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LES NUITS DE L'ALLIGATOR à LA MAROQUINERIE (75)
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Ecrit par Fred Hamelin |
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mercredi, 07 mars 2018
LES
NUITS DE L’ALLIGATOR
KEPA – ALTIN
GÜN – LES FILLES DE ILLIGHADAD
LA MAROQUINERIE
– PARIS (75)
Le 10 février
2018
http://www.kepamusic.com/the-band
https://www.facebook.com/altingunband/
https://lesfillesdeillighadad.bandcamp.com/album/les-filles-de-illighadad
Remerciements à Isabelle Béranger et Barbara
Auger de Bipcom
Dernière Nuit de l'Alligator pour cette cuvée
2018, et la Maroquinerie nous embarquera pour un voyage des plus
excitants, là où le blues ne connait pas de
frontière, des bayous de Louisiane façon frenchy
et de l'exotisme turc à la chaleur torride du Sahel. Un
programme de découvertes étonnantes que seul ce
festival sait dénicher et ceci parmi les acteurs les plus
excitants des musiques blues, folk & rock entre bluesmen
iconoclastes et artistes mordants en devenir, et dont la chaleur
intense brûle les planches.
C'est un peu le cas de cet Ovni de Képa, one man blues band
charismatique, dont l'approche blues très roots nous vient
tout droit de ... Bayonne ! Très à l'aise sous
les projecteurs, comme s'il était dans son salon, tenue
décontractée de mise, moustache
soignée, chemise à pois sous un petit
nœud pap', et avec cette énergie proprement
communicative et un humour bien particulier, Bastien Duverdier de son
vrai nom conquiert de suite un public curieux.
Avec un répertoire qui explore le blues rugueux et primitif
de sa slide guitar et de son harmonica, Képa nous transporte
là où les Charley Patton ou Brother Claude Ely
ont fait leur première classe (« Fuck Music Theory
» ou encore « Red Wood Whispers »). Mais
l'homme fait jouer la corde sensible sur de belles complaintes et des
ballades (« Snakers Home ») qui finissent par
s'envoler sur des notes quasiment cinématographiques,
lancinantes avec cette guitare saturée ou ce riff
à l'acoustique qui tourne et qui tourne encore («
Reborn » aux accents étonnamment hispanisants).
Même si on regrettera un peu la courte durée de
certains morceaux, et même si cela frôle parfois
l'improvisation et le recyclage, on profite pleinement de sa musique
dans toute sa dynamique. Multi instrumentiste Képa
possède, outre ses références deep
blues, une personnalité qui fait la différence et
un grain de voix qui l'habite d'une intensité poignante sur
les quelques morceaux qui ne sont pas instrumentaux. Du bon picking
à la transe hypnotique, Képa a
véritablement envouté la Maroquinerie et on lui
souhaite un bel avenir !
On le sait maintenant, mais si le groupe turco-hollandais, Altin
Gün a choisi de s'arrêter à la
Maroquinerie dans sa folle tournée, c'était pour
véritablement y mettre le feu. Et force est de constater que
le pari est réussi ! Le combo
orientalo-psychédélique fondé par la
section rythmique de Jacco Gardner offre un pont entre le rock
anatolien des années 70, véritablement culte
aujourd'hui en Turquie, et des sonorités plus funky
empruntées à la pop moderne. Forts d'une
énergie sans pareil et d'un groove revigorant à
réveiller les morts, le concert a fait basculer la
soirée dans une autre dimension. Peu de
résurgences blues certes, mais il manquait à ces
Nuits de l'Alligator un son un peu plus dansant et une certaine
fraicheur.
Autour des Bataves Jasper Verhulst (basse), Ben Rider (guitare), Nick
Mauskovic (batterie) et Gino Groenenveld (percussions, y compris au
sein du jazzband Jungle by Night) s'agitent donc la blonde et
sculpturale chanteuse et danseuse Merve Desdemir et le chanteur et
claviériste Erdinc Yildiz Ecevit, également
joueur de saz (luth oriental) qu'il a amplifié.
