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Ecrit par Aline Meyer |
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dimanche, 01 octobre 2017
TRIGGERFINGER
https://www.triggerfinger.net
Colossus est le dernier album des belges de Triggerfinger (voir
chronique sur ce lien). En perpétuelle
expérimentation, ils explorent de nouvelles
sonorités et de nouvelles mélodies, tout en
gardant leur côté "barré" qu'on adore
chez eux. En plus, ils arrivent très bientôt pour
une série de concerts chez nous. Ah, si vous n'avez jamais
vu les Triggerfinger en concert, vous n'avez jamais vu de concert de
Rock !!! En attendant d'en reparler devant une scène, celle de l'Elysée Montmarte pour leur concert à Paris le 25 novembre, Aline
a rencontré Mario, le batteur, et Mr Paul, le bassiste.
Vous avez commencé
en jouant devant 50 personnes, et maintenant vous jouez dans de grandes
salles. Comment voyez-vous cette évolution, cette ascension ?
Mario :
C’est bien sûr très positif, on y
travaille depuis 1998, mais toujours à la mode
Triggerfinger, c’est-à-dire que ça ne
vient jamais d’un coup, c’est toujours un travail
de fourmi, étape par étape. On tourne en France
depuis plus de huit ans, et comme tu l’as dit, on a
commencé dans de petits bars. Et tout d’un coup,
ça s’est mis à grossir, et
même encore maintenant ça grandit toujours, ce qui
est super, car, comment dire … si ça
s’arrête à un moment, tu es comme
frustré, mais du coup tu te remets au boulot dix fois plus
fort, mais encore aujourd’hui après huit ans, on
se sent toujours aussi motivés.
Paul : On
joue toujours dans de petits bars à vrai dire, car il y a
toujours des pays où l’on n’est pas
très connus, comme en Espagne, ou en Scandinavie, donc on y
joue dans de petites salles voire dans des bars. Mais on aime toujours
ça, c’est par là qu’on a
commencé ! Et après, on joue dans de gros
festivals, voire d’énormes festivals, mais
c’est toujours sympa de revenir une fois de temps en temps
à nos racines, ces petits bars, parce qu’on sait
aussi, bien sûr, qu’il y a d’autres
choses plus grandes qui nous attendent ensuite. Mais ça
permet de rester en contact avec la réalité, de
te faire sentir que tout peut s’arrêter un jour. Et
c’est super parce que tu es en contact direct avec le public.
C’est aussi une
atmosphère très différente…
Paul :
Ouais, tu dois apprendre à jouer sur de grandes
scènes, c’est très
différent, car tu ne vois pas des personnes mais une foule,
donc c’est plus difficile. Mais une fois que tu sais cela
…
Comme tu l’as
dit, vous avez une renommée très
différente suivant les pays, par exemple comme la France ou
à l’inverse la Scandinavie où ils ont
tellement de groupes, et le fait d’être belges,
flamands plus particulièrement, pensez-vous que
ça vous a aidé ou au contraire desservi ?
Mario : Je
ne sais pas si ça a eu un impact, on est Belges, donc je ne
sais pas, tu fais ça, et en tant que musicien et que groupe,
tu espères aller aussi loin et traverser autant de
frontières que possible. Et je pense qu’on a pris
chaque opportunité qu’on a eue très au
sérieux, et on a travaillé dur pour
ça, et je pense que c’est ça la chose
la plus importante dans ce groupe. On n’a pas peur de
travailler, on n’a pas peur de prendre des risques, et
d’y aller, même si au final c’est un
désastre, auquel cas tu regardes en arrière et tu
te dis « on n’aurait pas dû faire
ça ! ». Mais dans tous les cas, le plus important
avec nous trois, c’est notre caractère, on veut y
aller franchement, et bosser pour y arriver. Le
rock’n’roll c’est un peu une attitude tu
sais, et on a vécu la vie qu’on a voulu vivre, et
c’est aussi ça, faire de la musique. Et je pense
que si tu amènes ça à ton public,
alors je pense que d’un côté,
c’est mission accomplie !
Paul : En
Belgique, tu sais, c’est un petit pays, mais on est assez
fiers d’avoir toujours eu beaucoup de groupes, et de
très bons groupes. On est connus pour ça.
