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BETTY BONIFASSI à GUYANCOURT (78)
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Ecrit par Fred Hamelin |
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mardi, 05 décembre 2017
BETTY
BONIFASSI
LA BATTERIE –
GUYANCOURT (78)
Le 10 novembre 2017
http://bettybonifassi.com/
Remerciements à Carine Adam, La Batterie –
Pôle Musique de Guyancourt
Niçoise, mais Montréalaise d'adoption, la
chanteuse Betty Bonifassi, dont la voix incomparable, basse et presque
masculine, pourrait presque être qualifiée de
baryton, foulait ce soir-là les planches de La Batterie pour
y présenter son second album, « Lomax »,
hymne en douze morceaux à la gloire d'un géant du
blues, Alan Lomax. Un concert sous forme d'odyssée musicale
en gestuelle quasi théâtrale à travers
les chants traditionnels afro-américains, des champs de
coton aux chantiers du chemin de fer, des chants d’esclaves
aux chansons de prisonniers nous plongeant en pleines années
30, du temps tragique de la ségrégation et de la
grande dépression. Un hommage hautement visuel à
la musique comme outil de résilience et
d’émancipation.
Alan Lomax n'était pas musicien, mais sans lui un pan entier
de l'histoire musicale nous aurait échappé.
Ethnomusicologue, folkloriste et défenseur des
minorités culturelles, il est le « ramasseur
» sonore de blues le plus emblématique de
l’histoire. Le constat est très simple : sans les
enregistrements commandités à Lomax par la
Bibliothèque du Congrès américain, la
musique du XXe siècle ne présenterait pas le
même visage. Des collectes aujourd’hui disponibles
en ligne. A partir de 1933, Alan et son père John parcourent
le Sud profond, du Delta du Mississippi au Kentucky, pour immortaliser
le folklore local. Ils aménagent
l’arrière de la voiture avec un
matériel primitif de gravure sur cylindres. Ils
s’arrêtent dans les rues, les exploitations
agricoles, les chantiers des nombreuses digues, les
pénitenciers, les églises de campagne, les bars
louches. Dès qu’un Afro-américain
chante ou joue, ils actionnent l’engin. Ils suscitent la
parole et collectent les confidences.
Lomax décédé en 2002 à
l’âge de 87 ans, rapporte propos et
péripéties de ceux qui ont dressé les
bases du blues en un précieux témoignage. Devant
les micros s’assoient les légendes : Leadbelly,
Son House, Muddy Waters, Fred Mc Dowell, Honeyboy Edwards, Big Bill
Broonzy, Memphis Slim, Sonny Boy Williamson et des dizaines
d’autres monuments. Il découvre Huddie Leadbetter
en 1936, croupissant au fond d’une prison du Texas. Lomax
identifie la mère du célèbre Robert
Johnson, dans le Comté de Coahoma, et la rencontre date de
1941 (Mama Johnson démontera le mythe de la «
Musique du Diable »). Eddie James, dit Son House ? Le
pionnier de la sono le rencontre quelques jours plus tard, aux environs
de Clarksdale, conduisant un tracteur. Lomax emmène le
guitariste dans la grange et ce sera le contremaître blanc
qui interrompra la séance, Lomax finissant au poste. Son
House sera à l'origine de sa rencontre avec Muddy Waters qui
habite pas loin. Le chasseur de blues ne loupe pas l’occasion
et branche la machine devant celui qui, avant
d’émigrer vers Chicago et
d’électrifier sa musique, sera connu de son vrai
nom : McKinley Morganfield. Et dès les premières
paroles sur l'enregistrement, Muddy prononcera les mots Rolling Stone !
Lomax fut celui qui fit découvrir le blues grâce
auquel le rock est né.
Betty Bonifassi s’attarde à quelques familles de
chants : les « call songs » qui accompagnaient
l’éveil des esclaves, les « work songs
» qui rythmaient les gestes mille fois
répétés sur des chantiers de chemin de
fer, les « Gandy dancer's railroad songs » qui
ponctuaient justement les efforts physiques collectifs requis pour
mettre en place des voies ferrées (« Linin' track
» par exemple ), les « fields songs » un
peu moins cadencées qui atténuaient la routine de
la cueillette du tabac et du coton, les «
prisoner’s songs », qui parlaient de
liberté et d'amour perdu (et le titre « Black
Woman »), et les complaintes et berceuses qui marquaient la
fin d’un autre jour de labeur ou exprimaient
l’espoir d’être un jour
libéré. Un work song immensément connu
et qu'interprètera Bonifassi est l'excellent «
Black Betty », porté tardivement sur les
palmarès par Ram Jam en 1977 mais reprise de Leadbelly, et
réinterprétée par les Nick Cave,
Manfred Mann, Tom Jones et autres Meat Loaf.
Autre morceau significatif, « Rosie »,
née dans les champs de coton, met de l'avant de poignantes
images où s'entrechoquent fantasme et douloureuse
réalité, rappelant un racisme pas si lointain.
Betty Bonifassi charrie dans son timbre brûlant toute la
ferveur des divas soul américaines et la vibration profonde
des chants d’esclaves. La charismatique
Québécoise traverse, dans sa quête
exploratrice, les grands espaces rock, gospel, blues, et toutes les
musiques folks qui prennent source dans la musique africaine.
S’appuyant sur une bouleversante force
d’interprétation, Betty Bonifassi modernise ces
blues songs à sa façon purement personnelle.
L’artiste réussit de façon intense
à faire passer les émotions, les douleurs et les
espoirs de ces chants en enrobant le tout d’un amalgame de
blues, de soul, parfois de funk et d’electro. C'est
étonnant de justesse et de vérité, et
s'en est parfois troublant.
Betty Bonifassi ne sort de l'ombre que la quarantaine passée
(et c'est bien dommage) et prouve par cette forme de
résilience par l’art vocal une aptitude
à transcender les souffrances, qu’elle transpose
aussi pour condamner l’esclavage moderne.
Fred Hamelin –
décembre 2017
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