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Ecrit par Yann Charles |
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lundi, 10 octobre 2016
PAUL
PERSONNE
http://www.paulpersonne.com/
On ne présente plus Paul Personne, qui est un des plus
grands joueurs de blues français. Il fait partie de ces
musiciens que tout le monde connaît, que tout le monde
respecte. Le 21 octobre sortira un album, « Lost in Paris
Blues Band », qu'il a enregistré dans des
conditions qu'il n'avait jamais connues jusqu'à
présent. Une sorte de jam session en studio avec des
musiciens d'exception puisqu'on retrouve entre autres Robben Ford, Ron
« Bumblefoot » Thal, John Jorgenson et Berverly Jo
Scott. Et bien sûr, l'occasion de le rencontrer
était trop belle pour que nous la laissions passer.
Rendez-vous chez Gibson France …
Paul Personne bonjour.
Bonjour à vous.
Comment est venue
l'idée de ce projet avec tous ces musiciens ?
Disons que c'est venu un peu comme ça, par hasard, une
illumination au petit déjeuner. Pour résumer le
contexte, Jean Félix Lalanne m'avait demandé de
participer à son aventure « Autour de la Guitare
», projet auquel j'avais déjà
participé il y a quelques années pour deux soirs
à l'Olympia, mais là il m'avait dit qu'on allait
faire une vraie tournée avec pas mal de dates, et
qu’il y aurait avec nous pas mal de supers musiciens
américains comme Larry Carlton, Robben Ford et d'autres.
C'était très alléchant donc bien
sûr j'ai accepté. La tournée
était prévue l'année
dernière, un beau spectacle, très
éclectique, qui durait pas loin de trois heures avec divers
univers guitaristiques. On a commencé à faire
quelques concerts dans le Nord de la France et malheureusement, un jour
Jean Félix nous annonce à regret qu'il est
obligé d'annuler des dates car il n'y avait pas assez de
locations, trop de pertes, donc pas d'autre choix que d'annuler. Dix
dates annulées sur vingt et une prévues, cela
faisait beaucoup. Et du coup, tous les musiciens américains
se retrouvaient à Paris, dans leurs chambres
d'hôtel, à faire les touristes, mais ils ne
jouaient pas. Et donc un matin, j'ai pensé à eux,
et j'ai dit à Gloria, qui vit avec moi, que
c'était vraiment dommage d'avoir tous ces supers musiciens
qui sont là, à ne rien faire, c'était
vraiment du gâchis. Et là, elle me dit : "pourquoi
tu ne les invites pas un après-midi à faire une
jam dans un studio, comme ça, pour le plaisir et pour jouer
un peu." Donc sur le coup, on en rigole, mais bon l'idée
était très sympa. Entre temps, j'ai Mehdi El
Jaï (NDLR : Directeur du label Verycords) au
téléphone qui m'appelle pour mon album
« Electric Rendez-vous » qui sort à ce
moment-là, et à la fin de la conversation, je lui
parle de mon idée saugrenue de jam avec les musiciens
américains. On en rigole … Mais une dizaine de
minutes après, il me rappelle en me disant que
l'idée est géniale en fait. Et si je suis
vraiment motivé pour le faire, il va tout faire de son
côté pour qu'on aille au bout du truc !
L'après-midi il me recontacte encore une fois pour me dire
qu'il a trouvé un studio disponible pendant trois jours.
Restait encore à convaincre les musiciens de participer. Je
pensais aller les voir dans leur hôtel, et Simon Turgel,
Directeur Général de Veryshow et Verycords, me
dit qu'il va organiser une soirée qui sera plus conviviale
que l'hôtel. Et donc du coup, on s'est tous
retrouvé là, sauf Larry Carlton, retenu en
Allemagne. Et en fin de soirée, tout le monde a pris une
guitare, histoire de faire le bœuf comme ça. C'est
fou car quinze jours avant, je ne les connaissais pas, et
là, on a tapé la jam tranquillement, et on
sentait qu'il se passait un truc. Et c'est au cours de cette
soirée que je leur ai proposé mon
idée, de se retrouver en studio pour faire une jam session
un peu bluesy, à Paris, dans un chouette studio, juste comme
ça, pour le fun. Et pour que ce ne soit pas trop
compliqué, faire des covers, un peu blues, jazzy. Un truc
assez simple, à base de morceaux que tout le monde
connaît. Du coup, j'ai préparé une
liste où j'ai pensé à Tom Waits, Bob
Dylan, Fleetwood Mac et pas mal d'autres choses. Et tout le monde a
été d'accord. Voilà, tu me demandais
d'où été venue l'idée, tu
as l'histoire. (Rires)
Pourquoi ce titre aussi
long, « Lost in Paris Blues Band » ?