Même dans la partie flamande, chaque petit village avait au
moins trois bons groupes, et quand des groupes anglo-saxons commencent
leur tournée, bien souvent ils la commencent en Belgique,
parce que le public là-bas est un peu froid et distant, avec
pas mal de sens critique. Donc si tu passes ce test, tu es tranquille
pour le reste de ta tournée ! C’est quelque chose
de typiquement belge. Mais ce n’est pas forcément
négatif…
Non c’est bien
aussi, car ça te pousse à te dépasser
et à faire de mieux en mieux …
Mario : Et
à faire ton propre truc, tu sais. Il y a pas mal de groupes
anglo-saxons qui trouvent bizarre de voir des groupes belges avoir
autant d’influence qu’eux, mais pourtant il y a
quelque chose chez nous qui nous rend différents, on ne sait
pas quoi, on a beau faire la même musique, on ne sonnera
jamais comme un groupe américain ou même anglais.
Et d’un autre côté, parfois on
n’y arrive pas dans certains pays alors que les groupes
anglo-saxons y marchent très bien, et on demande
à notre agent comment ça se fait, et il
répond tout bêtement: "mais vous
n’êtes pas Anglais ni Américains ! Vous
êtes Belges ! Mais qui pourrait bien
s’intéresser à la Belgique?" (Rires)
Paul :
C’est comme … tu connais l’histoire de
l’éléphant et du moustique ? Je ne peux
pas la raconter ici, mais c’est aussi très petit
et …
Mario :
… mais il gagne quand même !
Paul : Il a
pris l’éléphant par les couilles ! (rires)
En parlant de public,
pensez-vous que le public français soit très
différent du public belge ?
Paul : Ah
oui ! De mon expérience personnelle, même avant
Triggerfinger, normalement, le public de rock est assez bruyant,
ça gueule, alors qu’en France, quand tu joues une
chanson calme, tout le monde se tait et écoute attentivement
! C’est vraiment incroyable, et très
agréable.
Mario :
Ouais, c’est vrai. C’est très
agréable pour nous, car si tu faisais la même
chose aux Pays-Bas, tu fais mieux de t’arrêter tout
de suite ! (rires)
Paul : Ou
alors tu l’utilises pour relancer le public ! Car tu sais,
quand tu joues un truc plus calme, certains Hollandais se mettent
à gueuler « Jouez ! », donc avant de
commencer, tu peux crier cinq fois « Jouez ! » et
après c’est bon ! (rires)
Avec vos albums
précédents, vous avez pas mal exploré
d’autres genres, et avec celui-ci vous revenez en quelques
sortes à vos racines avec un son plus brut. Pourquoi cette
évolution ?
Mario : Je
ne dirais pas qu’on revient à quoi que ce soit, je
dirais qu’on expérimente toujours, enfin
expérimenter est peut-être un grand mot, mais nous
évoluons toujours en tant que groupe, et on a fait les
albums que l’on pensait devoir faire, et pour celui-ci,
c’était plus ouvert, plus créatif,
moins comme une vision à laquelle on essayait de coller.
Donc je pense qu’on a aussi
expérimenté, par exemple on a utilisé
pas mal de claviers, mais ça ne sonne pas comme des
claviers, mais la manière dont on a enregistré
était différente, la manière dont on a
fait les maquettes était différente, et dans ce
sens-là aussi on a expérimenté. Mais
la seule chose dont tu ne peux pas te débarrasser ce sont
les trois ingrédients de Triggerfinger, et c’est
la manière dont les trois musiciens jouent et chantent.
Ça veut dire que nous avons tous les trois notre
manière de jouer, et même si tu changes un peu les
choses, ça sonnera toujours comme nous ! Et c’est
pour ça que parfois les gens nous disent "Oh, je
n’entends pas tant de différence que ça
!", parce qu’ils ne peuvent pas identifier ce qui est
différent, car c’est toujours du Triggerfinger.
Paul :
C’est aussi parce qu’on a travaillé pour
la première fois avec un producteur extérieur.
Avant cela, on produisait tout nous-mêmes, avec Greg Gordon,
qui est d’une part un très bon ami, un super
ingé-son, et il nous a beaucoup aidés
à prendre les bonnes décisions, il est
arrivé avec plein d’idées
géniales, mais nous faisions tout ensemble ! Tandis que
maintenant, nous travaillons ensemble, mais nous avons eu Mitchell
Froom comme producteur, et il a pris son rôle à
cœur depuis le tout début des maquettes, il nous
donnait des conseils: "Non, vous devriez faire plus comme
ça, non ce serait mieux comme ça, gardez ce
passage tel qu’il est, … ". Et ce
jusqu’à la fin, car on a enregistré
certaines choses dans notre petit studio, et il y avait quand
même un technicien de Mitchell qui était
là pour s’occuper des prises sons. Et aussi nous
avons décidé de tenter de travailler avec Tchad
Blake, qui est très reconnu, et il n’y a eu aucune
friction, car David, le technicien qui travaille avec Froom, est un
grand fan de Blake ! Donc c’était cool, et
Mitchell a pris le temps de réécouter les mix
qu’il avait faits, il nous a accompagnés
à travers tout le processus, il a été
très gentil, il n’y avait pas
d’égo, tout s’est très bien
passé. Pourtant, il a tout vu et tout fait, mais
c’est toujours un homme humble, qui reste jeune dans sa
tête et il a toujours soif d’apprendre.
