|
|
|
|
|
Ecrit par Alain Hiot |
|
|
samedi, 08 novembre 2014
MANU
LANVIN
http://www.manulanvin.com
C’est dans son studio d’enregistrement «
La Chocolaterie », à deux pas de la place Pigalle,
que Manu Lanvin a eu l’extrême gentillesse de me
recevoir afin de répondre à mes
questions…
Bonjour Manu, tu as
enregistré ton 1er album en 2000. Tu avais fait quoi avant ?
Et est ce que l’on peut dire que tu as eu deux
périodes, avant et après Calvin ?
Oui très certainement ! Si l’on devait faire un
premier bilan, et à 40 ans on peut sans doute commencer
à en faire, il y a effectivement un avant et un
après Calvin. Il faut savoir que j’ai
monté mes premiers groupes assez jeune, vers 14-15 ans, en
faisant du Rock, des reprises des années 70, toute cette
musique était déjà très
inspirée du Blues et c’est ce que
j’aimais faire à la base. Lorsque je suis
arrivé à la capitale,
libéré de mes obligations scolaires car
c’était le deal avec mes parent : «
Obtiens un BAC et tu pourras faire ta musique ! »,
j’avais déjà monté quelques
petites choses en Bretagne où j’ai fait mes
premières armes, et je me suis aperçu que cette
musique là n’était plus du tout au
goût du jour. En 1996 même les types comme
Bertignac, qui aujourd’hui fort heureusement reviennent,
étaient plus ou moins « morts ». Il
restait quelques irréductibles comme Paul Personne qui
arrivaient à s’en sortir, mais
c’était une période horrible pour les
guitaristes. C’est là que j’ai
commencé à avoir le doute dont le
résultat sont ces trois albums qui sont des compromis, parce
qu’il fallait que je deale avec les maisons de disques qui ne
comprenaient pas où je voulais en venir, et
d’ailleurs j‘ai toujours
préféré mes maquettes aux
enregistrements définitifs où l’on me
rajoutait par exemple des claviers. J’ai tout de
même cautionné ça parce que je ne suis
pas mono-culturel, je ne suis pas QUE branché sur ce que je
fais aujourd’hui, j’aime le classique, les musiques
folkloriques ou traditionnelles. Et c’est donc finalement
Calvin Russel qui m’a décomplexé de ce
que je voulais faire depuis toujours, quelque chose d’assez
hybride finalement qui va du Rock au Blues un peu Punk parfois.
D’ailleurs si l’on écoute «
Dawg Eat Dawg », l’album que j’ai
composé pour lui et qui a été
enregistré ici même, et les deux miens, on y
retrouve beaucoup de similitudes.
Tu viens
d’évoquer un peu tes influences, c’est
très éclectique on dirait …
Vraiment ça commence par la musique des années
70, Led Zeppelin, Hendrix, Clapton, Beck que j’adorais
à la période avec Rod Stewart et Ron Wood
à la basse, j’aimais ce son là, je me
mettais Woodstock en boucle. Mais j’aime aussi la Soul de
Stax avec Otis ou Sam and Dave, la Soul un peu « mauvais
garçon » avec de la rage dans la voix, mais aussi
des artistes comme Etta James qui est très Blues, flirtant
un peu avec le Jazz mais avec une voix finalement très Rock.
Tout cela a forgé mes influences, mais le chemin a
été long car je me suis aperçu que
tous mes « Guitar Hero » que sont Hendrix, Page,
Clapton et bien d’autres avaient tous puisé leur
inspiration aux sources du Delta et c’est comme ça
que j’ai fait mon chemin petit à petit. Il y a des
choses que j’aime vraiment dans le plus profond du
Mississippi et dès que le Blues commence à
être un peu élaboré, un peu trop clean,
ça me branche moins.
Revenons à
Calvin, comment s’est fait la rencontre ? Il y a Paulo
derrière tout ça non ?