Des musiciens de blues perdus dans Paris, y a pas eu beaucoup
à chercher !! « Lost in Paris Blues Band
», c'est vraiment ça. C'était
drôle car ça n’allait être que
des reprises en Anglais. Alors moi qui n'avait plus chanté
en Anglais depuis « Backstage » en 1979, mis
à part quelques bœufs comme ça sur
scène pour faire plaisir, il a fallu m'y remettre car tout
allait être en Anglais. Donc ça allait
être marrant, il fallait déconner avec
ça, et puis « Lost in Paris Blues Band
», ça sonnait bien.
Comment on trouve un
feeling avec des personnes avec qui on n’a quasiment jamais
joué ?
Le feeling, c'est facile. Ou il y est, ou il n’y est pas
(Rires). Je savais par exemple que Robben Ford est plus dans un
registre jazz-blues, mais quand tu te retrouves avec des mecs tellement
talentueux, qui maîtrisent le son, la guitare, le feeling
passe très vite. John (NDLR : Jorgenson) est un gars qui
peut jouer de tout. Dans la tournée, il jouait du Django
Reinhardt, c'était juste monstrueux. Il joue de la
mandoline, c'est un roi du finger-picking, il m'a même
proposé de jouer de l'orgue Hammond, du saxo, bref une sorte
de couteau suisse mais en musicien (Rires). Ron (NDLR : Thal), c'est la
même chose. On le voit comme un shredder qui a
joué avec Guns N’ Roses, mais qui a une culture
musicale incroyable. En fait tous ces gars ont une culture large de la
musique. Ils ne sont pas uniquement dans leur petit schéma
musical, ils sont ouverts d'esprit, ils ne sont enfermés pas
dans leur chapelle. Ron, par exemple, il joue sur une Vigier avec deux
manches, dont un manche sans barrettes, et je savais qu'il allait
apporter un truc inattendu dans l'album. Nous, on joue plutôt
classic blues, tandis que lui il jouait plutôt en style
déjanté tu vois. Et il était surtout
complètement séduit de faire du blues avec nous.
En fait c’est
un vrai album pour le plaisir, pas de pression.
Aucune pression !! Je ne savais absolument pas vers quoi on allait. Je
ne savais même pas qu'on aurait un album derrière.
Pour moi, c'était vraiment un truc
récréatif. J'avais dit à Mehdi qu'on
aurait peut-être cinq ou six titres, et qu'on verrait ce
qu'on en fait. Personne vraiment ne s'attendait à ce qu'on
enregistre 15 titres définitifs en trois jours. Que tout
passerait tout seul, comme ça tranquillement.
Comment s'est fait le
choix des titres que vous avez enregistrés ? Combien y en
a-t-il eu au départ ?
Je suis parti sur une liste d'une quarantaine de titres, comme je
savais qu'on n'aurait jamais le temps de les faire, j'avais fait un
choix plutôt ouvert pour que tout le monde puisse s'y
retrouver. Mais c'était très libre. Personne n'a
imposé un titre aux autres ou quoi que ce soit. Tu sais
genre « T'as envie de faire quoi Paul ? »,
« On pourrait faire « I Don't Need No Doctor
» ». « Ok, tu l'entends comment ?
», « Ben je verrais bien ça comme
ça ou comme ça, et puis vous vous greffez dessus.
» Et avec des gars comme ça, tu
répètes une demi fois pour voir où on
va, et puis voilà, tu enregistres.
Vous vous êtes
retrouvés pendant trois jours dans un studio pour les
enregistrements, tout a été fait en "one shot"
pour justement garder ce côté jam et
spontané ou bien y a-t-il eu des rajouts par la suite ?