C’est vraiment une belle personne !
C’est un tout
autre état d’esprit que de travailler avec
quelqu’un que tu ne connais pas en dehors ! Est-ce que
ça vous a aidé à prendre plus de recul
sur votre travail ?
Mario : Ce
qu’il a fait, dans un sens, c’est quasiment de
rentrer dans ton esprit pour te mettre mal à
l’aise face à ce que tu faisais, pour te faire
prendre des risques. Il nous a fait faire des choses qui
étaient géniales, c’était
vraiment le choix à faire, mais je n’aurais pas pu
m’y résoudre par moi-même.
C’est super, car quand tu crées de la musique, tu
doutes en permanence ! "Oh, ceci pourrait peut-être
être meilleur". Tu espères faire le tout meilleur
travail de ta carrière ! Et parfois tu te retrouves
coincé, tu trouves que tu ne progresses plus assez, et tu
doutes de tout, tu remets tout en question. Et c’est
là que le producteur te dit "non, non, c’est bon !
Ça, c’est bien !" et c’est en entendant
ça que tu réalises que parfois les choses ne sont
pas aussi importantes que tu le penses, parfois tu te focalises sur des
détails insignifiants. C’est une très
bonne chose, je pense, d’avoir ce regard
extérieur. Pour nous trois, ça a ouvert beaucoup
de portes et ça nous a remis dans un élan
créatif, j’avais besoin de ça ! Car
sinon, à titre personnel, j’aurais probablement
été ce genre de musicien qui dit "non, non, il
faut qu’on fasse comme ça !" et toujours faire la
même chose, sans y prendre de plaisir, parce que tu fais
toujours les mêmes choses de la même
manière.
Paul :
C’était aussi marrant, enfin marrant…
appréciable, de voir des très grands musiciens et
producteurs, se tromper ou manquer d’idées,
essayer quelque chose et dire juste après "oh non,
c’était de la merde !" Pour nous trois,
ça nous a aussi fait prendre conscience que l’on
avait le droit de faire des erreurs, que toute idée
était bonne à prendre, et que ce n’est
pas grave d’avoir une idée qui ne
s’avère pas concluante, ça fait
toujours avancer les choses.
Pensez-vous que le fait
d’être un trio apporte une énergie
particulière au groupe ?
Paul : En
fait, nous ne sommes plus vraiment un trio…
Mario : Si,
si ! On l’est encore ! Mais il y a un
quatrième membre qui nous rejoint pour les concerts, parce
que sur ce dernier album, il y avait énormément
de choses pour lesquelles on avait besoin d’un
quatrième membre. En fait, on a toujours dit qu’il
n’y avait pas de place pour une quatrième
personne, mais je pense que dans notre évolution, nous avons
fait de la place, c’est plus ouvert, comme tu l’as
dit auparavant, on est revenus à nos bases, en un sens, et
on a simplifié certaines choses, certaines transitions ;
mais d’un autre côté, il y a plus
d’arrangements, et donc de place pour un clavier, ou des
percussions un peu étranges, etc… Et…
où est-ce que je voulais en venir ?
Paul : Non,
en fait, ce qui est important, c’est qu’une fois
que tu es capable de jouer en trio, c’est une sensation
géniale ! C’est sûr qu’il faut
apprendre à faire ça, ce n’est pas
facile, mais une quoi que tu sais faire, enfin non tu ne sais
jamais… mais une fois que tu te débrouilles, tu
ne peux pas te cacher derrière les autres ! Chacun doit
jouer à 110% ! Si Mario arrête, ou si Ruben ou moi
arrêtons de jouer, c’est un désastre !
Tu dois être bon ! Si quelqu’un est malade ou a des
soucis dans sa vie, les deux autres doivent bosser deux fois plus dur !
Mais quand tu joues super bien, et que tout est en place, que tu as une
bonne sono, et un bon ingé son, c’est hyper
impressionnant ! On peut remplir de grosses scènes
à nous trois ! Et ça rajoute vraiment quelque
chose, les gens sont bluffés de voir ce
qu’envoient ces trois bonshommes
éparpillés aux coins de cette grande
scène ! Et pour nous, chacun a un espace de
liberté, ça ne fait jamais « trop
» puisqu’on est que trois !