Oui c’est lui qui nous a présentés lors
d’un double concert à la Cigale où il
avait invité beaucoup de gens qu’il avait envie de
voir, et dans les Backstage, à la table où nous
dînions il a demandé à Calvin
« Do you know Manu Lanvin ? ». Bien entendu il ne
me connaissait pas et Paul nous a dit « Vous devriez parler
car je suis sûr que vous certainement beaucoup de choses
à vous dire », et ça a
commencé vraiment comme ça. Du coup on a beaucoup
discuté, on s’est tout de suite bien entendus,
ça ne s’explique pas ces choses là, et
puis il y a cette anecdote que je raconte qui est réelle
mais pas du tout sérieuse, d’ailleurs il ne faut
pas que ce soit sérieux sinon c’est chiant. Je
n’avais pas forcément envie de travailler avec lui
au départ, il me faisait peur avec sa tête comme
ça un peu dure, mais ce mec avait vraiment des yeux
d’enfant et au bout de cinq minutes il m’a
demandé si j’avais déjà pris
des champignons hallucinogènes et il est parti me chercher
des champignons qu’il avait ramenés du Texas ! Tu
vois la mentalité du mec déjà
… c’est un vieux Daron, côté
santé il est fébrile, mais il pense quand
même à se faire un petit truc d’ado, qui
n’est pas un truc violent d’ailleurs parce
qu’il venait d’une communauté de Hippies
et il continuait à vivre comme ça en disant
qu’on ne lui retirerait pas sa liberté. Et il le
chantait aussi en long et en large dans ses chansons. Le lendemain il a
demandé comment ça allait, tout le monde avait un
peu peur du truc mais en fait c’était
quelqu’un d’assez soft dans ses excès et
c’était assez drôle.
Tu peux tu me traduire le
titre de l’album « Dawg Eat Dawg » car
pour tout dire si je connais Dog … Dawg je n’ai
pas trouvé ?
C’est un chien, mais en Texan. C’est une sorte de
patois qui marque bien leur façon de le prononcer et
c’est lui qui a vraiment tenu à ce que ce soit
marqué comme ça. Il y a des formules Eboniques
comme ça qui sont des déformations de langage
devenues écrites et qui sont acceptées comme
ça. Il y a plein de fautes de grammaire et
d’orthographe de ce genre dans les textes des chanteurs du
Delta et on cherche, nous, à trouver des formules Eboniques
pour se rapprocher de leur vérité.
Comment en es tu
arrivé à produire cet album ?
A l’époque j’ai pris une part importante
dans un collectif Electro qui s’appelait « Manu And
The Songe Black ». On a fait un album un peu fusion et il y
avait un titre qui s’appelle « The World Is
Changing » et sur laquelle j’avais envie
d’entendre Calvin qui avait cette voix incroyable quand il
parlait. Quand je lui ai proposé ça je
m’attendais à ce qu’il refuse en me
disant qu’il ne voulait pas de trucs avec des machines, et au
contraire il s’est complètement
éclaté et il m’a dit « Je
veux chanter là-dessus et j’aimerais que tu me
fasses un album comme ça !». Du coup en allant au
Texas on a beaucoup discuté, il avait lui aussi des soucis
avec sa maison de disques, il avait même
décidé en fait d’arrêter la
musique, et je lui ai donc proposé de mettre à sa
disposition mon studio et des musiciens sans avoir la pression des
maisons de disques derrière. Je n’avais pas
vraiment prévu de le faire avec lui mais juste de mettre en
place un outil de production, et puis finalement il était un
peu en panne d’inspiration et je me suis retrouvé
à lui envoyer des choses que j’ai
enregistrées en pensant à sa voix dessus, et
j’ai couché comme ça tous les
brouillons de l’album. Au début il ne
m’a pas rappelé, et puis quand il l’a
fait il m’a dit « C’est bon
Manu, l’album on l’a ! Non seulement tu vas le
produire mais tu vas aussi le réaliser et
l’écrire avec moi parce que tous tes morceaux je
les prends ! ». Et c’est comme ça que
c’est parti.
Je t’ai vu sur
le festival d’Avoine essayer des grattes en Slide. Tu as une
attirance particulière pour ce jeu ?