Voilà, quasiment tout en une prise ou deux, histoire d'avoir
une sécurité au cas où quelqu'un te
dise qu'il s'est planté à tel ou tel passage. Il
faut bien se dire que quand tu pars dans une aventure comme
ça en "one shot", tu ne peux pas trop compter faire des
overdubs après pour améliorer. Bon certains
trucs, tu peux les refaire, comme les chœurs ou des
claquements de mains. Donc il fallait jouer comme ça, en une
prise, avec ses défauts, mais pour obtenir un morceau sans
trucage, direct, sans artifice. C'est pour ça que tout a
été très vite. Tout le monde l'a bien
compris. Personne n'a essayé de passer par-dessus les
autres. Les musiciens américains savaient que
c'était mon idée et mon projet et donc ils
attendaient sagement (Rires), un petit signe pour envoyer leur solo.
Vraiment comme un bœuf sur scène tu vois. Et
c'était vraiment chouette.
Pensez-vous qu'il y aura
une ou des dates avec tout le monde sur un même plateau ?
Ça serait vachement bien. Tu te doutes bien que tout le
monde me pose cette question (Rires). Le problème est
d'avoir un planning disponible pour tout le monde. Que les budgets
puissent correspondre à quelque chose de faisable. Parce
qu'il faut prévoir des billets d'avion, des
hôtels, deux ou trois jours de
répétition pour pouvoir faire un concert de 2
heures. Bon, faire venir Beverly (Beverly Jo Scott N0DLR) de Bruxelles,
ça va, c'est pas trop loin (Rires). Plus
sérieusement, pour l'instant ça reste une belle
expérience, une bulle intemporelle qui s'est
passée, et qui normalement n'a pas de raison de voir le jour
à plus long terme. Maintenant, ce serait la cerise sur le
gâteau si on arrivait à monter un concert ou
quelques concerts en France avec cette formation là.
Vous parliez de Beverly
Jo Scott avec qui vous avez déjà
collaboré, c'était obligée que la voix
féminine de cet album ce soit elle et personne d'autre.
Je suis fan de Beverly, de la manière dont elle chante, de
la voix qu'elle a. Ça devrait être une superstar
Beverly Jo Scott !!! Je ne savais pas si elle était
à Bruxelles ou aux Etats Unis. Donc après le
premier soir de studio, on avait enregistré quatre ou cinq
titres je crois, je me suis retrouvé au restaurant de
l'hôtel à Paris, et je me suis dit qu'il fallait
que j'appelle Beverly pour lui parler de ça. Donc je lui ai
laissé un message. Et à minuit elle me rappelle
et elle me dit que c'est vraiment super ce qu'on est en train de faire
à Paris. Et moi je lui dis « BJ, viens, il faut
que tu sois là ». Elle me dit qu'elle va essayer
de voir comment elle peut s'arranger car elle est un peu
surbookée, et à 2 heures du matin, elle me laisse
un message pour me dire qu'elle saute dans une voiture et qu'elle
arrive dès le lendemain à Paris. C'est
tellement un plus qu'elle ait pu venir et qu'elle soit sur cet album !
Avant cet album il y a eu
« Electric Rendez-vous » avec le groupe A L'Ouest,
s’il y a un autre projet, ce sera toujours avec eux ?
Je ne sais pas. J'ai passé quatre ou cinq ans avec A
L'Ouest. On a fait « Face A », « Face B
», « Puzzle 14 », « Electric
Rendez-vous » … On a fait pleins de concerts, des
tournées, des Olympia, j'ai passé un bon moment
avec eux et je pourrais très bien continuer à
faire des tournées, avec eux. En même temps, il y
a eu cette belle récréation avec ces supers
musiciens, et actuellement je suis plutôt sur cet album
là. Donc je n'ai pas la tête à
être sur la route avec A L'Ouest ou d'autres. Mais
ça pourrait très bien continuer avec eux, ou
alors je peux aussi bien partir sur un autre projet, un autre disque.
Pour l'instant je ne sais pas.
C'est le premier album
que vous enregistrez façon jam ? Je vous demande
ça car j'ai l'impression de trouver un nouveau Paul
Personne, que cet album vous a donné un sacré
coup de boost …
C'est vrai que j'aime bien ce côté bœuf.
Je m'étais déjà pas mal
amusé avec Hubert Felix Thiefaine lorsqu'on avait fait
« Amicalement Blues » car c'était un peu
pareil. Je dirigeais les sessions avec Arnaud Giroux à la
basse et Henka Johansson à la batterie donc il y avait aussi
ce côté Jam avec eux. Mais j'avais
déjà préparé les morceaux.