En gagnant en
maturité, en tant que section rythmique, êtes-vous
toujours aussi barrés ou vous êtes-vous assagis ?
Paul : On ne
s’est pas assagis !
Mario : Plus
sages… ou plus fous… je n’en sais rien
! (rires)
Paul : Tu en
apprends juste de plus en plus, parfois c’en est effrayant !
Quand tu joues depuis longtemps avec quelqu’un, en tant que
section rythmique, ou même en tant que groupe, parfois, mais
surtout nous deux car on a aussi d’autres projets, dans
d’autres genres, et du coup je sais ce que Mario va faire,
avant même qu’il sache lui-même (rires)
s’il fait un break ou autre, et vice versa. Et parfois on se
regarde comme pour dire « mais c’est pas normal !
» ça nous fait un peu peur (rires) c’est
comme si on lisait dans les pensées de l’autre.
Mario : Et,
dans un sens, quand on joue tous les trois, comme la semaine
dernière, on a joué à Madrid et Ruben
avait un souci, sans même se regarder, on sentait
qu’il avait un souci de câble ou autre, et sans un
regard, à la fin de la chanson, on a joué un
genre de break tous les deux, pour prolonger la chanson le temps que
Ruben règle son problème.
Paul :
« C’est bon il s’en sort ? »
Mario :
« Ouais ! » Et après on le regarde et on
finit ensemble.
Paul :
C’est comme si on avait
répété ce passage !
Mario : Je
ne sais même pas comment appeler ça !
C’est de la télépathie !
C’est un truc qui passe tout seul et te dit « fais
comme ça ! ». Et c’est la seule chose
que tu récoltes à jouer autant que nous
l’avons fait, autant, et autant de temps.
Paul : Et on
apprend toujours !
Mario :
Ouais, on n’abandonne jamais !
Si vous deviez
définir « l’esprit Triggerfinger
» en trois mots, que diriez-vous ?
Paul :
Dévotion.
Mario :
Travail !
Paul :
Travail, ouais, c’est un bon choix, parce qu’en
effet on travaille beaucoup, et…
Mario : Et
joie.
Paul : Oui,
c’est bien, ça !
Oui, je pensais
effectivement à quelque chose d’assez joyeux ! En
tant que groupe avec pas mal d’influences diverses et
d’autres projets parallèles, si vous deviez faire
un tour d’horizon de vos influences, ce serait quoi ?
Mario : Tu
as deux jours devant toi ? (Rires)
Ou peut-être deux ans…
Paul :
Ça va vraiment d’un extrême à
l’autre en passant par tout ce qui se fait entre les deux, et
pour chacun de nous trois. Il y a des gens qui sont fans, par exemple,
uniquement de blues, et qui n’écoutent que
ça. J’adore le blues, mais il y a tant
d’autres choses à découvrir ! Des
choses anciennes, et d’autres plus nouvelles, tu ne peux pas
te limiter à un genre en particulier, ou du moins, tu
n’as pas à le faire si tu ne veux pas te limiter.
Dans chaque style, il y a des choses dont tu peux te servir, ou
simplement apprécier. Le jazz par exemple, j’adore
en écouter, mais je ne peux pas en jouer, c’est
trop difficile ! Mais je suis sûr que certaines choses
s’imprègnent en moi et je les réutilise
plus tard, d’une autre manière. Et comme tu
l’as dit auparavant, ça dépend aussi de
la période de ta vie que tu traverses, de
l’état dans lequel tu es et de ce à
quoi tu fais face. Mais au bout du compte, on écoute de
tout, ça dépend de ton humeur, du temps
qu’il fait, de si tu conduis, etc…
Je vais poser ma question
autrement ! Quelle est la dernière chose que vous ayez
écoutée ?
Mario : La
dernière chose que j’ai
écouté c’était…
Oh, oui ! Ce matin en conduisant, parce que je me suis levé
tôt, j’avais un train de bonne heure, et
j’habite à la campagne, j’avais plus
d’une heure et demi de route pour aller à la gare,
dans la voiture, j’écoutais The Kills et Black
Rebel Motorcycle Club, entre autres.
Paul : Quant
à moi, pendant tout le trajet de chez moi
jusqu’à la gare, ce qui doit faire à
peu près une demi-heure, j’écoutais du
classique, la symphonie n°3 de Górecki, qui parle
des camps de concentration. C’est l’une des plus
belles œuvres de classique que je connaisse !
Merci !
Propos recueillis par
Aline Meyer
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