Oui absolument et il faut que je m’y mette plus parce que
j’aime ça ! En studio et sur les albums il y en a
beaucoup et sur scène pas forcément. En slide il
faut être à l’aise et ne pas souffrir,
même si l’on souffre toujours un peu sur un manche
de guitare, et pour tout dire je n’ai pas encore
trouvé le « clou » que je peux emmener
sur scène. Il y en a plein ici que je slide en studio,
j’adore ça, je joue beaucoup du Bottleneck et du
Lap Steel, mais je n’ai pas encore trouvé la
guitare avec laquelle je peux être aussi à
l’aise qu’avec ma nouvelle gratte, la GVS, qui est
une guitare incroyable. Mais je vais la trouver… il me
manque cette maîtresse avec moi pour voyager.
Que retiens-tu de ta
participation à l’international Blues Challenge de
Memphis ?
Pour être tout à fait honnête je suis un
peu mitigé. J’adore Fred …
Oui fais gaffe, cette
interview c’est pour lui (rires…)
(rires…) oui mais pas de problème, je
l’aime vraiment beaucoup et il me sait assez
honnête pour dire ce que je pense… Alors au
départ Memphis n’est pas une ville que
j’aime, j’étais
déjà allé là-bas au moment
de mon Road-Trip sur la route 61 et j’y ai un peu
traîné, et quand on est arrivés avec
mon pote cinéaste Alex on a senti que ce
n’était plus là que ça se
passe. On traîne souvent tous les deux, autant
d’ailleurs dans les lieux guindés que super
underground, et on ressent les choses, et en arrivant à
Memphis on a senti qu’il y avait un truc qui
n’existe plus. Beale Street certes c’est cool, il y
a des codes qui nous rappellent les Etats-Unis, mais Memphis en
elle-même n’est pas une ville très
intéressante. On est sortis là-bas dans le
Midtown, je voulais rencontrer la jeunesse de Memphis, mais
c’est une ville inintéressante comparée
à Nashville, La Nouvelle Orléans, à
Austin ou même à Los Angeles. Donc y retourner
dans le cadre de cette magnifique compétition
c’était très bien, mais du coup on
décode certaines choses. Comme le dit mon père,
et là je vais me rallier à sa cause, pour moi il
n’y a pas de « meilleur »…
meilleur quoi ? chanteur… guitariste ? Pour moi
ça ne veut rien dire. En revanche je pense qu’il y
a tout un travail « politique » que les Ricains
savent parfaitement faire, leurs « Blues Society »
font un travail toute l’année en sous-marin. Il y
a aussi des enjeux économiques qui existent et quand on
arrive, nous petits Français, on les fait un peu rigoler je
pense. Mais je ne peux qu’encourager tout cela quand
même, je vois que France Blues organise des
compétitions annexes pour désigner ceux qui vont
y aller et c’est super, mais je pense qu’il
faudrait nous aussi faire ce boulot « politique »
là-bas comme le font toutes les « Blues Society
» sur place. J’ai pu discuter avec des
journalistes, avec des responsables de ces « Blues Society
», il n’y a pas de magouilles, tout est
transparent, mais il y a un lobbying important. Donc voilà,
je regrette juste de ne pas être parti en trio mais
visiblement on aurait eu du mal à être
sélectionnés en France, et je pense
qu’on n’était pas forcément
préparés à ça Jimmy et moi,
parce la force de mon projet est basée sur le trio. Mais
c’était très cool de le faire,
même si mon impression reste un peu mitigée.
Tu n’as pas
envie justement d’aller tenter ta chance aux States toi qui
aimes ce pays ?
J’y retourne régulièrement, on va jouer
à l’Apollo Theater, on va jouer pour la Jazz
Fondation, il y a des gens qui sont en train de travailler pour moi
pour essayer de créer des choses, mais j’ai envie
aussi de jouer en Allemagne car je sais qu’il y a un public
très branché Blues-Rock. Mais pour ça
il faut du temps et en ce moment la France m’en prend
beaucoup mais je pense que je vais essayer de bouger, par exemple avec
une tournée de deux ou trois mois dans des pays limitrophes
déjà. Mais dès qu’il y a des
invitations qui se font aux Etats-Unis bien entendu j’y vais.
