise dans les aigus (et ça surprend) que sur des intonations plus chaudes voire sexy. Albert Allenback, le petit blanc en short et chemise hawaienne, est aussi énergique comme saxophoniste qu’en tant que flûtiste évoluant dans un répertoire assez vintage, du rhythm’n'blues pur jus à la soul seventies façon Womack. A la rythmique, les frères Johnson, avec d'une par Jonathon à la basse qui canalise Jaco Pastorius de manière purement effrayante et son frère Joshua derrière les fûts, également compositeur et directeur musical. Double claviers avec Norman Spence qui installe un décor ténébreux, tapis derrière son synthé, et Merell Burkett, moog et piano, qui conversent avec talent.

Les membres du groupe se rencontrent et se découvrent en 2011 lors d'un Open Mic de spoken word dans un des clubs de jazz de La Nouvelle-Orleans, compétition qu'ils remportent du fait de leur qualité d'improvisation, et décident de continuer leur route ensemble. Une belle idée et « Think Tank », leur première galette, sort en 2013, suivie du set live « The Big Bang Theory : Live at Gasa » l'année suivante, concert qui conforte Tarriona Ball en tant qu'interprète et le groupe en tant qu'entité à part entière.

C'est surtout sur scène donc que le groupe se révèle. Ils peuvent aisément faire autant de boucan qu'un groupe de rock, et pivoter sans effort vers des grooves à base de funk ou des passages plus doux évoquant le R&B. Pendant ce temps, Ball, surveille et rôde sur scène, alternant sonorité gospel et poésie rappée parfois surréaliste. Tous ces éléments convergent dans ce single révolutionnaire qu'est « Quick », véritable pièce maîtresse qui synthétise toutes influences, un récit de vengeance dense et rythmé qui met en valeur la voix distinctive de Ball dans toutes ses tonalités (peut-on parler de morceau progressif ?). S'enchaînent ensuite des compositions comme « Smoke.Netflix.Chill. » mêlant beatbox et scratch, le pop rock « Walmart », le très pétillant « Boxes And Squares », et l'étonnant et swinguant « Oh Heart », ode au jazz des années 30 d'une redoutable mais efficace simplicité.

Du jazz talentueux donc, parfois improvisé mêlé à un funk impétueux, une progression d’accords chaleureux et puissants et des chœurs mélodiques à couper le souffle, une conversation soul rythmée par Tank et sa comparse, la jolie Anjelika ‘‘Jelly’’ Joseph, dernière pièce du puzzle - parfois intime, parfois conflictuelle - et des envolées de claviers et de cuivres qui vous remuent les méninges. Nous projetant dans un conte merveilleux, cartoonesque et au décor haut en couleurs, leur voix troublantes marquent les esprits. Un pur plaisir ! Tank And The Bangas créent une énergie pure et organique, une euphorie addictive dont on ne redescend pas de sitôt, déterminé à continuer à danser coûte que coûte en conservant cette énergie le plus longtemps possible !

Fred Hamelin – février 2019