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LES NUITS DE L'ALLIGATOR à LA MAROQUINERIE (75) pdf print E-mail
Ecrit par Fred Hamelin  
mardi, 06 mars 2018
 

LES NUITS DE L’ALLIGATOR
PARLOR SNAKES – MR AIRPLANE MAN – JEN CLOHER
LA MAROQUINERIE – PARIS (75)
Le 5 février 2018

http://www.parlorsnakes.com/
http://www.mrairplaneman.com/
https://www.jencloher.com/

Remerciements à Isabelle Béranger et Barbara Auger de Bipcom

Il va sans dire que Les Nuits de l'Alligator qui s'accaparent la Maroquinerie chaque année à Paris, mais tournant aussi dans quelques villes de province, se suivent mais ne se ressemblent pas et c'est en cela que réside l'intérêt de cet incontournable festival, placé essentiellement sous le signe du blues. Pour cette seconde session, place est faite aux femmes et aux rockeuses à forte personnalité.

Artistes en résidence animant régulièrement les nuits parisiennes, les franco-américains de Parlor Snakes se devaient d'être la « mise en bouche » sexy et vivifiante pour aviver une salle qui peinait à se remplir, avec leur garage rock sans concession aucune. Prenez donc le son fiévreux d' un Gun Club période « Miami », l' exubérance d'un power pop punk façon Blondie, et couvrez les non seulement d'une voix approchant à s'y méprendre d'une Alison Mosshart (The Kills) et d'une guitare mordant au groove implacable distillé par un Peter K en grande forme et vous obtiendrez un assez juste hybride du Jim Jones Revue ou d'un John Spencer Blues Explosion, leur dernier opus éponyme étant d'ailleurs produit et mixé à New York par Matt Verta-Ray.

Cette fois-ci, les Parlor Snakes ont mis les petits plats dans les grands. On sent que le groupe s’est aguerri pendant ces dernières années sur la route à ouvrir pour les plus grands et a gagné en maturité. Les riffs mordants et le chant lancinant confirment cette première impression, avec une rythmique qui a désormais toute sa place dans le quatuor. La jolie rousse Eugénie Alquezar joue à merveille son rôle de meneuse de revue accrocheuse de regards, blouson de cuir sur chemisier blanc, et Peter, le ténébreux rockeur sur sa guitare demi-caisse.

Le travail sur les arrangements, méticuleux et inventif, comme par exemple sur « Sure Shot », morceau à l’architecture changeante, démontre le palier franchi par le groupe, qui n’hésite pas à explorer des voies plus underground comme sur « Always You » et ses guitares volontairement imprécises et fuzzy. Idem pour le planant « Dirt to Gold », mettant au jour une maîtrise hors-normes des ambiances patiemment tissées par les musiciens, capables de faire voyager le public vers un son Velvet des plus prenant. Pour résumer du bon gros son rock nappé de claviers lysergiques, un joli brin de voix maitrisé et assuré d'évoluer dans différents registres, le tout façon blues décoché sans fausse pudeur et qui se fraye un chemin tortueux aux confins du punk. Fiévreux, urgent, mais n’essayant jamais de cacher leur vulnérabilité, les Parlor Snakes font ainsi preuve d’une belle homogénéité artistique.

Alors qu'Outre-Atlantique on pleure encore Chuck Berry, dernier artefact vivant du rock’n’roll, deux femmes qu'on avait jusque-là égarées, remontent désormais sur les planches pour une tournée en forme de jubilé. Vingt ans déjà que s'est formé Mr Airplane Man, duo féminin donc l'unique crédo était de décrasser le blues rock américain. Tara McManus à la batterie et Margaret Garrett sur sa guitare (et toutes deux au chant) sont vite devenues les reines du Boston underground jouant un blues hargneux et râpeux qui raclent l’os à la recherche de l’essence sacrée du rock’n’roll. Leur son brut et sans concession leur permet de rapidement jouer avec ces icônes modernes en la personne de The Reigning Sound, White Stripes, Detroit Cobras, Blues Explosion, Dirtbombs et tant d’autres.
Elles font paraitre l’album « C’mon DJ » sur l’incontournable label Sympathy For The Record Industry quasiment en même temps que « Elephant » et son « Seven Nation Army » des White Stripes ou « Thickfrikness » des Black Keys. Seulement, trois albums plus tard, c'est silence pesant qui s'installe, le duo n'ayant pu se renouveler pour passer le millénaire.