Justement, tu tournes
beaucoup cette année, tu n’as pas peur
d’avoir le retour de bâton
l’année prochaine avec peu de programmation du
fait que tu es un peu partout en ce moment ?
On l’a toujours… c’est pour
ça que ce métier est à la fois
merveilleux et stressant parce qu’on se demande toujours si
l’année prochaine on aura toujours envie de nous,
mais le jour où l’on aura plus envie de moi je ne
ferai pas le forcing et j’irai voir ailleurs.
J’ai lu quelque
part que tu avais fait la première partie de Johnny Winter
qui vient de disparaître, tu as eu des relations en dehors de
la scène avec lui ?
Absolument pas. En fait mon label est « raccordé
» de plus ou moins loin à celui de Winter et cela
a facilité certaines choses mais je retiens surtout un truc,
c’est que l’on a fait la première partie
de Johnny Winter à l’Olympia sans
électricité ! C’est Alvin Lee qui
devait faire le co-plateau au départ mais il est
malheureusement décédé, et on nous a
donc alloué un espace dans le hall parce que je voulais
faire un truc comme ça, un peu comme dans le bayou,
où les gens sortent pour aller boire un coup au bar et
où c’est très sympa de jouer devant eux
comme ça. Et à deux heures du début du
concert on est venu me voir en me disant «
Désolé Manu mais tu n’auras pas
d’électricité, il faudra le faire A
Capella » ! J’avais mon nom sur le devant de
l’Olympia et il n’était pas question de
ne pas le faire ! On m’avait fait « bander
» pendant six mois avec cette ouverture pour Johnny Winter et
L’Olympia refusait de me donner une simple prise
électrique ! Donc je suis allé vite fait acheter
des amplis à piles à Pigalle, je me suis fait
prêter des trucs par des potes qui ont des magasins de
musique et on fait ça genre « ambiance
métro », on a fait l’Olympia comme des
clochards !!
Tu as
participé à ce fabuleux concert qui
était la soirée hommage à la route du
Blues à Cahors. Soirée exceptionnelle pour toi
aussi comme pour nous côté public ? Et est ce que
vous avez fait le « match retour » du Po’
Monkey’s avec Terry Harmonica Beans ?
Oui c’était super cool ce concert, de revoir plein
de gens que j’aime bien et puis de retrouver Terry bien
entendu. C’est moi qui ai d’ailleurs
suggéré à Kathy Boyé de me
mettre en duo avec lui et ça a bouclé un truc
comme ça, il était du coup « sur mes
terres » pour le match retour, et
c’était vraiment une super soirée que
Kathy a organisée avec beaucoup de
générosité. Quand tu le fais tu ne te
rends pas compte, mais quand on revoit les images avec le Gospel
derrière, c’est vraiment un truc de folie avec
tout ce groupe de chanteurs et un plateau de dingue !! Alors
c’est très rapide en fait parce qu’on
joue un ou deux titres et ensuite on sort, je pense que Craig Adams par
exemple a du apprécier le truc encore beaucoup plus, mais
c’est aussi pour ça qu’il faut apprendre
à savourer l’instant présent.
Avec Jimmy et Gaby vous
avez une énergie incroyable sur scène,
c’est dans ta philosophie de donner au public un vrai
spectacle ? et qu’est ce que tu penses par exemple des
gratteux qui jouent assis sur scène ?
Je joue aussi assis en début de concert…
Oui, mais sur un seul
titre… moi je pense plutôt à ceux qui
peuvent envoyer le bois mais qui restent scotchés
à leur chaise tout un concert….
Bah ce sont des forces tranquilles… Y’avait
Mitterrand et puis t’as des mecs plus
énervés… mois je suis plutôt
dans la catégorie « énervé
» (éclats de rires )… mais bon moi je
ne contrôle pas tout ça. Quand on est sur
scène il faut donner du spectacle aux gens, on a une place
très privilégiée, j’ai
beaucoup de chance de pouvoir jouer comparé à
toutes les années où j’ai
galéré et où personne ne
m’appelait, et je suis donc là pour donner de la
bonne énergie aux gens. Le monde actuel n’est pas
forcement joyeux alors si tu arrives sur scène, que tu
tournes le dos au public, que tu joues replié sur
toi-même derrière des lunettes de soleil,
ça ne me fait pas bander. Moi je suis fan des Stones,
d’AC/DC, de ces groupes là qui viennent prendre la
scène et le public et qui viennent nous donner un truc.