Ils avaient déjà eu des maquettes que j'avais
fait à la maison pour leur montrer vers quoi on allait. Et
après Hubert est venu chanter sur tout ça. Donc
il y avait un côté jam dans la manière
d'enregistrer. Mais là, pour « Lost in Paris Blues
Band », il n'y avait rien de préparé.
Ça aurait pu être juste un bœuf avec les
copains après un bon resto. Genre « Hé
les gars, je connais une cave, venez on va jouer ». C'est
vraiment dans cet esprit-là. Aucun arrangement, tout le
monde se comprenait, tu avais l'impression d'être au paradis
du musicien tu vois (Rires). Et même par rapport à
ta question sur le feeling, le casting était super. Il n'y
avait pas d'intrus tu vois. Genre un des musiciens qui aurait pu faire
sa mauvaise tête, mais au final non. Tout le monde a
apporté sa pierre à l'édifice et je
pense que personne ne s'est emmerdé pendant ces trois jours.
Et surtout que tout le monde a réellement pris du plaisir.
Je ne sais pas si tu as vu le petit making of, et tous les mecs te le
disent, ils se sont vraiment éclatés à
faire ça. Et moi, je les remercie pour ça.
Vous avez choisi des
reprises peut être moins connues, et pas de grands standards
ou tubes blues ?
Effectivement, j'aurais pu concocter un package de hits de blues, ne
reprendre que des gros tubes de blues comme tu dis, genre «
Thrill is Gone » ou dans le même genre et puis se
dire « Quitte à faire un album de covers, autant
faire un truc commercial qui peut marcher ». Mais Medhi m'a
laissé libre de faire ce que je voulais. Bon, de base, je ne
suis pas un mec très commercial (Rires). Ça se
saurait non ? (Rires). Je ne cherche pas forcément le hit
absolument. Donc du coup, je me suis senti libre de faire des morceaux
qui me plaisaient. « Watching the River Flow »
c'est un titre que je jouais il y a longtemps, en 76 avec Bracos Band,
« Downtown » de Tom Waits a toujours
été un morceau qui me plaisait, « I
Don't Need No Doctor » car je suis un grand fan de Ray
Charles, mais j'avais jamais osé chanter du Ray Charles. Il
fallait que je trouve un truc bien groovy. De toute manière
cet album est très cool, pas agressif, il n'y a personne qui
veut passer sur les autres pour se montrer. Tout le monde est
là avec pas grand-chose à prouver, à
part d'être vivant et de jouer de la musique comme il en a
envie.
Il y a un truc qui se
passe. On sent vraiment que les mecs se font plaisir. Même
certains qui sont un peu réservés, on sent bien
qu'ils s'éclatent.
Ça me fait plaisir que tu dises ça car tu vois
cet album c'est vraiment un album sans prétention, vraiment
on ne savait pas où ça irait, et franchement moi,
je ne m'attendais à en parler comme ça
aujourd'hui. Ces trois jours ont été magiques et
c'était juste sur des covers en Anglais. Juste pour rigoler
et passer un peu de bon temps. Et tous les gens qui
l'écoutent l’aiment bien. Et ça,
ça fait plaisir. Donc ok, bonne pioche. Ça sert
à ça de faire de la musique.
Si on va chez Paul
Personne, c'est quoi le ou les morceaux de musique que l'on va entendre
en fond sonore ?
Ça dépend de l'heure, ça
dépend de l'humeur et si c'est pendant le repas, ou si on
boit juste un coup. Il peut y avoir de tout. Du JJ Cale, du Marvin
Gaye, du Stevie Wonder, du Freddy King, du Clapton ou du Hendrix. Il
risque d'y avoir un paquet de diversités.
Merci beaucoup Paul pour
cette interview, et je le redis j'ai vraiment adoré cet
album et je sens également que vous aussi. On sent vraiment
que vous vous êtes bien éclatés
à le faire. Même sur le chant en Anglais !
Merci, c'est gentil. Déjà, je ne me suis pas
emmerdé pour faire les textes (Rires). Je n'ai pas
cherché à savoir comment le Français
pouvait swinguer comme avec des paroles en Anglais. Les morceaux
étaient déjà composés, tout
le talent revient à ceux qui ont créé
ces chansons. Donc ça n'a été que du
plaisir pour moi, mais aussi ceux qui l'ont fait avec moi. Et
apparemment toi tu t'amuses aussi avec lui, donc tout est bon alors.
Paul Personne merci.
Merci à toi. Et merci Zicazic !
Propos recueillis par
Yann Charles
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