On les retrouve à la Maroquinerie pour une première à Paris et pour raviver de très bons souvenirs et s'imprégner de « Lost Tapes », album sorti de nulle part en 2015, et qui rassemble de vieux enregistrements de 1999 sous la houlette de Bruce Watson du mythique label Fat Possum Records. Avec ce son bien trash qui leur est propre, une résurgence de blues old school qui tourne et rentre inexorablement dans votre crâne, les filles tirent sacrément leur épingle du jeu sur ce terrain bien connu ou le blues se veut électrique et poisseux à la façon des R.L. Burnside et Junior Kimbrough, là où tout peut arriver et partir en vrille, puisqu' elles ont prouvé il y a bien des années déjà qu'elles en avaient le potentiel (écoutez « Black Cat Bones » ou encore « Shades of Blue »). Alors, malgré un petit souci d'ampli, les deux furies ont offert ce soir-là une performance des plus honnêtes et des plus rassurantes sur leur retour aux affaires !

Quasi inconnue en France, mais icône underground chez nos amis Australiens, Jen Cloher clôturait donc ce live placé sous le signe du Do It Yourself ; et elle en est l'exemple parlant. En pleine période d’effervescence artistique et de développement personnel, on compte désormais cette artiste comme un des fers de lance de la fameuse scène musicale activiste de Melbourne. Directrice de label (Milk Records) mais aussi avocate de la première heure pour les droits des artistes, féministe et militante LGBT, leader d’un groupe (The Endless Sea), et partenaire à la ville de Courtney Barnett qu'elle produit, Jen Cloher est sur tous les fronts, et se veut par ses chansons de combattre l'étroitesse d'esprit, le conservatisme et paternalisme, et le déni d' égalité.

Dix morceaux s'égraineront au fil de ce concert, une tranche de vie documentée à vif sous la forme de chansons sans fards, débordant d'histoires personnelles à l'énergie décuplée et parfois à facilité déconcertante, ceci largement aidé par la présence de Courtney Barnett justement à la guitare, toujours autant expressive, tandis que la batteuse Jen Sholakis et le bassiste Bones Sloane ajoutent de la rigueur et de l’espace, ne jouant que ce qu’il faut et laissant les morceaux respirer. Les compositions ne semblent être pensées que pour être d'autant plus efficaces et ça et là apparaissent de véritables pépites, Jen Cloher confirmant ainsi la maîtrise de son répertoire. Les textes ciselés sont très honnêtement inspirés, allant critiquer sévèrement l’Australie trop conservatrice sur « Analysis Paralysis » ou encore l’intransigeante Maison Blanche sur la question des minorités sur le très sombre « Kinda Biblical », un morceau rappelant parfois Sonic Youth. Elle n'hésite pas pourtant à ouvrir les portes de son enfance sur « Strong Woman ». Au milieu des titres électriques ont lieu également des ballades comme « Regional Echo », le mélancolique « Sensory Memory » ainsi que sur le final façon Breeders « Name in Lights » montrant encore une fois qu’elle est au sommet de son art.

Déjà très suivie, Jen Cloher avec son accent australien rageur parcouru de décharges électriques rappelle les débuts de grandes aînées (Liz Phair ou PJ Harvey) et est partout présentée comme la nouvelle Patti Smith (elle reprendra par ailleurs « Land » lors d'un concert anniversaire des 40 ans de Horses au Melbourne Town Hall ; magnifique reprise en l'occurrence). Ces talents d'écriture et de guitariste l'ont propulsée sur le devant de la scène en quelques années et prouvent à quel point elle deviendra une référence de l'indie rock. Sa musique prend racine dans la slack jangle de la fin des 80's, début 90's, mais voyage souvent d'un blues très roots vers une Americana authentique, le tout sous forme de vibrant manifeste et d'avertissement communautariste à qui veux bien l'entendre !

Fred Hamelin – mars 2018