Parce qu’on est juste ça finalement, des mecs qui
viennent donner quelque chose aux gens, et si tu arrives pendant deux
ou trois heures à leur donner des choses positives en
exorcisant des histoires qui sont plutôt
négatives, alors on a tous ensemble
réalisé un truc super !
C’est Thomas
d’Arbigny qui remplaçait Gaby au New Morning,
c’est différent pour toi sur scène de
jouer avec l’un ou l’autre ?
C’est toujours un peu compliqué de changer
« d’histoire » mais je crois que Gaby
avait vraiment besoin de se mettre un peu au vert. C’est
notre pote avant toute chose et il n’y a absolument
aucune querelle, on se parle on s’échange des
messages, il y a beaucoup d’amour avec Gaby, maintenant
j’ai l’impression que dans ce trio là
cela a été très vite pour lui et que
cela l’a mis en face de choses auxquelles il
n’avait jamais été confronté
jusqu’à présent. Il a joué
pour Axel Bauer, pour plein de gens, mais on a quand même
fait plus de deux cents dates en deux ans avec le Devil Blues et je
pense que ça l’a perturbé un peu, la
médiatisation sur les réseaux sociaux, toutes ces
choses là. C’est peut-être juste aussi
de la fatigue, le besoin de faire un break, donc
voilà… on le laisse se reposer et la porte du
Devil Blues est bien entendu toujours grande ouverte. Thomas est un
super bassiste, super musicien qui est très volontaire et
très fort sur scène, il est dans la
réflexion et cogite son concert avant et c’est un
vrai professionnel. Alors c’est sûr qu’au
départ on a du faire quelques ajustements, on va
évoluer ensemble, il ne pourra pas forcément
assurer toutes les dates parce qu’il a d’autres
choses à côté, mais on a comme
ça des gens qui vont prendre avec panache la place que Gaby
a momentanément laissée.
Sur ton dernier album
« Son(s) of the Blues » il y a moins de titres en
Français que dans « Mauvais casting »
c’est juste une coïncidence ou est ce que tu te
tournes un peu plus sur les textes en Anglais ?
En fait cet album a faillit être tout en Anglais, on
ré-équilibrera sans doute plus tard, mais
c’est sûr que ces ponts qui ont
été faits sur les Etats-Unis, cette envie aussi
d’aller jouer par exemple en Suisse Allemande, en Allemagne,
je me suis dit qu’il fallait peut-être franchir le
pas et accepter de chanter tout en Anglais. Finalement on a
gardé tout de même des choses, il n’est
pas exclus non plus que le prochain album soit tout en
Français, mais je ne peux pas me détacher des
gens qui ont envie d’entendre des titres tout en Anglais. Si
je fais tout un concert en Français à des
Américains ils vont trouver ça sympa sur un titre
mais je ne vais pas arriver à les capter sur le reste alors
que j’ai des histoires à leur raconter, mais ce
n’est pas voulu plus que ça… Pour tout
te dire j’ai gardé en Français les
titres qui me semblaient les plus universels et les plus
présentables aux médias, car s’il faut
faire un travail en Français sur cette musique là
alors faisons-le pour que ce soit diffusé.
Justement sur un titre
comme « Merci » par exemple, il y a une part
d’autobiographie dans tes textes ? Parce là
ça casse un peu quand même non ?
(Rires) … c’est ce que j’ai
vécu en même temps, donc ça casse mais
ça explique aussi mon histoire… ça me
rappelle un peu ce jeune guitariste, Lucas, qui est excellent et qui
est parti avec nous à Memphis. On était
là-bas en studio chez Sun avec ses parents, et son
père me disait qu’au niveau de la voix il y avait
encore des progrès à faire. Je lui ai dit
« Mets le au Jack Daniel’s, fais le tourner avec
moi pendant six mois ou un an, deux ou trois histoires
d’amour violentes là-dessus et tu vas voir la voix
qu’il va avoir après » ! Tout
ça pour dire qu’on ne peut pas raconter les
histoires que je raconte quand on a vingt ans, et que les albums que
j’ai faits sont la conséquence d’un
parcours professionnel mais surtout émotionnel. Il faut
vivre certaines choses, quelquefois violentes, pour pouvoir les
écrire.