D'évidence tous réussissent ce tour de force
d'être chacun en parfaite symbiose avec les autres, une
alchimie d'autant plus difficile en sextet. Il est vrai aussi que Merve
Desdemir capte tous les regards, surtout après
s'être débarrassé de son cuir,
dévoilant un joli top sur un ventre nu. Au-delà
de ça, c'est d'un exotisme jubilatoire, parfois un peu
kitsch, mais on leur pardonnera volontiers grâce à
l'électricité ambiante. De l'Anadolu Rock des
années 60, courant musical devenu courant politique et
social la décennie suivante, prônant autant la
libération des mœurs que le changement de
régime, on retiendra peut être ces quelques
artistes emblématiques qu'ont été
Erkin Koray, Selda ou Baris Manço, mais en Europe, il fit
surtout figure d'anecdote à une époque
où on découvrait ici les Syd Barrett, Morrison et
autres Hendrix.
Avec de véritables tubes en puissance comme « Goca
Dünya » au refrain entêtant et reprise de
Koray également en beaucoup plus festif, «
Kırşehir'in Gülleri » qui fait la part belle au duo
guitare et saz, ou encore « Tatli Dile Guler Yuze
», où fuzz et wah-wah sont de rigueur, le premier
album d'Altin Gün, « On », sortant le 30
mars, je ne vous conseillerai que trop peu d'y jeter une oreille.
Pour conclure cette soirée, la programmation nous offrait un
bien beau cadeau en faisant venir directement du Niger, Les Filles De
Illighadad, groupe féminin de blues rock Touareg. Comme il
est désormais évident que sans le creuset
africain, le blues n'aurait jamais vu le jour, quelle meilleure
façon était-il possible de trouver pour finir
ainsi en beauté ? Portées par des arabesques
électriques, leurs chansons parlent d'un peuple vrai,
vivant, entre rires et pleurs, à l'opposé des
clichés réducteurs colportés par
l'actualité. Et les trois filles, Fatou Seidi Ghali en
meneuse, et ses cousines, Alamnou Akrouni et Mariama Salah Assouan,
savent capturer l'essence qui irrigue leur rock du désert
imprégné de blues, une musique qui est aussi la
carte d'identité des derniers nomades de l'Afrique. Depuis
des lustres, les guitaristes du désert ont
célébré leur désespoir mais
aussi leur joie de vivre en langue Tamasheq .Des guitares
électriques, parfois une basse, sur lesquelles sont
plaqués les rythmes d'une calebasse ou d'un
djembé.
Les Filles De Illighadad propulsent la tradition touareg vers le futur.
Originaire du massif de l’Aïr, au Niger, le groupe
n'avait pourtant jamais quitté le village qui lui donne son
nom quand il a joué ses premiers concerts, en 2016, et
après l'édition sur Sahel Sounds de son premier
disque enregistré en plein air en octobre 2017. Avant
ça, elles ne pratiquaient d'ailleurs la musique que pour
passer le temps, en s'occupant du bétail ou pour divertir
les gens de la région. C'est d'ailleurs un parterre de fans,
venus spécialement pour l'occasion, qui va s'octroyer les
premières places dans une Maroquinerie qui fait salle
comble. A noter ce curieux instrument de la tradition ishamar, le
tambour tendé, constitué d’une peau de
chèvre tendue, montée sur un mortier avec son
pilon, et rempli d’eau, dont elles joueront assises autour
sur les trois premiers morceaux. C'est une musique minimaliste, mais
énormément poétique où les rythmiques
transes et ancestrales viennent soutenir un blues lancinant et
mélodieux. L’amour, la religion, les
difficultés de la vie, la joie de la communauté́,
la glorification de la nature et la culture Touareg sont les
thèmes distilles au gré́ de leurs chansons.
Elles écrivent et composent leurs morceaux, à
mi-chemin entre la dimension primaire du blues et son coté
limite chamanique et le potentiel électrique des guitares
touarègues qui conduisent la musique jusqu'à la
transe et connaissent les recettes pour l'entretenir et la transcender.
Cette « caravane » avance avec une grande force et
une belle sincérité, dans une épure
qui sent toujours bon le sable du désert. Écouter
leur blues abrasif sur ces voix limpides, c'est commencer un voyage
d'où on peut ne jamais revenir.
Fred Hamelin –
mars 2018
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