Quel regard portes-tu sur
le Blues Français en général, et le
Blues EN Français en particulier ? Je pense notamment
à des artistes comme Paul Personne, Bill Deraime, Yann Lem,
Manuto ou Rod Barthet pour ne citer qu’eux.
C’est super, il y a des choses qui le font grave !
Là où je suis plus mitigé
c’est lorsque l’on est un peu dans la caricature et
Paulo par exemple n’y est absolument pas ! Et quand
c’est fait comme ça je dis SUPER !
D’ailleurs dans mes Playlist il y a du Paulo
mélangé à des choses Anglo-Saxonnes,
je switche de l’Anglais au Français sans me poser
une seule question. C’est lorsque c’est
singé que ça me pose un problème, tu
en as qui veulent absolument reprendre les mêmes mots, on a
une langue suffisamment riche pour exprimer des émotions
sans utiliser l’Anglais, en utilisant nos mots à
nous, nos jargons, l’argot populaire et Paulo fait
ça à merveille. Bashung faisait ça
très bien aussi, avec des mots totalement
Francisés.
Tu as ton propre studio
où l’on se trouve en ce moment, avec un joli clin
d’œil pour le nom, à l’heure
où les albums se vendent difficilement tu n’as pas
envie de t’autoproduire plutôt que de
dépendre d’une maison de disques ?
Mais je suis autoproduit…j’ai une maison de disque
en licence pour la distribution mais ils ne font que distribuer. Ils
ont l’exclusivité du Master pendant une
période donnée mais c’est moi qui leur
remets. Et de la première note du début
jusqu’à ce Master ils n’ont absolument
rien à dire. J’ai suffisamment morflé
pendant les trois premiers albums pour ne plus faire les
mêmes conneries. Il faut justement apprendre du
passé, et le fait d’avoir fait table rase et
d’être reparti sur de nouvelles bases de production
m’a plutôt porté chance et je ne vais
pas changer cette donne là. Aujourd’hui on peut
arriver à faire un album qui sonne bien pour pas trop cher
et il faut le faire comme on le sent. C’est quand
même notre nom qui sera dessus, et quand il faut ensuite
aller le défendre sur scène, parce
qu’il ne faut surtout pas avoir peur de le faire, il faut
maîtriser son sujet sinon on est malheureux et triste, ce que
j’étais avant en ayant à
défendre des morceaux dont je n’aimais pas les
arrangements. En live je sortais tout de suite du truc et quand les
gens achetaient l’album ils ne s’y retrouvaient
pas… il y avait comme une sorte de tromperie.
Tu es devenu
quelqu’un d’incontournable dans le paysage
Blues-Rock Français…
Alors ça je ne veux même pas le savoir…
ce n’est pas à moi d’en juger…
Oui mais moi je te le dis
(rires)… et justement tu n’as pas envie
quelquefois de faire un gros bras d’honneur à ceux
qui t’avaient considéré comme fini ?
Est ce que c’est bon de garder comme ça de la
haine, de la déception ou de la rancœur envers des
gens qui d’ailleurs ne se rendaient pas forcément
toujours compte du mal qu’ils pouvaient faire ?
C’est certain que quand on te dit « Vade Retro
Satanas, Manu Lanvin ne sera jamais programmé dans mon
festival ! On n’écoute pas son album...
» ça fait beaucoup de mal, et d’ailleurs
souvent les maisons de disques intelligentes le cachent aux artistes et
ne vont pas lui dire de front. Ma maison de disques me
balançait quelquefois les trucs comme ça, bruts
tels qu’elle les recevait, et là c’est
très dur de se relever. Parce que j’ai toujours
fait de la musique par amour et avec l’envie de donner
quelque chose de positif aux autres, et il n’y a rien de pire
par exemple qu’un boulanger qui ferait son pain avec amour,
qui soignerait sa boulangerie, qui accueillerait les clients avec le
sourire et qui serait détesté dans son quartier !
Et moi c’est ce que j’ai vécu, j
‘étais le mec détesté du
quartier de la musique… mais non je ne peux pas en vouloir
parce qu’il ne faut pas garder cette énergie
là, ce sont les anciens qui m’ont appris
ça et j’apprends beaucoup d’eux, il faut
se souvenir mais pas en vouloir.
Pour finir il y a un
message que tu souhaites faire passer ? Un coup de cœur ou un
coup de gueule ?
Juste qu’il faudrait que l’on se mobilise un peu
plus, tous, pour faire vivre les lieux qui disparaissent dans les
centres-villes. On a mis les gens à la porte des
établissements parce qu’on ne voulait plus
qu’ils fument, donc ils ne gagnent plus d’argent
parce que les mecs sont dehors à fumer des clopes, on les
ferme parce que du coup ça fait du bruit sur les trottoirs,
et dans mon quartier j’en connais quand même un
rayon ! Tout ça fait des établissements qui
ferment, des gens qui veulent vivre en centre-ville mais qui ne
supportent plus le bruit, qui ne supportent pas du coup les gens qui
font de la musique et on est entrain de tuer le spectacle vivant et le
spectacle de rue ! Moi j’ai commencé comme
ça en jouant dans les bars, et si cela n’avait pas
existé je ne serais certainement pas là
aujourd’hui à discuter avec toi. Donc il faut se
mobiliser pour dire « tous ces cons qui ne veulent pas de
bruit alors qu’il dégagent des villes !
», qu’ils aillent à la campagne et
qu’ils laissent la place, notamment aux jeunes qui ont du mal
en plus à se loger, et qui EUX ont envie
d’écouter de la musique. On est trop dans une
société de merde aujourd’hui pour ne
pas profiter d’aller écouter un groupe de Rock, de
Reggae, de Soul, de Funk dans un bar sans avoir les flics qui
débarquent parce qu’une connasse (NDLR, allusion
à peine voilée à une voisine du
studio) ne peut pas dormir… qu’elle
dégage et qu’elle laisse les centres-villes
à ceux qui veulent les faire vivre. On vient de jouer par
exemple dans un endroit que j’aime beaucoup à
Toulouse, La Dynamo, et on apprend qu’il va certainement
fermer parce qu’on a fini par les tuer ! Pas parce que
c’était mal géré, mais
à force de plaintes, de procès à cause
du bruit, ils ne peuvent pas toujours assurer des prix au ras du
paillasson et du coup dès qu’ils ont une fermeture
d’une semaine ils coulent et mettent la clef sous la porte !
Si tu vas en Angleterre, tout le monde respecte les pubs où
ça joue parce que si ça trouve demain les futurs
Beatles sont dans le petit bar du coin ! Bien sûr il y a des
règles d’horaires mais on doit encourager de
toutes les manières le petit spectacle vivant, on pourrait
même en vivre alors qu’aujourd’hui on a
tué ces endroits là, on ne veut plus de bruit !
je pense par exemple que l’on pourrait instaurer une sorte de
défiscalisation pour insonoriser mieux ces endroits, parce
que ça coûte très cher…. je
ne suis pas politicien mais il y a forcement des solutions. On veut
excentrer les salles en campagne pour que les mômes se
flinguent en voiture parce qu’ils ressortent de là
un peu à l’ouest alors que si tu prends ne serait
ce que mon quartier, même si tu es naze tu prends le bus, ou
le métro, ou tu rentres à pieds et
c’est réglé ! Je dis ça de
façon un peu radicale mais voilà…
souvent il suffit d’une seule personne pour faire fermer un
bar où les proprios veulent juste faire vivre leur famille,
alors que ceux là dégagent et laissent les
centres-villes à ceux qui veulent les faire vivre !
Merci Manu
c’était un vrai plaisir !
De rien Alain, merci à toi !
Propos recueillis par
Alain Hiot – octobre 2014
|
|
|
|